Olivier Millet, Calvin, Un homme, une oeuvre, un auteur, Infolio, Genève, 2009, 10 euros.

La commémoration du cinq-centième anniversaire de la naissance de Calvin (10 juillet 1509-27 mai 1564) donne lieu à une foison de publications, colloques et manifestations en tout genre, mais ce petit ouvrage bon marché, publié sans surprise par un éditeur genevois, sera assurément l’un des meilleurs publiés à cette occasion. Ce n’est pas exactement une biographie car on ne suit pas le personnage au jour le jour, mais bien une présentation de l’homme, de son action et de sa pensée. L’A., professeur de littérature française à Paris XII, met en particulier l’accent sur le milieu culturel et historique dans lequel a vécu Calvin et c’est là un des grands intérêts de l’ouvrage. Les problèmes de théologie « purs » n’occupent qu’une place restreinte, ce qui permet de découvrir un personnage très différent de l’image qu’on nous présente généralement.

Parce que c’était Calvin, parce que c’était Genève

Originaire de Noyon, Calvin suivit à Orléans et Bourges des études de droit ; il rédigea un commentaire du De Clementia de Sénèque, mais sa vie prit un tournant inattendu à la suite de sa conversion dans les années 1533-34. Débute alors, à la suite de l’« affaire des Placards » (des affiches placardées en divers lieux importants du royaume pour dénoncer la messe), un exil qui le mena finalement à Genève, où il s’installa, à l’exception d’un intermède durant lequel il dut la fuir et se réfugier à Strasbourg de 1538 à 1541, et où il finit par imposer ses volontés et ses conceptions religieuses.
L’analyse de la relation du « choix réciproque » entre Calvin et Genève constitue l’un des passages les plus stimulants de l’ouvrage. Cette ville moyenne, sans aucun rayonnement culturel, était alors au coeur de tensions géopolitiques dont elle sut profiter pour s’émanciper du joug de son prince-évêque, lié à la maison ducale de Savoie, en « jouant » du soutien de Berne, passée au protestantisme, et de la volonté de la France de maintenir le statu quo. Le choix de la Réforme en 1536 et l’appel à Calvin marquèrent des étapes importantes dans l’affirmation de cette autonomie ; malgré de fortes tensions, ce dernier sut unir les membres de la cité autour de son projet et transforma en quelques décennies cette cité en l’un des plus importants centres culturels européens, célébré pour ses imprimeries et, à partir de 1559, son Académie : y convergeaient de nombreux Français, ce qui ne manquait pas de susciter des tensions avec les habitants du lieu.

L’humaniste qui n’aimait pas l’humanisme?

L’A. s’intéresse en particulier à la culture de Calvin et montre la complexité extrême des rapports qu’entretenaient les réformateurs avec l’humanisme. À l’université, il avait été reçu un enseignement juridique rénové, auquel Guillaume Budé et Érasme avaient conféré une nette orientation philologique et humaniste. Sa pensée demeura toujours imprégnée par cet humanisme : la volonté de traduire la Bible et d’en rédiger des commentaires en français – presque toutes ses oeuvres existent en deux versions, française et latine, traduites par ses soins ou par des proches – en est l’élément le plus saillant. Comme il est courant à l’époque, ces textes évoluent à chaque réédition, en particulier l’Institution de la religion chrétienne, qui, de sa première édition latin en 1536 à celle, définitive et en français, parue en 1560, reflète fidèlement les évolutions de la pensée de l’auteur. L’A. souligne qu’il s’agit d’un des chefs d’oeuvre de la littérature française du XVIe siècle, tant le Réformateur sait expliquer clairement des choses complexes. La volonté de permettre à un large public l’accès au texte sacré et de répandre ainsi la Parole divine était au coeur de ses préoccupations car Calvin se percevait avant tout comme un prédicateur dans la tradition des prophètes bibliques. Son interprétation de la Bible recourait volontiers aux catégories de la rhétorique cicéronienne, et laisse parfois affleurer des influences platoniciennes.
Pourtant, Calvin diverge des humanistes sur le point le plus essentiel, dans la mesure où il ne croit pas au progrès de l’homme par l’éducation mais place son espoir en Dieu seul, dans la droite lignée de saint Augustin.

Paradoxes calviniens

Ce livre permet de mieux sentir, à défaut de les résoudre, les paradoxes de la pensée de Calvin.
Paradoxe d’un homme qui, à l’instar des humanistes, refusait l’ascétisme monastique, mais rejetait les danses profanes, dans la plus pure tradition du Moyen Âge.
Paradoxe d’un homme qui légitimait au nom de la religion chrétienne le pouvoir civil, mais s’affirme progressivement comme la seule autorité dans Genève et fit condamner Michel Servet au bûcher.
Paradoxe d’un homme qui avait fui la France et refusait que les protestants vivant au milieu des papistes dissimulent leur foi, mais qui n’eut de cesse d’assurer le roi de France de la fidélité des sujets réformés ; qui espéra faire de ce dernier le héraut de la Réforme, mais qui, par son intransigeance doctrinale sur la question de l’Eucharistie, n’aboutit qu’à une radicalisation des positions et plaça les successeurs de François Ier en position de défenseurs acharnés de l’Église catholique, avec les conséquences tragiques que nous connaissons.
Paradoxes d’une époque où Calvin aurait écrit plus de 8000 lettres sans jamais rencontrer Érasme, pourtant installé à Bâle, où l’intensité des échanges intellectuels semble n’avoir eu pour conséquence qu’une aggravation des conflits, et où la recherche de la vraie foi aboutit au massacre de la Saint-Barthélémy.

On l’aura compris, cet ouvrage, dense mais toujours lisible, offre des perspectives intéressantes pour préparer et approfondir le programme de seconde et la question des liens entre l’humanisme et les Réformes.