Ce sixième volume de la collection Atlas/Mégapoles, consacré à Séoul, a été écrit par Valérie Gelézeau, maître de conférence à l’EHESS, directrice du Centre de recherches sur la Corée, spécialiste de Séoul et des grands ensembles en Corée du Sud :

Illustré de cartes réalisées par Claire Levasseur (cartographe indépendante) et de photographies prises par Cathy Rémy (rédactrice photo au Monde Magazine), cet atlas suit le plan habituel des précédents volumes de la collection des éditions Autrement (origines historiques, la ville mondiale, au cœur de la ville, la mégalopole et sa région, quel avenir?).

Du coup d’État au coup d’État

 

Séoul, incarnation pour l’architecte Rem Koolhaas de la « ville générique », c’est-à-dire de la mégapole contemporaine, n’était au début du XXe siècle qu’une « paysanne qui ne paye pas de mine » (Georges Ducrocq, 1904). Fondée comme capitale en 1392 par le coup d’État de la dynastie Yi (qui régna jusqu’en 1910) et construite à partir de 1394, comptant plus de 200 000 habitants au XVIIIe siècle, Séoul connait de grandes transformations fin XIXe (tout-à-l’égoût, élargissement et pavement des rues, éclairage électrique, tramway) sur le modèle occidental. Sous l’occupation japonaise (1910-1945), les fonctions administratives, commerciales et financières sont renforcées, l’industrie se développe et la population explose par l’exode rural. Les Japonais poursuivent les grands travaux d’urbanisme et la modernisation technologique et culturelle de la ville « à l’occidentale ». La guerre de Corée détruit Séoul aux ¾ et la vide de ses habitants : la période de reconstruction (1953-1960) est synonyme de grande pauvreté et de bidonvilles. En 1961, le coup d’État du général Park Chung-hee installe une dictature militaire soutenue par les États-Unis, qui lance la Corée du Sud et Séoul sur la voie du développement économique.

« Miracle sur le Han »

Les années de la dictature sont des années de croissance forte. Grâce au moteur de l’industrialisation (industries légères et d’exportation, puis industries lourdes dans une économie planifiée, Séoul est une « pompe démographique » qui absorbe plus des 2/3 de la croissance urbaine (les logements précaires, résorbés dans les années 1980-1990, représentaient 30% du parc dans les années 1970) et économique d’une Corée du Sud en pleine transition démographique, qui devient un NPI en 1974. Séoul passe de 2,5 à 10 millions d’habitants entre 1960 et 1990. Au début des années 1990, le retour à la démocratie s’accompagne d’une tertiarisation de l’économie et du passage à une société informationnelle. Séoul atteint son maximum démographique au début des années 1990 (9e au palmarès des mégapoles en 1990), la population se redistribuant par la suite vers les villes-satellites. Aujourd’hui Séoul compte près de 10,5 millions d’habitants (22e rang mondial en 2010), et la traditionnelle opposition Nord-Sud a été renversée par l’extension urbaine des années de croissance, au profit du Sud de la mégapole : les arrondissements du Sud pèsent un peu plus de 50% de l’ensemble.

Une ville mondiale

Séoul n’est pas une « ville globale » (S. Sassen) mais est devenue, par les politiques volontaristes de l’État central planificateur et des maires successifs, une « ville mondiale » (J. Friedman), c’est-à-dire une plaque tournante de l’économie mondiale. Elle concentre 1/3 de l’emploi de la Corée du Sud, plus de la moitié de l’épargne, plus de 90% des sièges sociaux des chaebols, 65% des chercheurs. C’est une ville où le tertiaire (plus de 80% de l’emploi urbain) a connu une forte croissance, particulièrement le tertiaire de haut niveau (finances, services aux entreprises, recherche) et le complexe informationnel. Depuis les années 1990 Seoul s’est internationalisée en s’ouvrant aux capitaux étrangers dans les chaebols et à la Bourse, après des années d’extraversion nationalement contrôlée de l’économie et de délocalisations à l’étranger. Cela s’est traduit par la construction de trois quartiers d’affaires aux gratte-ciel modernes, un quatrième étant en train de se constituer.
Mais Séoul reste un grand pôle industriel (moins de 20% de l’emploi urbain), dominé par le vêtement, l’électronique et l’électrique, l’imprimerie et la publication. Un nouvel axe des industries de haute technologie s’est constitué dans le centre (« Téhéran Valley »), mais aussi sur d’anciens espaces industriels. Les industries lourdes se sont installées au Sud-Ouest et vers Incheon (où se trouve l’aéroport international et une plaque tournante asiatique pour le trafic des containers), à la faveur des politiques de déconcentration de la ville-centre.

Enfin Séoul est devenue une capitale culturelle depuis la fin des années 1980 et le tournant démocratique. Elle abrite 30% des étrangers du pays (soit moins de 2,5% des habitants de Séoul) dans le quartier international de Yongsan et des « villages mondiaux » ethniques, qui viennent étudier ou travailler. Outre les 30 000 représentations théâtrales et musicales montées en 2009, elle organise des événements internationaux – conférences scientifiques, compétitions de jeux vidéo, Jeux Olympiques ou Coupe du monde de football – qui suscitent des projets de réaménagement urbain et des extensions, au-delà des infrastructures sportives, comme des technopôles ou des zones économiques spéciales intra-muros pour attirer les IDE. Séoul est aussi une destination touristique majeure pour les Japonais et les Chinois. Reste que Séoul peine à émerger, sur le plan international, en terme d’image, notamment en Occident, malgré l’internationalisation de l’architecture de prestige (Rem Koolhaas, Jean Nouvel, Zaha Hadid).

