En 140 pages très documentées, le duo franco-belge nous embarque dans la vie de l’auteur de Blake et Mortimer, des années 30 aux années 80.

Nous connaissons cette photo d’Edgar P. Jacobs (1904-1987) où, crayon à la bouche, il figure sur le coin supérieur gauche de la quatrième de couverture des onze Blake et Mortimer. Le scénariste français François Rivière a côtoyé le maître et s’est fondé sur ces rencontres pour établir une biographie tout autant émouvante qu’imposante, remarquablement mise en scène par le Belge Philippe Wurm, dont le trait fin et précis est bluffant de ressemblance avec celui de maître Jacobs.

Une destinée contrariée pour le meilleur

C’est une destinée contrariée pour le meilleur qu’offre ce one-shot. Contrariée car E.P. Jacobs rêvait de devenir chanteur d’opéra au cœur des années 1930. Pour le meilleur car ce contemporain – et rival – d’Hergé a su vulgariser un monde émaillé de sciences, d’histoire, d’énigmes et de science-fiction, en en négligeant ni ses  »histoires » et encore moins ses dessins. A posteriori, un abîme se dessine ainsi entre la vie très tranquille de maître Jacobs et les aventures qu’il conçoit.

Tout l’univers au Bois des Pauvres

La “bio-bd” ressuscite un personnage et une époque dépourvus d’internet, où le terme documentation prend toute son épaisseur. Une documentation exigée pour les aventures égyptiennes, une des passions du dessinateur culte, comme pour les incursions médiévales (Le piège diabolique) ou pour les sciences, ingrédients parmi d’autres de ses recettes majeures. La narration s’appuie également sur le Bois des Pauvres, écrin de verdure de la périphérie bruxelloise où s’exprime le talent mature de Jacobs, refuge nécessaire à sa créativité, entre deux allers-retours aux Editions du Lombard. La coquette demeure devient quasiment un personnage dans le récit.

Au total, cette biographie ravira tous les amateurs de Blake et Mortimer, tous les fans de la ligne claire ou simplement les plus jeunes d’entre nous qui souhaitent découvrir cet acteur incontournable de l’histoire culturelle populaire occidentale du XXè siècle.

La présentation de l’éditeur :

https://www.glenat.com/hors-collection-glenat-bd/edgar-p-jacobs-9782344003916

par Vincent Leclair

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Recension par Matthieu Henry

Cet ouvrage a pour ambition de retracer la vie extrêmement riche d’Edgar Félix Pierre Jacobs, le créateur des personnages de Blake et Mortimer. De cette série, qui compte aujourd’hui 28 tomes, Jacobs en a réalisé les 8 premiers tomes, du Secret de l’Espadon jusqu’aux 3 formules du professeur Sato.

Cette BD est découpée en 9 chapitres, accompagnés d’une postface de l’auteur et de compléments biographiques sur les principales personnes rencontrées à travers notre lecture. L’album est très qualitatif, tant sur la forme que le fond. Le dessin est très soigné, dans un style qui essaie de ressembler à celui de Jacobs, sans toutefois atteindre le mimétisme de la série actuelle Blake et Mortimer. Le papier est très épais, donnant du cachet à l’ensemble et mettant en valeur les dessins et les couleurs. A l’instar de ce que pouvait réaliser Jacobs, le découpage en cases laisse parfois la place à de véritables planches qui apporte une véritable immersion et de la profondeur au récit.

La BD démarre au début des années 20. Né à Bruxelles en 1904, Jacobs meurt en 1987 à Lasne. Nous évitons donc sa plus tendre enfance, pour nous concentrer d’abord sur un adolescent curieux, amateur de frissons et de chant lyrique. Cela occupe les 2 premiers chapitres qui se terminent par son premier mariage en 1930.

Le chapitre 4 relate un des événements les plus marquants de la vie de l’auteur, dont les talents de dessinateur ne sont pas encore mis en avant et appréciés. La rencontre avec Hergé, la star absolue de la bande dessinée de l’époque. Nous sommes en 1941 et Jacobs vient d’être démobilisé après la reddition du roi de Belgique Léopold III. De cette collaboration fructueuse, les deux hommes en tirent une inspiration mutuelle mais sans lendemain, puisqu’Hergé refuse que Jacobs soit mentionné sur les albums de Tintin que le premier demande au second de coloriser.

A partir du chapitre 5, nous rentrons dans la création de la série qui fera la renommée et la reconnaissance, certes tardives, de Jacobs, Blake et Mortimer. Pour cela, Jacobs fait notamment ses premiers voyages de repérage à Londres, en essayant de capter cette atmosphère si spéciale de la capitale anglaise. Depuis le début des années 50, Jacobs a refait sa vie avec Jeanne Quittelier et elle l’accompagne dans ses pérégrinations, l’appuyant à travers ses doutes. Nous retrouvons un Jacobs également inspiré par le contexte géopolitique, la Guerre froide et les découvertes scientifiques jouant sur les scénarii de sa série. Il doit aussi faire face à la censure, aux demandes, qu’il juge parfois extravagantes, de ses éditeurs et aux rencontres avec le public, situations dans lesquelles il ne semble clairement pas être à l’aise.

