URSS – L’âge soviétique – Une traversée de l’Empire russe au monde postsoviétique – Alain Blum, Françoise Daucé, Marc Elie, Isabelle Ohayon

L’épreuve d’histoire contemporaine du concours de l’ENS 2022 sur le thème « La Russie et l’URSS du milieu du XIXe siècle à 1991 ».

Après l’ouvrage de David Teurtrie, Russie, le retour de la puissance, et toujours dans la perspective de la préparation de l’épreuve d’histoire contemporaine du concours de normale Sup, il nous est apparu opportun de présenter cet ouvrage qui apparaît comme une rétrospective de l’âge soviétique, ouvert en 1917. Cette période qui s’est arrêtée en 1991, il y a maintenant 30 ans, est-elle véritablement terminée ?

À l’évidence, sans doute pas. Depuis 2000, Vladimir Poutine a mis en place un système qui lui permet d’exercer sur la société russe, même si le territoire s’est réduit en superficie comme en population, un contrôle étroit.

L’ouvrage permet d’aborder les différentes particularités de cet espace soviétique dont le caractère monolithique du pouvoir politique dissimulait une grande diversité.

URSS – Apparence monolithique et diversité réelle

Diversité ethnique et religieuse, et ce sera le thème du deuxième chapitre, diversité dans l’exercice du contrôle politique, et c’est le thème du chapitre quatre, diversité dans l’approche du territoire, et ce sera le thème du chapitre huit mais également du chapitre trois qui aborde les replis, circulations et ouvertures transnationales.

Mais avant cela, il convient de traiter du premier chapitre qui aborde en une quarantaine de pages un siècle de révolutions et de mutations.

Le point de départ se situe en 1905, avec l’ouverture de cette période révolutionnaire qui montre l’incapacité du régime autocratique à prendre en compte les transformations et les mutations qui avaient affecté la société russe depuis une quarantaine d’années. Au sein même de l’aristocratie, sans parler de la bourgeoisie, une forme de contestation de l’ordre ancien s’était exprimée. Le tsar Nicolas II avait été incapable de prendre les mesures nécessaires. Les deux guerres, celle contre le Japon, entre 1904 et 1905, et la première guerre mondiale, portent un coup fatal à l’ensemble des institutions qui avaient été établies lors des précédents règnes de la dynastie des Romanov.

Ce chapitre n’apporte pas un véritable renouvellement de l’historiographie concernant la révolution de 1917. Le lien entre le projet révolutionnaire des bolcheviks et les aspirations du corps social n’est pas véritablement mis en avant, pas plus que les liens existants entre les communautés paysannes et la constitution des soviets.

Le caractère spécifique, mais également fondée sur une tradition historique, de la terreur stalinienne n’est pas forcément abordé. Par contre la constitution d’une société bureaucratique, même si dans un volume restreint, ce thème n’est pas évident à développer, apparaît largement.

Contrairement à l’image monolithique que donne la société soviétique, il existe une interaction entre la base et le sommet. Le contrôle social est basé très largement sur la remontée des renseignements que les services de la police politique recueillent.

URSS – Des périodes heurtées

Les grandes périodes sont évidemment abordées sous l’angle de la succession des dirigeants. Après la guerre de succession qui consacre le pouvoir de Staline, la seconde guerre mondiale constitue un tournant majeur avec la période de la guerre froide. La mort de Staline en 1953, la tentative de réforme de Khrouchtchev, constituent à cet égard un autre tournant. À partir des années 70, la transformation en douceur initiée par Brejnev marque le pas. Le système vieillit, aussi bien du point de vue de son organisation que de l’âge physique de ses cadres. L’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev constitue le dernier tournant, et la volonté réformatrice du secrétaire général du parti communiste d’Union soviétique se heurtera à des structures difficilement réformables. L’absence de prise en compte des aspirations nationales conduit à l’implosion de l’Union soviétique, qui avait réduit ses prétentions à l’international à partir de 1987.

