D’abord, il y a le plaisir de feuilleter cet imposant ouvrage soigné. La qualité des photographies et de la mise en page facilitent la plongée dans un texte de référence écrit par les meilleurs spécialistes de la question. La Franche-Comté demeure la première région industrielle du pays en part dans l’emploi ce qui signifie aussi une grande variété industrielle. En plus des thématiques, on trouve tout au long du livre des flashs sur des lieux et, à la fin de chacune des parties, des cahiers intitulés « Au fil des images ».
De l’industrie au patrimoine
Ce livre n’est pas une histoire de l’industrialisation de la Franche-Comté. Il donne plutôt à voir et à comprendre le patrimoine industriel dans sa diversité. Les auteurs rappellent d’abord comment est apparue cette idée. Dans les années 1980, on procède à un premier repérage, à un moment où l’industrie est en train de régresser. Cette époque est marquée par les démolitions, reconversions, mais c’est aussi le moment de capter la mémoire des gens et de ces installations. Ensuite, se posa la question de la protection puis de la labellisation. Aujourd’hui, l’industrie se décline parfois sous forme de lieu de tourisme.
De quelques caractéristiques de l’industrie en Franche-Comté
Raphaël Favereaux et Laurent Poupard détaillent ensuite le rôle de l’Inventaire puis ils insistent sur quelques caractéristiques de l’industrialisation dans la région. Ils mettent en avant les ressources naturelles qui existent, les moyens de communication ou encore l’importance de l’énergie hydraulique. Il ne faudrait pas oublier non plus le rôle de la Suisse. Ainsi, l’industrialisation d’une ville comme Pontarlier s’explique en grande partie par la proximité avec la Suisse. Il est important de donner quelques chiffres sur la période avant le choc pétrolier pour mesurer le poids qu’a pu avoir l’industrie. Peugeot occupait alors 200 hectares, employait 30 000 personnes et produisait 550 000 véhicules par an. L’ouvrage s’intéresse également à l’architecture industrielle en parlant des sheds, des châteaux patronaux et des logements ouvriers. Face à tant de variété et d’aspects, l’ouvrage choisit d’axer son discours autour de quatre grands domaines qui réunissent le plus de sites dans la région.
Produire le métal : fer, fonte et acier
Cette première partie est chronologique et distingue quatre périodes. Elle évoque d’abord le Moyen Age et les différents procédés qui existent alors pour produire le métal. Sous l’Ancien-Régime, on assiste à un essor de la métallurgie dans les montagnes du Jura. On relève aussi l’importance de la Haute-Saône et celle des petits établissements. Le bois est alors un combustible très convoité. C’est l’époque où apparait une nouvelle méthode d’affinage plus économe en charbon de bois et en personnel. Le XIXème siècle peut être défini comme l’âge d’or de la métallurgie comtoise. Un passage est consacré à l’exploitation de la houille à Ronchamp.
« Grosse productrice de fonte la métallurgie haut-saônoise est une grande consommatrice de bois. Pour obtenir 1 000 kg de fer, il faut 2 800 kg de charbon de bois, obtenus à partir de 62 stères. » Parmi les flashs sur les lieux, l’un est consacré à Fraisans. Ensuite, on peut dire qu’à partir du troisième quart du XIXème siècle on assiste au déclin et à la reconversion de l’industrie. La forte concurrence des régions voisines produisant leur fonte pèse sur la Franche-Comté.
Taillanderie et horlogerie
La deuxième partie est structurée en six parties. Le val de Morteau est un des berceaux de la taillanderie comtoise. Un focus est proposé sur celle de Nans-sous-sainte-Anne qui fabriqua jusqu’à 180 faux et 87 outils taillants différents. Le deuxième secteur développé est l’horlogerie qui s’est principalement concentrée sur quatre zones. L’horloge d’édifice, de parquet et la montre sont successivement présentées. Les liens avec la Suisse sont nombreux. Cette industrie impliquait également des architectures particulières donnant un accès important à la lumière. Morez devint un lieu majeur. Besançon s’imposa comme capitale française de l’horlogerie. En 1891, le nombre de personnes dépendant de l’horlogerie est évalué à 10 000 pour une population de 56 000 Bisontins.
