L’entrée en guerre de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, le 24 février 2022, est, sans conteste, une rupture et un tournant dans l’histoire du XXIe siècle. Cette guerre a des conséquences planétaires, faisant évoluer les grilles de lecture stratégiques. Pour Alexis Bautzmann, qui dirige cette nouvelle édition de l’Atlas géopolitique mondial, cette guerre marque la fin d’une époque, celle de l’illusion des « dividendes de la paix », et le retour de la guerre de haute intensité au cœur du continent européen. Cette guerre replace la barbarie au centre de notre horizon géopolitique, avec des risques de pénuries alimentaire et énergétique, ainsi que la menace du nucléaire. Cette effervescence soudaine, qui transparaît largement tout au long de cet atlas, préfigure un nouveau cycle de confrontation planétaire. Alexis Bautzmann parle de l’apparition d’un nouvel « axe du mal », qui prend forme autour de la Chine, de la Russie, deux Etats dont l’ombre plane sur nombre d’articles de cette édition 2023, et l’Iran, sans oublier certains pivots incertains et de nouveaux « non-alignés ». Autre fait qui apparaissait déjà dans l’édition 2022, le modèle démocratique n’est certainement plus aussi dominant que nous voudrions l’espérer. Ce constat a des conséquences géopolitiques bien visibles dans une partie des articles.

Les 66 articles de cette 10e édition de l’Atlas géopolitique mondial nous montrent un monde morcelé, fracturé, en pleine recomposition. C’est cette nouvelle carte de la mondialisation et ces recompositions que, au travers de multiples thèmes et d’une variété d’acteurs, il tente d’explorer. Avec près de 300 cartes, il couvre l’ensemble des continents, à l’exception de l’Océanie qui n’est abordée que très brièvement, et aborde une centaine d’évènements marquants, avec des articles allant de deux à une dizaine de pages, permettant de faire un tour du monde de l’actualité internationale. Des sujets moins médiatisés, comme l’industrie du jeu vidéo ou des jeux d’argent, sont aussi abordés car nécessaires à la compréhension du monde dans lequel nous vivons L’ensemble est complété par une section consacrée aux enjeux internationaux non traités dans les sections dédiées aux continents, ainsi qu’une nouvelle section, « Vu d’en-haut », qui repose sur des photographies satellites. L’ensemble des textes et illustrations de cet atlas est le fruit de plus de dix-huit mois d’un remarquable travail d’analyse et de cartographie par la rédaction de la revue Carto. Difficile de résumer cet atlas, tant il est riche et les thèmes variés.

Le tour du monde de l’actualité internationale

Les sections consacrées aux cinq continents mettent en avant une multiplication des conflits, un réarmement du monde et une multiplication des frontières. Si les conflits et tensions multiples sont au cœur de cet Atlas, les auteurs n’oublient pas d’autres grands enjeux de la planète, comme les catastrophes naturelles, les élections, l’énergie ou les migrations.

La section consacrée à l’Europe offre une large place à la Russie, avec un long article sur son fonctionnement sous l’autorité de Poutine La guerre en Ukraine est explicitée, au moyen de cartes qui permettent de comprendre son origine, ses enjeux, son déroulé et ses conséquences. Ces dernières et les impacts de cette guerre et de la politique extérieure russe apparaissent largement dans les autres articles. La question de la puissance de la France dans le monde est également explicitée et questionnée, avec comme complément, un intéressant article sur les ventes d’armes françaises. La France apparaît comme une « puissance moyenne » de plus en plus contrariée, T. COURCELLE se posant la question de son déclassement. La présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, assurée par la France entre le 1er janvier et le 30 juin 2022, était une opportunité pour Paris de réaffirmer son leadership dans un monde en transition, traversé par la crise sanitaire de la Covid-19. Mais les nouveaux rapports de force internationaux, ainsi que la concurrence des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie interrogent quant à sa capacité à réussir à s’affirmer. Les conséquences du Brexit, avec le conflit autour de la pêche, concluent cette première section.

Comme les autres sections dédiées aux différents continents, celle sur le Moyen-Orient est assez éclectique. Si la présence de l’organisation de l’Etat islamique en Syrie et en Irak a accaparé l’actualité au Moyen-Orient et donc l’analyse des experts de cet ouvrage, ces derniers n’oublient pas la question clé du pétrole, centrale dans le contexte actuel de pénurie énergétique, des différents régimes autoritaires (comme l’utilisation de l’armée en Turquie, les frères musulmans face à l’épreuve du pouvoir) et les élections présidentielles en Iran. Certains lieux stratégiques sont analysés, comme Dubaï ou la Mer Rouge.