La période d’incertitude marquée par la présidence de Boris Eltsine se termine en 2000. Dans les territoires périphériques de l’ex URSS, de l’Ukraine à la Moldavie, des pays baltes aux républiques musulmanes d’Asie centrale, différentes trajectoires se dessinent. Des régimes autoritaires s’installent à partir des dynasties communistes déjà présentes, en Asie centrale. Dans les pays baltes se sont plutôt les aspirations démocratiques qui s’expriment, ce qui conduit ces pays qui avaient été indépendants dans l’entre-deux-guerres à rejoindre l’OTAN et l’union européenne.

L’exercice du pouvoir par Boris Eltsine en Russie apparaît comme totalement chaotique, avec un effondrement monétaire, l’application de thérapies de choc libérales, et un véritable pillage des fleurons de l’économie soviétique par des bureaucrates reconvertis en oligarques.

URSS – Le retour?

Vladimir Poutine dont l’arrivée au pouvoir, comme chef du gouvernement dans un premier temps, est probablement le résultat de tractations permettant de protéger Boris Eltsine et son entourage d’éventuelles poursuites, marque le début de la fondation d’une nouvelle autocratie. S’il existe un pluralisme formel au niveau politique, le nouveau service de renseignement, le FSB, contrôle de façon de plus en plus étroite l’activité associative et partisane. Le parti Russie unie s’impose, et les ressorts du nationalisme, à partir de la deuxième guerre de Tchétchénie, le soutien d’une église orthodoxe largement slavophile, permettent une sorte de reconstitution d’une dynastie sans couronne, aussi autocratique que celle des Romanov, qui associe les oligarques soumis et les cadres du pouvoir politique.

Malgré le vieillissement démographique, et la faible natalité des 20 dernières années, la jeunesse russe manifeste ses aspirations et constitue probablement un vivier contestataire. Le pouvoir ne s’y est d’ailleurs pas trompé lorsqu’il restaure, autour de l’armée de la fédération de Russie, une nouvelle structure d’accueil de la jeunesse qui rappelle largement les komsomols de l’époque soviétique.

Après ce retour historique du premier chapitre, il est possible de passer directement au quatrième « l’oppression pour horizon », qui permet de comprendre la continuité des politiques répressives mises en place, de la Tchéka au FSB, en passant par les différentes structures de contrôle politique au service du parti communiste pendant la période soviétique et de Vladimir Poutine aujourd’hui. La terreur stalinienne ne se limite pas à l’exercice d’une violence sur des cibles désignées, les koulaks ou les opposants potentiels. Cette terreur serait le résultat d’après les auteurs d’une « radicalisation cumulative », le résultat d’une série de crises auxquelles on apporte des solutions répressives qui touchent successivement des cercles de plus en plus larges dans la population.

Une attention particulière est portée à la répression de la nomenklatura, c’est-à-dire aux personnalités suffisamment haut placées dans le parti que Staline soupçonne d’être potentiellement des rivaux. C’est évidemment le cas des grands procès de Moscou. Le trotskisme est considéré comme l’inspirateur des ennemis de l’Union soviétique, particulièrement lorsque la purge de 1937, dont le procès se tient à huis clos, permet d’éliminer les deux tiers du très Haut commandement qui compte 503 personnes et de faire arrêter 35 000 officiers. La répression touche aussi les familles, et notamment les épouses. Sur le million et demi de condamnation la moitié est exécutée tandis que l’autre moitié est envoyé dans les camps.

L’explosion de la criminalité

D’après les auteurs la guerre ne met pas un terme à la répression. Le tribunal militaire intervient pour réprimer les infractions à la discipline du travail qui est ainsi criminalisée même si la plupart des peines concerne des faits de trahison. Pour les deux premières années de guerres de 100 000 personnes auraient été condamnées à mort. À la mort de Staline la moitié de la population carcérale avait été accusée de vol.