La « république des appartements »

Séoul propose, en matière de logement, un modèle original pour nous Français. Si les maisons individuelles représentaient 70% du parc de logement en 1970, aujourd’hui le logement collectif représente 70% du parc, sous la forme de grands ensembles d’appartements (apateu danji) pourvus de commerces et de services. C’est le résultat d’une politique gouvernementale systématique, destinée aux classes moyennes et à la bourgeoisie urbaine, qui avait érigé l’appartement en symbole de la modernité. Depuis la fin des années 1990, une partie des appartements est réservée à la location pour des catégories plus modestes, mais on construit aussi de nouveaux types de logements collectifs de luxe avec équipements collectifs (scolaires, loisirs, services) et commerciaux, dans des résidences fermées et surveillées qui constituent des gated communities.

Séoul s’est donc couverte de grands ensembles, qui ont gagné le grand Séoul des villes-satellites et des villes nouvelles. De nouveaux projets voient le jour dans les espaces encore libres de Séoul et sur des friches industrielles, sans oublier le mouvement de rénovation des premiers grands ensembles, sur lequel on peut par exemple consulter le site suivant :

http://www.arch.columbia.edu/work/courses/studio/sp10-yang

À côté de ces appartements règne le petit collectif, l’immeuble à 3-4 étages avec toit-terrasse. On voit enfin apparaître depuis la fin des années 1980 et depuis la crise de 1997-1998 des signes d’exclusion urbaine : SDF autour de la gare de Séoul, croissance de l’économie informelle, meublés (logements précaires souvent occupés par des personnes âgées), bidonvilles en bâches de plastique dans les périphéries extrêmes de Séoul (depuis la fin des années 1980)

Séoul cœur de la mégalopole sud-coréenne

Séoul domine une région métropolitaine (la province du Gyeonggi) de 11 000 km2 et plus de 23 millions d’habitants (essentiellement citadins), où le port d’Inchéon (2,6 millions d’habitants) est le pôle secondaire. Des politiques continues de déconcentration, en particulier de l’industrie dans le sud-ouest, ont été menées et cinq villes nouvelles ont été créées. Il y eu une sorte de front pionnier vers le nord et la frontière, mais l’essentiel de la déconcentration a concerné le sud et le sud-ouest. Depuis 1998, le projet le plus important est la construction autour du port d’Inchéon de la plus grande zone franche de Corée du Sud, fondée sur l’interconnexion des transports maritimes et aérien et la création d’un téléport. L’Incheon Free Economic Zone (IFEZ), prévue pour 110 000 résidents (dans des grands ensembles) et financée par des IDE (93% des 25 millions de dollars estimés) comprend trois pôles : l’aéroport de Yeongjong, la zone de Cheongnan (industrie, commerce, recherche, tourisme) et la « technoville » de Songdo (culture, enseignement, recherche, nouvelles technologies, finance) :

http://www.fez.go.kr/en/fezs/incheon-free-economic-zone.jsp

Ces projets renforcent la domination de Séoul sur le corridor industrialo-urbain qui relie la capitale à Busan (1er port et 2e ville du pays avec 3,4 millions d’habitants) sur un peu plus de 400 km, le long d’un axe traditionnel nord-ouest/sud-est. Ce couloir est une mégalopole qui comptait en 2010 plus de 34 millions d’habitants (70% de la population sud-coréenne et plus de 80% des citadins sud-coréens), six des sept métropoles millionnaires du pays, et était responsable de plus de 75% du PNB, avec 80% des emplois du secondaire. On y trouve aussi les principaux axes routiers, autoroutiers, ferroviaires (avec le KTX, le TGV sud-coréen, depuis 2004) et aériens du pays. Cette mégalopole renvoie moins à la mégalopole américaine qu’à un type asiatique de région desakota, où le rural et l’urbain sont imbriqués selon des critères socio-économiques (migrations pendulaires et pratique de la double activité), autrement dit une région mi-rurale mi-urbaine.

Pour conclure

Il y aurait encore beaucoup à dire, notamment sur les politiques d’embellissement par des espaces verts, des parcs de loisirs, des équipements culturels, ou encore sur la ville sous la ville qui se développe de plus en plus, avec des galeries marchandes, des rues souterraines, des places publiques. On aurait pu aussi parler des problèmes de circulation dans une ville qui, malgré des transports publics en développement, souffre de l’explosion des voitures individuelles. On soulignera encore l’existence d’un intéressant chapitre sur la concurrence et l’effet miroir entre Seoul et Pyongyang.

Cet atlas, à la cartographie très riche et éclairante, et qui propose une bibliographie et une sitographie nourries, constitue donc une mise au point précieuse, particulièrement pour le professeur de Terminale qui a encore, cette année, l’aire de puissance de l’Asie Pacifique au programme, mais aussi pour tout professeur de Géographie qui souhaite varier ses exemples urbains au collège ou en Seconde. C’est aussi une belle invitation au voyage en Corée du Sud.

Laurent Gayme

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