Les syndromes qui frappent l’Afrique sont bien explicités : les conflits d’usage des multinationales autour de grands aménagements (comme le Grand Barrage de la Renaissance du Nil), le climat, les régimes autoritaires, les dettes vertigineuses, trafics en tous genres, les menaces terroristes, la mainmise économique de la Chine, notamment avec ses ports africains, vitrines d’une stratégie globale. Un intéressant court article sur le pont de Kazungula apporte une note d’espoir. Inauguré le 10 mai 2021, il permet de franchir le fleuve Zambèze et de relier deux pays frontaliers d’Afrique australe, la Zambie et le Botswana. Les enjeux économiques et politiques de ce pont s’inscrivent à différentes échelles, et notamment à l’échelle continentale dans la mesure où il pourrait favoriser le développement de toute la région.

La section sur l’Asie commence sur la Chine, avec notamment un Parti communiste centenaire qui permet de mieux comprendre le fonctionnement de cet Etat incontournable. Les questions d’une potentielle guerre avec Taiwan et de son influence sur l’Asie du Sud-Est complètent le grand article sur les évolutions de la Chine depuis 1949 et de son image d’invincibilité. Le nucléaire en Polynésie-française, la Sibérie, le Kazakhstan, où des affrontements violents liés à la brutale montée des prix du gaz mettent en péril le régime, les talibans en Afghanistan, les tensions à la frontière du Kirghizstan et l’extrémisme hindou sont également abordés.

Enjeux internationaux

Cette section permet de traiter de thèmes absents des sections continentales, à commencer par la faim dans le monde, aggravée par la pandémie de Covid-19, qui a été presque éclipsée par la guerre en Ukraine. La pandémie a causé une aggravation de la faim chronique. Outre les conséquences de la pandémie sur l’accélération des inégalités alimentaires et sur les prix, ce premier article présente les pistes de l’ONU pour combattre la malnutrition et des mesures adoptées dans certains pays.

Le retour des frontières, thème très présent dans les autres sections, est analysé par Eric Janin qui s’appuie sur plusieurs exemples. Ces frontières, en tant qu’objets politiques, culturels et identitaires complexes, reposent sur des épaisseurs géographiques figées et mouvantes. Elles s’inscrivent dans l’espace et dans le temps des sociétés humaines. A la fois limites, séparations, fronts, interfaces et territoires, elles répondent à des dynamiques complexes et sont une des clés de lecture pour comprendre les évolutions du monde actuel. Cet article est indispensable pour comprendre leur fonctionnement et leurs enjeux.

D’autres thèmes sont abordés, comme les interventions militaires, la cyber-sécurité, les jeux d’argent et l’industrie géopolitique en mutation des jeux vidéo. Ces différents thèmes sont des clés de lecture indispensables pour comprendre les mutations contemporaines et sont un intéressant complément aux parties précédentes.

L’apparition de la section « Vu d’en haut »

Cette 10e édition de l’Atlas géopolitique mondial marque l’apparition de cette nouvelle section consacrée aux images satellites. Devenues incontournables dans de nombreuses pratiques, tant professionnelles, avec l’utilisation du site GéoImage par exemple, que personnelles. Leur utilisation pédagogique est désormais courante. Ces photographies satellites permettent d’observer les dynamiques géopolitiques depuis le ciel. Des sujets variés sont abordés, avec une place importante accordée aux frontières, comme la frontière Etats-Unis/Mexique ou la frontière maritime entre la Grèce et la Turquie. Différents lieux, à différentes échelles, sont analysés, comme Bora-Bora, impressionnante vue du ciel avec ses récifs coralliens, Manaus, Singapour, Hainan (la nouvelle base sous-marine nucléaire chinoise), El Ejido en Espagne, avec la « mer de plastique » constituées par les serres et les activités agricoles productivistes. Ces images satellites permettent une autre vision de l’actualité internationale et offrent une réelle plus-value en termes d’analyse de paysages ou de représentation des grands enjeux internationaux.

Conclusion

Le grand intérêt de cet atlas, selon moi, est la qualité et la précision de ces illustrations, cartes, graphiques et photographies satellites, avec une très grande qualité des cartes. Ces illustrations en disent long sur les phénomènes présentés et sont systématiquement contextualisées. Les textes qui les accompagnent sont à la fois concis et précis, toujours clairs et facilement exploitables dans le cadre scolaire. En à peine quelques lignes, ils parviennent à situer le cadre et les enjeux de chacun des espaces ou sujets évoqués, en restant toujours neutres. Cet effort de synthèse est remarquable et témoigne d’une grande maîtrise des auteurs. Les textes, les cartes, les graphiques et les photographies peuvent être exploités en classe, pour compléter les cours ou créer des activités pédagogiques. Les cartes à différentes échelles ou les photographies satellites sont particulièrement précieuses tant pour de l’analyse de paysage que pour travailler sur les des espaces à différentes échelles. De plus, par leur grande précision, les cartes permettent de décrypter la réalité géopolitique d’un monde globalisé en perpétuel mouvement, et aujourd’hui en pleine recomposition. Cet atlas est un outil indispensable qui devrait être présents dans tous les établissements scolaires.