Lunetterie, outillage et véhicules
L’ouvrage continue en évoquant la lunetterie. Comme la montre, ce fut une industrie de montagne donc de main-d’oeuvre. La clé du succès c’était une matière première bon marché, un outillage réduit mais au final une forte valeur ajoutée. Dans le domaine de la lunetterie, le système de l’établissage se développe. En 1976, Morez assurait la moitié de la production française. Le livre aborde ensuite le domaine de l’outillage avec notamment les pinces de Montecheroux puis les véhicules avec à la fois Peugeot et Alsthom, mais sans oublier les multiples constructeurs aujourd’hui disparus. On peut évoquer la marque Zedel à Pontarlier. Le chapitre se termine par le machinisme agricole sans oublier de redonner toute sa place aux chevaux à l’époque.
Exploiter les ressources naturelles : minéraux et sel
Les auteurs proposent ici un tour d’horizon des ressources disponibles et de leur exploitation et utilisation. Côté minéraux, c’est l’occasion d’évoquer les carrières, la pierre de Chailluz si employée dans les bâtiments bisontins. Il ne faudrait pas oublier la pierre de Vergennes en Haute-Saône. Les marbres sont ensuite abordés avec une exploitation attestée dès le XVIème siècle sans omettre les lapidaires et diamantaires du Haut-Jura. La deuxième ressource est le sel avec évidemment Arc-et-Senans et Salins-les-Bains reconnus par l’Unesco. Là encore, l’ouvrage restitue cette industrie de façon large en parlant de toutes les autres salines régionales aujourd’hui disparues. « L’industrie du sel a laissé un patrimoine assez hétérogène : bâtiments en grande partie détruits, reconvertis ».
Exploiter les autres ressources naturelles
Sable et argile ont donné naissance à une industrie du verre particulièrement importante aussi dans la région. Il faut garder en tête qu’une verrerie consomme énormément de bois puisque 95 % est brûlé pour obtenir la potasse et 5 % seulement sert de combustible. Parmi les hauts lieux en ce domaine, il y a la verrerie de Passavant la Rochère. La partie développe aussi le cas de la tuilerie de Malbrans ou des faïenceries de Salins-les-Bains. On continue avec le bois et le papier. Le taux de boisement de la région est de 45 % aujourd’hui alors que la moyenne française se situe à 30 %. Les scieries se multiplièrent jusqu’aux Trente Glorieuses. On peut citer la boissellerie, l’industrie pipière avec Ropp ou encore les papeteries comme celle de Mandeure, toujours en activité. Enfin, les auteurs abordent l’énergie avec le site de Vouglans ou le charbon de Ronchamp.
Se nourrir : pain, fromage et spiritueux
La dernière partie de l’ouvrage invite le lecteur à rejoindre la table. Côté fromage, la région comptait en 1870 plus de 1100 fromageries. Une grande partie de la production est dès cette époque exportée. Le système de la fruitière est utilisé. Son succès repose sur deux principes simples : il nécessite peu de capitaux et la connaissance mutuelle de ceux qui participent écarte tout risque de fraude. Le chalet d’estive est le premier type de construction dédié à la fabrication du fromage en Franche-Comté. Cette activité demeure très présente et devient également un objet de tourisme comme le montre la nouvelle maison du Comté qui vient d’ouvrir à Poligny. Après la meunerie, le livre se conclut par les distilleries. On trouve forcément plusieurs pages sur Fougerolles. En 1870, on comptait pas moins de 60 000 cerisiers sur le territoire de la commune. En 1901, la ville concentre 59 des 67 distilleries du département de Haute-Saône. Il en reste quatre en activité aujourd’hui. On change ensuite de département et de boisson avec l’absinthe autour de Pontarlier. Le début du XXème siècle est l’âge d’or de cette boisson : un verre d’absinthe coutait alors moins cher qu’un verre de vin.
Le voyage se termine ici. L’ouvrage, encore une fois magnifiquement illustré, retrace la destinée de la Franche-Comté, terre d’industrie et de patrimoine. Fruit de longues années de collecte et de travaux, le livre offre au grand public, comme au spécialiste, une synthèse à la fois attractive et informée.
Jean-Pierre Costille