Les villes nouvelles, vous connaissez ?
Si cette appellation évoque chez vous de vagues souvenirs, commencez par feuilleter le cahier couleur de l’ouvrage de Nathalie Brevet qui accompagne le texte de sa thèse soutenue en 2008. Vous y prendrez la mesure de la variété de cet espace : habitats collectifs, lotissements pavillonnaires, extension urbaine, activités économiques et réseaux. Créées il y a 40 ans dans le cadre d’une politique d’aménagement du territoire visant à rééquilibrer l’agglomération parisienne (SDAURP 1965), la ville nouvelle de Marne-la-Vallée s’étend sur 152 km2 (soit 3,5 fois la superficie de Paris intra-muros). Située à 15 km à l’est de Paris, elle est aujourd’hui la ville nouvelle la plus peuplée avec 250 000 habitants. Elle regroupe 26 communes réparties en 4 secteurs le long d’une épine dorsale constituée par le RER A.
Nathalie Brevet a fait le choix, dans la lignée d’un travail de recherche monographique consacré à la commune de Bailly-Romainvilliers (une commune située à l’extrême Est de l’ensemble Marne-la-Vallée), d’entamer une thèse sur l’ancrage des habitants de ce nouvel ensemble urbain créé quasiment ex-nihilo. Habitante de la ville nouvelle pendant 7 ans, elle a été amenée à se demander si elle habitait une « vraie ville » ou pas. Dans les pas de Burgess et de l’Ecole de Chicago, elle s’est intéressée aux mobilités quotidiennes et résidentielles des habitants pour mettre à l’épreuve leur attachement à ce territoire. Son étude montre qu’un véritable bassin de vie s’est mis en place dans cet espace. Il faut entendre par là « un lieu à l’intérieur duquel les habitants peuvent effectuer les différentes étapes de leurs parcours résidentiels et un lieu au sein duquel se concentrent la plupart des activités de leur vie quotidienne. » Le terme de bassin de vie a été privilégié à celui de ville nouvelle, estimé plus ambigu. « Bassin de vie » intègre le rôle de plus en plus important de la mobilité dans les modes de vie. Il ne doit pas être limité à une définition par rapport aux emplois et aux équipements dont est doté cet espace.
L’existence de ce bassin de vie témoigne du fait que Marne-la-Vallée devient « une vraie ville » puisque les mobilités quotidiennes comme résidentielles se recentrent sur l’ensemble urbain même. Marne-la-Vallée n’est plus un lieu que l’on cherche à quitter. Car ce n’est pas tant la population qui va s’installer en périphérie de l’agglomération parisienne que les emplois eux-mêmes. Marne-la-Vallée, au fil du temps, a accueilli de nombreux emplois dans le domaine de la logistique sans compter ceux liés à la présence des parcs Disney. Pour autant, de nombreux habitants de la ville nouvelle se rendent encore à Paris pour aller travailler. Toutefois, par leurs déplacements réalisés dans le cadre de leurs loisirs, apparaît véritablement un bassin de vie au sein du territoire de la ville nouvelle. Il semble donc que la greffe ait prise.
Pour rendre compte de l’ancrage des habitants à leur territoire, Nathalie Brevet a travaillé sur des statistiques issues d’enquêtes ménages et transports. Elle a accompagné ce travail statistique d’un travail qualitatif composé de 33 entretiens réalisés auprès d’habitants de la ville nouvelle. Tous résident depuis au moins trois ans, une durée nécessaire d’après elle à l’acquisition d’habitudes qui permettent de témoigner de l’attachement ou pas des interviewés au territoire. Il apparait, à l’issue de cette étude, que les habitants ont une image morcelée de leur territoire. « L’image de l’archipel s’impose. » Cela ne remet pas en cause l’idée d’ancrage que l’auteur définit ainsi selon deux dimensions : un ancrage géographique dont témoignerait « une stabilité au sein d’un même logement, d’une même commune ou d’un même territoire » et un ancrage dynamique « un processus de cohérence qui se révèle dans la façon dont les individus négocient et arbitrent les espaces fréquentés hier, aujourd’hui, et ceux qu’ils envisagent de fréquenter demain. »
Si l’existence d’un bassin de vie n’est pas à remettre en cause, du côté du sentiment d’appartenance au territoire, les choses sont bien plus compliquées. Comme en témoigne les extraits d’entretiens reproduits dans le chapitre consacré à cette question : « Marne-la-Vallée, on ne sait pas où ça commence, où ça se finit. Pour moi, Marne-la-Vallée c’est une entité. C’est une entité un peu virtuelle, quoi ! » ou bien encore « Le Val d’Europe, c’est ce que je connais le mieux en fait, c’est vraiment mon environnement de proximité. Je ne dirais pas j’habite Marne-la-Vallée. J’habite pas la région de Marne-la-Vallée. (…) Pour moi, Marne-la-Vallée c’est une région qui est vaste. » Autant dire que la notion de bassin de vie ne suffit pas encore pour définir la ville. Le souhait de Paul Delouvrier, le père des villes nouvelles, est donc encore loin d’être réalité.
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes