Cet atlas qui vient de parvenir à la Cliothèque permet de se faire une idée très précise d’un espace fragmenté, complexe, et finalement très proche de l’Europe. La Grèce dont il est fortement question en ces temps de crise européenne, est l’un des pays des Balkans, au même titre que les territoires de l‘ex Yougoslavie devenus indépendants, mais également les deux derniers entrants dans l’union européenne, la Bulgarie et la Roumanie.
Pierre Sintès, l’un des co-auteurs est un des soutiens de la Cliothèque depuis des années. C’est donc avec le plus grand plaisir que nous assurons la présentation de cet ouvrage.
L’ouvrage est introduit par une partie historique extrêmement précise et détaillée, partant de la période de la Turquie d’Europe, jusqu’au conflit et à la fragmentation de la Yougoslavie. Les quatre premières rubriques de l’atlas devraient faire le bonheur des étudiants qui s’intéressent à l’histoire des relations internationales en Europe à l’époque moderne et contemporaine. On voit bien sûr les premières cartes les phases successives de recul de cet empire ottoman qui a tout de même fait régner la paix pendant plus de quatre siècles dans cette partie de l’Europe au contact avec l’Asie. Une chronologie indicative très détaillée permet de situer les différentes étapes de cette évolution.
L’article sur la formation des États-nations dans les Balkans permet la juxtaposition de trois cartes, 1830,1878 et 1913, qui permettent de comprendre comment, l’influence de l’empire Autriche-Hongrie et de l’empire des tsars de Russie à peser sur la destinée de ces territoires. Dans le cas de l’histoire de la Serbie contemporaine, une présentation du soulèvement serbe entre 1804 et 1815 permet de comprendre comment cette population, au contact du monde chrétien avec l’empire d’Autriche et du monde musulman avec l’empire ottoman a joué à plusieurs reprise sa destinée de façon farouche avec le sentiment d’être porteuse d’un destin autonome contre des adversaires préoccupés de le détruire.
Des États-Nations fragiles
La période de l’entre-deux-guerres a mis en œuvre une sorte de droit des vainqueurs qui semblent s’être imposé au droit des peuples et le royaume des Serbes, croates et slovènes a eu du mal à se stabiliser politiquement tans les antagonismes internes pouvaient apparaître comme plus forts que celui de la création de l’union des slaves du Sud.
Enfin, après l’installation du pouvoir communiste par Tito, qui a pu affirmer l’indépendance de son pays face aux prétentions de Staline, cette construction politique basée sur un équilibre subtil associant les Serbes et les Croates, tout en accordant des facilités aux populations macédoniennes slovènes et bosniaques, a littéralement implosé à partir des prétentions de la Serbie à l’hégémonie. Les états mais du conflit yougoslave apparaisse comme fragile, le dernier en date étant le Kosovo qui a proclamé son indépendance en février 2008, mais ces petits territoires sont littéralement sous perfusion de l’union européenne est très largement soumis aux influences des mafias qui les utilisent comme plaque tournante pour leurs activités. On trouve également dans cette partie une évocation du régime albanais qui avait fait le choix, pendant la période de domination communiste, de se rallier au modèle chinois, avant de connaître en 1990 une transition démocratique qui a été pour le moins houleuse.
Les difficultés économiques de l’Albanie ont généré une émigration particulièrement importante, de 500 000 personnes vers la Grèce et de plus de 250 000 en Italie. Le pays a même connu une tentative de coup d’état en 1998. Enfin, les auteurs de l’atlas s’intéressent à la Bulgarie et à la Roumanie comme espaces intermédiaires, particulièrement difficile à intégrer au sein de l’union européenne.
La Grèce, la locomotive régionale en panne
La Grèce qui avait des perspectives particulièrement prometteuses jusqu’en 2006 connaît une crise de la dette qui remet en cause son investissement dans la reconstruction économique de la zone balkanique que le gouvernement de l’époque avait doté de plus de 550 millions d’euros. Dans la deuxième partie, à partir de cartes parfaitement accessibles, les auteurs se livrent à une analyse des sociétés en recomposition envisageant aussi bien les migrations que les transformations des paysages, notamment ruraux avec les métamorphoses de la campagne en Albanie, qui connaît une transformation importante depuis 1990. On aurait pu également évoquer à ce propos les mutations agricoles de la Roumanie qui connaît une ruée et occidentale vers ses terres, sans doute avec un effet d’aubaine pour bénéficier des aides européennes à l’agriculture. Le bilan social de ces réformes qui à l’exception de la Grèce ont touché les pays qui ont dû tourner la page de l’expérience collectiviste a été plutôt douloureux pour les populations. Avec l’aggravation de la crise économique la plupart des gouvernements se sont engagés dans une fuite en avant en matière de privatisation, afin de renflouer les caisses de l’État. La troisième partie est consacrée aux communautés et aux identités politiques, les auteurs constatent tous que ce sont les partis nationalistes qui ont politisé les identités nationales qui restent les maîtres du jeu, en Bosnie-Herzégovine par exemple.
Les minorités omniprésentes
L’autre question délicate est celle des groupes transfrontaliers dans les Balkans, et même si dans le cadre de leur rapprochement avec l’union européenne, la Hongrie et la Roumanie ont signé en 1996 un traités dans lequel les deux pays renoncent à toute revendication territoriale, la question des minorités hongroises qui se trouvent en Slovaquie, et surtout en Roumanie, principalement en Transylvanie, et toujours un thème fort de mobilisation sur la scène politique intérieure de la Hongrie.
On trouvera une très intéressante carte associant les religions et les langues avec la nébuleuse d’église orthodoxe dépendant de patriarcats autocéphales, qui apparaissent tout de même comme rivaux. À la page 52 les auteurs présentent des cartes mentales de la Bosnie-Herzégovine, qui varient selon les âges des populations interrogées et leur origine à l’intérieur de cet état tampon divisé en trois, avec la république serbe de Bosnie, la Bosnie-Herzégovine et les territoires sur lesquels vit une minorité croate. Enfin, les Balkans sont soumis à une sorte de grand jeu, dans lequel se profile l’ombre de la Russie, ce qui n’est pas étonnant, dans le lien historique a pu être fort au moment de la constitution des États-nations des Balkans. Mais cette population balkanique est également une population mobile, et les mouvements migratoires ont été favorisés par les différents conflits de la dernière décennie du XXe siècle. Des populations d’origine balkanique, albanaise, grecque, serbe ou roumaine, forment des communautés dans les grands états européens comme aux États-Unis et au Canada mais également en Australie ou en Argentine et au Chili.
Enfin, ces territoires connaissent également des aménagements importants, du point de vue des transports terrestres mais également des transits d’énergie, et notamment gazière, un développement rapide des infrastructures touristiques et une mise en valeur d’un patrimoine naturel qui a pu, malgré les conflits récents, être globalement préservé.
Les Balkans apparaissent ainsi comme une image réduite et inversée de l’Europe et il est clair que la destinée de cette péninsule dépend très largement de la façon dont l’union européenne sera en mesure d’apporter une aide qui ne soit pas ressentie par les populations comme la renaissance d’une domination impériale. Il ne faut pas oublier que de ce point de vue les cicatrices de l’histoire ne sont pas encore refermées et que pendant près de dix siècles ces territoires ont été soumis à leur puissants voisins.
Bruno Modica