Les éditions de La Découverte sont arrivées au terme d’un projet large, celui de faire paraître une série d’ « Atlas des peuples » couvrant la planète entière. De précédents CR l’ont signalé, le dernier en date étant le compte-rendu rédigé par François Guyon sur le volume « Amérique », dernier paru.

Le début du projet éditorial coïncide avec le renouveau de la géopolitique, renforcé par un contexte international (chute du Mur, première Guerre du Golfe, etc.) qui a fait redécouvrir à beaucoup d’observateurs l’absolue nécessité de mettre le nez dans les cartes…Mieux encore, dans des cartes de qualité, appuyées par des légendes consistantes. Après de premiers volumes « exotiques », fortement influencés par les recompositions accélérées de la dernière décennie du XX° siècle (« Europe centrale » en 1991, puis « Orient, Moyen Orient, Caucase et Asie centrale » en 1993), Jean et André SELLIER avaient déjà fait paraître un « Atlas des peuples d’Europe occidentale » en 1995. L’ouvrage qui vient de paraître est donc une réédition, mais revue et mise à jour en 2006. Entre-temps, la collection a été achevée avec les trois derniers volumes : « Asie méridionale et orientale », en 2001 ; « Afrique », en 2003 ; et « Amérique », en 2006.

Le succès de l’ensemble du projet est patent : nombreuses rééditions, et présence des ouvrages dans de nombreux CDI. Cette réussite est d’abord justifiée par les qualités formelles et pratiques de l’ouvrage. L’ « Atlas des peuples d’Europe occidentale » conserve les mêmes principes de réalisation déjà évoqués par le CR de François Guyon : « cartographie abondante et de belle facture », « nombreux encadrés développant de courtes mises au point ». Les qualités graphiques et pédagogiques déjà relevées sont largement confirmées : les cartes sont nombreuses, d’une réalisation soignée et précise, tout en évitant la surcharge. L’ouvrage est bien plus qu’une série de cartes, et le « poids des mots » lui donne toute sa valeur, pour la bibliothèque d’un enseignant d’Histoire Géographie comme pour le CDI d’un établissement secondaire. Les notices sont des mises au point soignées et d’une utilité évidente. Par exemple, le choix est pertinent d’avoir privilégié le Moyen Age aux dépens de l’époque contemporaine, mieux connue.

La description des partages du monde (ici du continent européen) se heurte à une difficulté de fond : choisir les césures les plus pertinentes. La question est posée dès l’origine, et les auteurs ont choisi de séparer l’Europe centrale (définie comme un « champ clos » enserré entre les vastes empires germanique, ottoman et russe) de l’Europe occidentale (qui, par défaut, regroupe alors l’ensemble des territoires situés à l’Ouest de l’Europe centrale). Le choix implique donc de séparer le monde germanique de ses marges orientales, ce qui pose bien sûr des limites évidentes. D’autant que si l’Europe occidentale est logiquement définie comme « très ouverte sur le monde », les liens des peuples et Etats européens ce « grand large » ne sont quasiment pas évoqués. Sans doute parce que le souci dominant est de creuser les liens internes, les « correspondances plus subtiles » entre peuples, nations et Etats. L’utilité première est bien de faire le point sur les chevauchements, les emboîtements et les divergences entre des espaces et des ethnies qui ne coïncident pas dans la plupart des cas avec les Etats actuels. Finalement, on pourrait penser, avec un soupçon d’ironie, que la géopolitique a beaucoup en commun avec notre bonne vieille géomorphologie : il s’agit d’étudier les formes du territoire, en allant chercher les liens entre structure et modelé de détail ; il y est question de fronts, de failles, de surfaces d’érosion et de tectonique des plaques, de discordance et de chevauchements, de butte-témoins et de glacis…

A la question du découpage, les auteurs ont répondu en proposant une division en six grands espaces, correspondant à des aires différenciées sur le plan ethnique et culturel (en l’occurrence linguistique). Un critère historique (politique : « lotharingien ») a été adjoint pour rendre compte de l’importance du Saint-Empire dans la construction de l’aire germanique. L’Europe occidentale est donc définie par exclusion (peuples slaves, finno-ougriens, grecs constituant l’Europe centrale) et par inclusion (peuples germaniques, celtes, latins, basque et maltais). La seule exception étant les roumains, latins inclus dans l’Europe centrale. Un chapitre d’introduction générale (« Des royaumes barbares à l’Union européenne ») permet de rappeler les principaux traits de l’Histoire politique de l’Europe occidentale, de la fin de l’Empire romain jusqu’à l’émergence des nationalismes, du modèle de l’Etat-nation, et de la genèse de l’Union européenne. La formation progressive de « langues nationales » est évoquée, ainsi que le rôle des religions : 13 cartes, plus de 20 pages de texte, un graphique, plusieurs encarts, le tour d’horizon est très complet.
Les six espaces retenus sont ensuite traités tour à tour, clairement identifiables tels qu’ils sont qualifiés :
– l’espace italique
– l’espace ibérique
– l’espace « gallique »
– l’espace germanique et lotharingien
– l’espace anglo-celtique
– l’espace scandinave

Chacun, au gré de ses besoins ou de ses préoccupations du moment, pourra repérer des points faibles, des oublis ou des manques : on peut par exemple regretter que le cas du Portugal soit expédié en une page, sans prise en compte des sous-espaces, ni de l’importance de son influence extérieure. Ou que l’intensité des liens qui unissent (séparent ?) aujourd’hui les deux rives du détroit de Gibraltar soit moins évoquée qu’Al Andalus et le royaume de Grenade…Mais c’est le principe même de l’ouvrage de rechercher dans l’histoire les fondements des partages du monde actuel.

Il semble certain que cet « Atlas des peuples d’Europe occidentale » est le type même d’ouvrage de base que tout CDI (ou bibliothèque personnelle de professeur d’HG ?) devrait offrir. Il a sa place sur l’étagère des usuels auxquels on se réfère en cas de doute ou de recherche de précision (un index consistant en facilite grandement l’usage). Il est aussi caractéristique de ce type de lecture « en boucle » : on le saisit pour clarifier un détail, on « tombe » sur un encart, une carte, ou une incise qui renvoie à une autre page, puis à l’index, puis une nouvelle page, et ainsi de suite, ad lib.
N’est-ce pas le mieux qu’on puisse attendre d’un Atlas que d’aiguiser la curiosité et de la satisfaire ?

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