Parmi les éléments les plus intéressants de ce chapitre on trouvera également une analyse du goulag comme instrument politique et économique. À l’origine la direction stalinienne crée le goulag comme vecteur d’extraction de nouvelles ressources minières et comme réservoir de main-d’œuvre pour l’exploitation agricole notamment forestière. Cette main-d’œuvre concentrationnaire a permis la réalisation de grands chantiers mais au prix d’un million 700 000 morts.

Les héritiers de Staline qui entendent sortir de la terreur de masse ont été amenés à relâcher la pression en diminuant les peines et en les des criminels lisant. À partir de 1954 1956 des commissions sont constituées pour réviser les procès politiques. Certaines réhabilitations sont entreprises, mais le chiffre de 17 000 est très en deçà du nombre de condamnations pendant la Grande terreur.

On trouvera également quelques remarques particulièrement intéressantes sur la bascule entre le goulag de la période stalinienne et les unités carcérales ou les détenus de droit commun imposent peu à peu leurs lois en généralisant un système mafieux qui entretient des liens particulièrement efficaces avec l’extérieur. Les bouleversements socio-économiques qui accompagnent l’effondrement de l’Union soviétique font exploser la criminalité. La criminalité organisée se développe à grande vitesse en s’appuyant sur les structures existantes auparavant.

Les groupes criminels ont pu exister avant l’implosion de l’Union soviétique, et ils ont pu développer une sorte de contre-culture dont la référence reste l’univers carcéral. Des trafics ont pu se développer à partir de bases ethniques, tandis que les retours d’Afghanistan ou de Tchétchénie ont pu rendre disponible des hommes particulièrement formés à l’usage de la violence.

À partir de 2010 il semblerait qu’en matière de politique de l’ordre le régime a retrouvé quelques pratiques héritées de l’Union soviétique tandis que Poutine constitue une garde nationale de 300 000 hommes dont la fonction est d’étouffer toute manifestation de mécontentement.

Au bilan

Dans l’espaces postsoviétique la police et la justice sont restés dans la plupart des cas des instruments du maintien au pouvoir des élites apparues à la faveur des privatisations de l’économie. Les états baltes, la Géorgie ou la Moldavie semblent avoir échappé à cette fatalité.

Cet ouvrage permet assurément de parcourir avec un très riche appareil documentaire pour chacun des chapitres l’ensemble des thèmes qui marquent l’histoire de cet espace soviétique. À l’évidence la Russie d’aujourd’hui qui entend à nouveau retrouver son rang a également retrouvé des fondamentaux hérités de la période soviétique. Curieusement, alors que la renaissance de l’armée russe inquiète les états-majors occidentaux, l’évolution de l’armée rouge, sa décomposition pendant la période eltsinienne, et sa reconstruction actuelle ne semble pas avoir retenu l’attention des auteurs. Il est vrai que dans ce domaine les sources ne sont pas forcément facilement accessibles, et au-delà de l’obstacle de la langue, leur traitement suppose une certaine connaissance des doctrines militaires.

Curieusement la part de l’idéologie dans les inflexions politiques des directions successives du pays n’apparaît pas vraiment. Pas plus d’ailleurs que l’histoire pré-soviétique qui explique pour une large partie certaines évolutions et certaines perceptions que les dirigeants communistes ont pu avoir. Contrairement à ce que l’on imagine souvent, malgré l’internationale, il ne faisaient pas forcément « du passé table rase ». Le nationalisme, le sentiment de représenter une alternative à l’Occident, la russification de la doctrine marxiste, ont pu imprégner les différents dirigeants soviétiques et leurs successeurs actuels. La nomenklatura dont le pouvoir reposait sur une série de privilèges que l’autorité pouvait justifier a pu se reconvertir en une forme d’oligarchie organisée autour d’entreprises d’État ou d’entreprises privées directement liées aux premiers cercles du pouvoir. Dans le domaine de l’exercice de l’autorité politique il semblerait que les continuités l’aient emporté au final sur les ruptures.