La démographie des Autochtones du Canada et de l’Acadie à l’aune de leurs effectifs guerriers (1680-1780)

Les populations autochtones dans le tissu social colonial

Si la baisse de la population autochtone après le contact avec les Européens a été étudiée, le devenir démographique de ces populations beaucoup moins, c’est le sujet de cet ouvrage.

Les administrateurs coloniaux avaient une connaissance assez bonne de la taille de ces groupes, grâce notamment aux certains missionnaires. Les motifs militaires de ces informations : quel nombre de guerriers ? Ils sont plus discrets sur le reste des populations. Dans leur introduction les auteurs, Paul-André DuboisSon ouvrage Lire et écrire chez les Amérindiens de Nouvelle-France, publié en 2020 avait été chroniqué par la Cliothèque : https://clio-cr.clionautes.org/lire-et-ecrire-chez-les-amerindiens-de-nouvelle-france.html et Maxime Morin présentent rapidement leurs sources : des témoignages issus de correspondance, des journaux de campagne et les recensements et dénombrements des communautés autochtones catholicisées.

Les Autochtones du Canada et de l’Acadie

Ce n’est qu’avec la christianisation que l’on commence à avoir quelques données donc à partir des années 1660 durant lesquels les autochtones chrétiens rejoignent divers villages. Il est donc possible de compter les « Sauvages domiciliés » : les Hurons de Lorette ou les Iroquois de la mission de La MontagneUne lettre de Mgr de Laval à la Congrégation de la Propaganda Fidei à Rome dresse un état des lieux des populations algonquiennes vers 1667. Ces données chiffrées sont importantes pour le gouverneur qui peut ainsi connaître les forces disponibles pour défendre la colonie. Ces données ne comprennent pas les nomades saisonniers comme les Micmacs ou les Malécites.

L’auteur dresse un portrait de ces villages autochtones de la vallée du Saint-LaurentTableau des « missions » p. 11-13, mais le tableau démographique n’est pas encore fait.

Les sources narratives et statistiques

Les différentes sources du travail entrepris sont présentées en détail, avec leur intérêt et leurs limites : la correspondance de l’administration civile française, les documents britanniques pour la seconde moitié du XVIIIe siècle, les écrits missionnaires, les récits de voyages et de captivité comme le récit laissé par le botaniste suédois Pehr Kalm sur son passage chez les Hurons de la Jeune-Lorette le 12 août 1749 ou celui d’Anthony Casteel, captif des Micmacs en 1753.

Une autre source intéressante, les journaux de campagne militaire permettent de connaître les effectifs des guerriers, mais ne renseignent pas sur la population des villages et sont brouillés par les migrations abénaquises.

Enfin, les recensements de la fin du XVIIe siècle qui détaillent la population selon les sexes et les catégories d’âgeUn tableau donne la liste des recensements connus pouvant servir à l’étude des populations autochtones du Canada et de l’Acadie (1680-1795) – p. 30-34.

Certains de ces recensements sont très précis, nominatifs comme le plus complet, celui de 1708. La connaissance de la mission des Micmacs d’Acadie est celle du prêtre chargé de leur encadrement religieux, l’abbé Antoine Gaulin.

L’établissement d’un rapport guerriers / population totale

Les auteurs s’interrogent sur la meilleure façon d’établir un rapport entre le nombre de guerriers et la population totale d’un groupe autochtone. Il s’agit de définir le guerrier. L’exemple de la mission de La Montagne (1692-1695), bien documentée, permet de donner un rapport moyen de 1/4.

Validation des rapports guerriers / population totale

La démarche est appliquée aux « domiciliés » de Sault-Saint-Louis, environ 1 000 individus vers 1700.

Mais en fonction des conflits avec les Iroquois et des besoins de la traite de fourrure, les missions se déplacent. Les auteurs analysent ainsi le cas des Abénaquis et celui difficile des Micsmacs dans le contexte du conflit avec les Anglais en Acadie.

Abénaquis, Micmacs et historiens à travers le labyrinthe des chiffres

Après l’exploration des sources, il s’agit de dresser des tableaux nation par nation.

Les Abénaquis, du fait de leur mobilité ne peuvent être appréhendés qu’en tant que peuple. Au XVIIIe siècle, la population des villages de Saint-François, de Bécancour, de Narantsouak et de Panawamské est évaluée à environ 3 000 individus dont environ 5 à 600 guerriers.

