« Cet atlas remonte le temps et livre une histoire géopolitique du sport, depuis les jeux de la Grèce antique jusqu’à la globalisation actuelle ». Les plus de 90 cartes et documents nous ouvrent alors les yeux sur une géopolitique mondiale tout à fait originale. Elles sont réalisées par le cartographe Paul GALLET et sont commentées par Lukas AUBIN, chercheur associé à l’IRIS et docteur en géopolitique avec Jean-Baptiste GUÉGAN, enseignant et expert en géopolitique du sport.
Les auteurs rappellent dans l’introduction que le sport rassemble toutes les dimensions de la méthode géopolitique : territoires, conflits, représentations. C’est surtout un moyen de comprendre l’état du monde et en même temps d’influer sur son cours. Médailles, tournois, grandes compétitions internationales, le sport est un instrument de mesure de la puissance des États et une arme de diffusion massive. Influence, puissance dure et douce, diplomatie, le sport est « un indicateur de la puissance et du déclin des nations » au centre de la ville internationale. Plus qu’hier et moins que demain, il est l’avant-garde des relations internationales et son baromètre.
Une histoire géopolitique du sport
De la naissance des olympiades antiques à la médiatisation planétaire des méga-évènements, le sport s’est imposé comme un enjeu géopolitique entre les nations. Il a diffusé un modèle de société occidental et participé au phénomène de la mondialisation. Les premières traces des Jeux antiques remontent au IIIème millénaire avant notre ère. Entre le VIIIème et le Vème siècle av. J.-C., les Jeux panhelléniques apparaissent dans toute la Grèce pour réunir les plus grands athlètes lors de fêtes sportives mémorables, les plus célèbres se déroulant à Olympie. Au milieu du XIXème siècle, le sport moderne apparaît en Grande-Bretagne en même temps que les révolutions industrielles. Mutation des sports traditionnels, il rationalise et diffuse la pratique sportive dans le monde entier en quelques décennies. Les Jeux Olympiques modernes en sont un des évènements phares depuis 1896. Dès leur origine, ils constituent un instrument de pouvoir révélateur de la puissance, en dépit des discours destinés à prôner leur universalité. Durant l’entre-deux-guerres ou la Guerre Froide, le sport est tantôt un instrument diplomatique, une voix de propagande ou une façon de rayonner à l’international. Il est régulièrement dévié de son usage premier, notamment par les régimes totalitaires. Pendant la décolonisation, le sport devient également un instrument d’émancipation, qui permet par exemple à l’Afrique de s’affirmer. Aujourd’hui, si l’Occident domine toujours le sport mondial en matière de résultats, il est désormais contesté. La coupe du monde de football qui se déroule au Qatar en décembre 2022 en est un exemple.
Le sport au-delà des nations
Désireux de s’autonomiser, le monde du sport s’est peu à peu organisé pour construire et régenter un écosystème unique, répondant au droit du sport. Dans la Charte olympique du CIO comme dans le code de la FIFA, l’objectif reste le même : dépolitiser le sport pour en faire un objet neutre. Un objectif vain ? Le sport moderne a en effet toujours été politique. Instrument du soft power, il est utilisé par les États pour construire leur représentation à l’étranger et élargir leur influence. Plateforme diplomatique, instrument de rayonnement, outil de soft power, le méga-évènement sportif est devenu une arme protéiforme instrumentalisée par les États et visionné par la moitié de la planète. Le sport est aussi devenu un élément essentiel de nos sociétés, un « fait social total ». Désormais secteur d’activité en pleine croissance, il est l’objet de toutes les convoitises avec des acteurs sportifs internationaux qui visent à le contrôler réglementairement et financièrement comme la NBA pour le basket américain, la FIFA pour le football ou la FIA et Liberty Media pour la F1. Recherche de sponsors et inflation des droits TV sont le symboles d’un marketing sportif devenu polymorphe.
Géopolitique de la puissance sportive
Outil au service des nationaux et des nationalismes, le sport est devenu un facteur d’édification des romans nationaux autant qu’un instrument de contrôle social, pour les régimes démocratiques comme pour les régimes autoritaires. On peut alors distinguer les sportocaties en quête d’hégémonie et les sportocratures, fruits de régimes verticaux à tendance autoritaire, qui perçoivent le sport comme un instrument à contrôler afin de mieux diffuser leur pouvoir en interne comme en externe. Le sport peut parfois être un moyen pour les États fantôme d’exister dans le concert international. L’ONU reconnaît 197 pays alors que le CIO compte 206 Comités, la FIFA 211 associations. Tous les États, reconnus ou non selon les Fédérations Internationales, ont une stratégie sportive plus ou moins élaborée : America First pour les États-Unis, juguo tizhi en Chine, sportokratura en Russie, priorité stratégique pour les pays du Golfe. Chacun veut développer ou renforcer leur sport power.
Géopolitique des territoires du sport
Le sport, c’est d’abord une affaire de lieux, d’espaces et de territoires. Par l’intermédiaire de stratégies venues du marketing, on assiste à une « sportivisation » des lieux afin d’élaborer un narratif favorable et construire une image de marque attractive. Ainsi se développent des Sports Cities au Moyen Orient, comme Dubaï, Abu Dhabi, Doha ou Lusail. Des acteurs privés étendent également leur influence par leur politique sportive (Red Bull) ainsi que des acteurs publics, comme la Chine par le biais d’investissements d’entreprises dans des clubs de football européens ou par une véritable diplomatie des stades très active en Afrique. Le Sport power chinois s’illustre aussi par l’accueil des jeux d’été et d’hiver par la première fois dans la même ville, Beijing. Le sport s’est révélé aussi être un outil de contrôle de ses marges (à Sotchi, Grozny ou Kazan) par l’État russe. Enfin, Los Angeles et Paris profitent des Jeux Olympiques pour réaménager leur territoire afin de répondre à la concurrence internationale.
Une fois cet ouvrage terminé, on s’aperçoit que les cartes du sport sont aujourd’hui rebattues. Jusqu’alors l’apanage des puissances traditionnelles, le sport moderne est désormais bouleversé par de nouveaux acteurs avec des rapports de force de plus en complexes. Aussi il est confronté au « piège de Coubertin », cette contradiction originelle entre la volonté de faire la paix par le sport et son usage comme instrument de puissance.