Les deux derniers chapitres relatent la fin de vie de l’auteur, à Lasne, alors que le 2e tome des formules du professeur Sato n’est pas achevé. Jacobs et sa nouvelle femme, puisqu’il a épousé Jeanne en 1974, sont malades. Il se réfugie au bois des pauvres, dans sa maison. Jacobs y prépare la postérité de son oeuvre, tout en s’isolant de jour en jour.

Cette BD est une œuvre poignante et touchante. On sent à travers les pages l’hommage que les auteurs ont voulu rendre à Jacobs. Ils essaient de nous faire comprendre le processus productif d’une bande dessinée, quelles sources d’influences jouent sur un auteur et comment ce travail peut vous obséder nuit et jour. A conseiller à tous ceux qui aiment Blake et Mortimer évidemment, mais cette BD dépasse largement ce cercle: elle ravira ceux et celles qui veulent suivre le parcours d’un homme au parcours hors du commun.

Présentation de la BD sur le site de l’éditeur

« L’aventure dessinée d’Edgar P. Jacobs.

Amateur d’art antique égyptien, collectionneur d’armes en tous genres, chanteur lyrique amoureux de la scène… Avant d’être le créateur de Blake et Mortimer, Edgar P. Jacobs est un homme d’une grande curiosité, animé par des passions nombreuses qui ont toute sa vie transporté son imagination. Ainsi, à 18 ans, il se rêve davantage en chanteur d’opéra qu’en dessinateur de bande dessinée. Malgré un passage à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, il préfère considérer le dessin comme un gagne-pain et non comme une véritable vocation. Mais la guerre arrive et dans les années 1940, les Allemands exigent que le contenu de la série américaine Flash Gordon soit repris et modifié. La tache revient à Jacobs qui fournit ensuite au journal les planches de sa première série : Le Rayon U. Plus tard, il rencontre Hergé, l’assiste sur Tintin – sans jamais être crédité – et finit par créer les aventures de deux héros anglais appelés à devenir des incontournables du genre : le colonel Francis Blake et le professeur Philip Mortimer. La bande dessinée est devenue son art et son métier, mais l’histoire de Jacobs ne s’arrête pas là…

À l’occasion de l’anniversaire de la première publication des aventures de Blake et Mortimer dans le journal Tintin il y a 75 ans, voici le portrait biographique de l’un des plus grands auteurs du Neuvième Art. François Rivière, qui s’est longuement entretenu avec le maitre de son vivant, y raconte l’artiste au travers de nombreuses et fascinantes anecdotes qui ont constitué la vie de l’auteur belge. Philippe Wurm, l’un des héritiers évidents et revendiqués de la ligne Jacobs, met en scène cette fascinante destinée « à la manière de », d’un trait fin et précis confondant de mimétisme. »

Présentation de l’auteur sur le site de l’éditeur.

« François Rivière est un critique littéraire, romancier, traducteur, chroniqueur radio, essayiste et scénariste de bande dessinée né en Charentes-Maritimes. Il est notamment spécialiste de littérature policière et plus particulièrement de celle en provenance d’Angleterre, avec une prédilection pour l’oeuvre d’Agatha Christie. Il lui a consacré plusieurs ouvrages ainsi qu’une collection de BD adaptant ses plus fameux romans. Toujours en bande dessinée, il est également l’auteur des aventures de Francis Albany et de Blitz, parus chez Dargaud et dessinés par Floc’h, de la série Victor Sackville au Lombard avec Francis Carin (coécrit par Gabrielle Borile), de la trilogie Le Privé d’Hollywood réalisée avec Philippe Berthet chez Dupuis (coécrit par José-Louis Bocquet), de Révélations posthumes avec Andréas chez Delcourt ou plus récemment de Benjamin Blackstone avec Javier Casado aux éditions Casterman (coécrit par Nicolas Perge). François Rivière est un maître du suspense, capable d’adapter sa plume et son langage à tous les publics et mediums. Son affection pour le Neuvième Art l’a également poussé à coécrire un ouvrage consacré à Edgar P. Jacobs avec Benoit Mouchart et deux essais sur Hergé. Il a enfin publié un recueil d’entretiens avec Jacobs qui reste une référence dans la connaissance de l’oeuvre de cet auteur. »

Présentation du dessinateur sur le site de l’éditeur.

« Philippe Wurm est un dessinateur de bande dessinée né en Suisse. Il débute sa carrière grâce à sa passion pour le tennis en publiant La Fabuleuse Épopée du tennis en 1989. Il réalise ensuite plusieurs adaptations de romans policiers avant de s’atteler à la série Le Cercle des Sentinelles sur un scénario de Stephen Desberg. Sa rencontre avec Jean Dufaux le lance dans un tout autre projet avec la saga des Rochester. Il poursuit ensuite sa collaboration avec le même scénariste en publiant Lady Elza de 2011 à 2014 chez Glénat. »