Les Micsmacs se déplacent sur un très vaste espace de l’Acadie à la vallée du Saint-Laurent, sans doute 1 500 personnes à la fin du XVIIe siècle. L’effectif paraît fiable, d’une source à l’autre, malgré leurs déplacements, en particulier dus aux conflits entre les puissances coloniales. Il semble que même après la conquête anglaise les effectifs soient assez constants.

Iroquois, Algonquins, Hurons et Montagnais : estimations démographiques

Ces populations ont vu leurs effectifs varier fortement depuis l’époque des contacts. Après une période d’éclatement des groupes, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, des regroupements ont pu se constituer autour des missions des Jésuites ou des Sulpiciens. Ce sont ces missions-villages qui sont présentées dans ce chapitre. Très rarement plus 800 personnes, dans un rapport de 1 guerrier pour 5 membres de la famille, tels sont les chiffres auxquels arrivent les auteurs. Ils s’appuient sur divers exemples : la mission du Lac-des-Deux-Montagnes« la population algonquine et népissingue de l’Île-aux-Tourtes et la population iroquoise, huronne et algonquine du Saut-au-Récollet, qui migrent vers ce nouveau village en 1721, totalisent 755 indi­vidus selon les chiffres du recensement de 1716 » (p.117) qui est à la fois une mission et un point d’appui pour la défense de l’île de Montréal et dont les auteurs font le portrait à la fin du régime français.

Autre exemple dans la région de Trois-Rivières, pour la traite des fourrures, les Algonquins s’y réunissaient, en été. Un village catholique algonquin existe à la Pointe-du-Lac, au XVIIIe siècle.

On trouve ensuite la description des Iroquois du Sault-Saint-Louis, de Saint-Régis et de la présentationKahnawake, Akwesasne et Oswegatchie, en langue locale et celle des Hurons de LoretteWendake. Aujourd’hui, il est possible de découvrir la nation Huron-Wendat, à Wendake, une réserve amérindienne située à quelques kilomètres de la ville de Québec. dont la population passe de 146 individus en 1685 à 120 en 1752 ; ce sont les plus occidentalisés. Chaque longue maison abrite environ sept personnes, dont deux guerriers, un père et son fils.

En marge de la colonie, le Domaine du Roy est un espace où les Autochtones, les Montagnaisselon la terminologie française sont mal recensés. Néanmoins celui de 1733 dénombre 243 familles, soit environ 1 200 individus.

En conclusion de ce chapitre, on trouve trois tableaux de la population autochtone catholique du Canada, du Domaine du Roy et de l’Acadie : vers 1700-1710, vers 1735 et vers 1763. On constate une légère croissance démographique d’environ 6 200 à 9 200 individus et une carte des missions et villages (p. 152).

Les populations autochtones dans le tissu social colonial

En Acadie, si les Micmacs font bon ménage avec des Français peu nombreux, leurs effectifs diminuent du fait de choc bactérien lors de la rencontre. Une cohabitation harmonieuse qui se manifeste par des mariages mixtes. Au milieu du XVIIIe siècle, les autochtones ne représentent plus que 11 % de la population de cette vaste région.

Sur le Domaine du RoyRive nord du golfe Saint-Laurent, les Montagnais sont très majoritaires, accueillants sur ce territoire de rares Français dans les postes de traite.

La vallée du Saint-Laurent abrite une population européenne depuis la fondation de Québec par Champlain en 1608. La population française de cette vallée qu’on appelle le Canada a connu une faible croissance : 3 125 individus en 1666 – 10 725 individus en 1685 pour 1 533 Amérindiens à cette date. La place des Autochtones recule encore au XVIIIe siècle.

La situation est beaucoup plus équilibrée dans le gouvernement des Trois-Rivières : en 1716, 558 Euro-Canadiens sont répartis dans les seigneuries de la rivière Yamaska, de Yamachiche, de Saint-François, de Baie-Saint-Antoine, de Nicolet, de Bécancour et de la rivière Gentilly pour environ 530 Abénaquis des missions jésuites de Saint-­François et de Bécancour.

Le métissage est présent dans toutes les régions. Pourtant les modes de vie, le rapport à la terre et à l’agriculture demeurent très différents. Les auteurs opposent les défricheurs euro-canadiens aux populations autochtones semi-nomades même quand elles pratiquent un peu d’agriculture. Les rapports au pouvoir et à la guerre sont différents. Pour les auteurs, le village-mission, presque un village militaire est très différent du village des colons.

Conclusion

Il reste de la place pour des recherches nombreuses tant les sources sont riches et de nombreux espaces, comme la région des Grands lacs, n’ont pas été étudiés.

Cet ouvrage complète utilement les études sur la Nouvelle-France, en changeant l’angle du questionnement.