Aux Nations Unies, ou pour authentifier un acte de propriété, on présente des cartes, mais on ne présente plus P. Rekacewiz (Le Monde Diplomatique jusqu’en 2014, visionscarto.net…) qui signe avec N. Zwer ce bel et dense ouvrage de contre-cartographie, ôde à la représentation spatiale cartographique questionnée, triturée, renouvelée, démasquée. En un mot : radicale.
Avec les huit chapitres proposés : Quel monde !, La face du monde, La carte comme volonté, Sous la carte, La fabrique du monde, L’autre regard, Géométrie. Le laboratoire, De l’art, le duo franco-allemand nous guide dans les confins des représentations, nous embarque dans la nef des icônes et pousse les portes d’une autre perception – engagée et esthétisée – de nos territoires ordinaires ou extraordinaires et leur lest d’enjeux réels, imaginaires ou sciemment occultés. D’où le sous-titre du livre, Explorations. Explorations pour découvrir le monde donc, mais aussi pour signaler et protester. Ou tout simplement pour rêver. Alors, la carte et le territoire ne sont plus indissociables. Une autre dimension s’esquisse.
Dans la préface, P. Rekacewicz et N. Zwer défendent une cartographie éprise de justice spatiale, au service de la société civile confrontée aux prédations capitalistes, une cartographie joueuse et tamisée par d’autres codes, fille d’un retour aux sources (crayons-papier), réaction aux illusoires avantages du copier-coller standardisant.
Des mondes et des cartes
Les auteurs débutent par une auscultation du rapport à l’objet carte. Puis ils examinent les interrelations et interactions entre l’Homme et les divers espaces de notre planète. Vient ensuite la question du pouvoir de la carte, réel et/ou supposé, qui précède l’analyse des informations fournies par cet outil. Place alors à l’examen du pouvoir de construction d’une réalité sociale généré par ce type de représentation, et dont la remise en question amène tout naturellement à l’émergence d’une cartographie – ou plus exactement d’une contre-cartographie – inédite parce-qu’engagée et exploratoire à plusieurs niveaux (sémiologique, esthétique), et parfois très ancienne comme en témoignent les travaux de W.E.D Du Bois et de son groupe (1900).
Audace et créativité
L’avant-dernier chapitre est de notre point de vue le plus riche. Il s’arrête sur l’inspiration à la source de cette cartographie alternative. Là, formes et couleurs rivalisent d’audace : exit le fond de carte, place aux repères majeurs, dynamiques et acteurs. Les références graphiques (Kandinsky) nourrissent cette audace créative, mise en mot grâce à quelques infinitifs tels minimaliser, extraire ou abstraire. Nous voici arrivés au terme de ce voyage, à l’orée de l’art, objet de l’ultime chapitre qui expose l’attractivité exercée par ces objets graphiques indisciplinés dans les musées et autres galeries, à la croisée du patrimoine et de l’avant-garde. A l’image de cette immense fresque cartographique (11X3m) de P. Rekacewicz, exposée au musée Garage de Moscou en 2015, figurant les ententes et associations de la Russie avec les Pays émergents et en développement.
Transversalités
Au total, ce (très) beau livre est un viatique pour l’enseignant(-e) de primaire, collège ou lycée saturé(-e) de cartes, croquis et schémas complaisants, ou classico-académiques, ou esthétiquement trop lisses. L’opportunité de pouvoir faire progresser de jeunes enfants, des adolescents, qui plus est transversalement via la géographie, l’histoire, les arts plastiques, les SVT et les autres matières enseignées, en convoquant la créativité et une lecture questionnée du monde dessine un challenge très enthousiasmant. Cet ouvrage transmet les ingrédients enchanteurs nécessaires, sans sombrer dans une fastidieuse méthodologie. D’autres initiatives, à l’image du Concours Carto imaginaire (https://www.concourscarto.com/concours/cci/), relaient cette passionnante vision de notre monde et sa représentation interprétative.
La présentation de l’éditeur :
https://www.editionsladecouverte.fr/cartographie_radicale-9782373680539