Comme D. Dieltiens l’annonce dans son avant propos, l’ouvrage est basé sur la thèse d’histoire de l’art que l’auteur avait soutenu en 1997 et dont D. Baudreu avait dénoncé les incohérences dans une note critique . Cette thèse et sa publication s’inscrivent dans le prolongement d’un premier ouvrage publié en 1983 en collaboration avec René Quehen, intitulé Les châteaux cathares et les autres. Ce premier ouvrage qui s’appuyait sur une importante recherche de terrain décrivait de nombreux sites fortifiés des Hautes-Corbières, souvent inédits et s’accompagnait de nombreux plans. Son objectif était de montrer d’une part que les emblématiques châteaux dit « cathares » tels que Peyrepertuse ou Montségur étaient en réalité des forteresses royales construites dans la seconde moitié du XIIIe et au début du XIVe. D’autre part qu’il subsistait à côté des vestiges de châteaux féodaux des XIe et XIIe siècle et que ces châteaux étaient fort modestes. Cette étude avait contribué à rajeunir la plupart des châteaux connus. Les auteurs dénonçant avec raison des datations wisigothiques fondées sur la seule présence d’un appareil en arrête de poisson, ou des ouvertures à mousquet prises pour des archères primitives. Cependant cette contestation atteignait ses limites quand les auteurs attribuaient à la période moderne sans aucune justification telle ou telle fortification.

Des sources discutables

Pour son dernier ouvrage D. Dieltiens a repris les mêmes méthodes en élargissant sa zone d’étude à toutes les Corbières, au pays de Sault et au Fenouillèdes. Mais il arrive à des conclusions surprenantes, qui feraient des Corbières un cas à part dans l’histoire du Languedoc et de l’Europe. Tant sur les sources, que sur la méthode et le fonds cet ouvrage suscite quantité de remarques.

Remarquons tout d’abord le caractère très superficiel des sources. Les relevés restent souvent en deçà de ce que la recherche archéologique actuelle attend. En particulier les plans de Peyrepertuse et Termes déjà publiés en 1983 n’ont pas été mis à jour, malgré les progrès apportés par les fouilles archéologiques. Les sources écrites ne vont guère au delà de l’exploitation de publications anciennes telles que L’Histoire générale de Languedoc et le cartulaire de Mahul. Le cartulaire des Trencavel est ignoré, même à travers l’édition des analyses qu’en a faite J. Dovetto. Il est significatif que seules 2 notes sur 96 font références à des documents d’archive. Les cadastres anciens, les compoix, les archives notariales modernes ne sont jamais mis à contribution à deux exceptions près. Pour expliquer ces lacunes l’auteur se retranche derrière « la disparition des fonds d’archive de Carcassonne et Narbonne » sans autre précision. Cette dérobade masque sans doute une pratique insuffisante des archives, du latin et de l’occitan. Il affirme par exemple « n’avoir jamais vu dans les textes de château isolé autour duquel un habitat se serait greffé. ». Pourtant la simple lecture d’une enquête en latin publié par Mahul sur Montlaur lui aurait apporté la preuve du contraire. Plus grave, des publications de sources fondamentales sont totalement ignorées, tels le cartulaire de Douzens ou les actes de l’abbaye de Lagrasse.

Plus encore que les sources, c’est l’argumentation qui fait preuve de graves insuffisances. L’auteur conteste presque systématiquement le travail des chercheurs de sa zone d’étude. La critique est nécessaire pour faire avancer la science mais ici la contestation, notamment des datations, est érigée en véritable dogme. Certains faits sont balayés d’un revers de la main, d’une manière qui tient parfois du règlement de compte, et souvent sans aucune justification. Prenons quelques exemples. La chapelle du château d’Aguilar est datée sans aucune justification du XVIIe siècle. En réalité cet édifice appartient à un type bien représenté en Languedoc et Catalogne d’églises de la fin de la période romane (XIIe-XIIIe siècle). L’un des bâtiments les plus ancien du château comtal de Carcassonne, tel qu’a pu l’établir récemment une analyse archéologique fondée sur la chronologie relative, est daté par Dieltiens du XVIe ou XVIIe siècle sous prétexte qu’il est construit en arrêtes de poisson . Parfois même l’auteur passe sous silence une documentation qui pourrait contredire ses théories. Concernant le moulin fortifié de Paziols il se contente de dire qu’il est cité en 1298, puis laisse entendre que le moulin actuel est une fortification du XVIe ou XVIIe siècle. Pourtant, comme je l’ai montré dans un livre que D. Dieltiens a lu , il existe sur ce moulin un important dossier documentaire allant du XIIIe au XIXe siècle. Les actes les plus anciens décrivent le moulin et sa tour, dont la construction est attribuée à Olivier de Termes, principal seigneur de la région au milieu du XIIIe siècle. L’analyse architecturale le confirme : de cette époque datent les 7 ouvertures de tir de la base. Quant aux 11 petites ouvertures de tir du dernier niveau, adaptées aux armes à feu, elles datent bien d’une reconstruction du moulin après sa destruction partielle par les Aragonais en 1496. Mais l’auteur ne distingue pas les deux types d’ouverture et n’en a vu que 8, faute de faire le tour complet de l’édifice. De cette manière, tout au long du livre, dès qu’il rencontre des ouvertures de tir peu perfectionnées il en fait des ouvertures à mousquet, et il peut affirmer qu’il ne subsiste rien des édifices construits ou possédés par Olivier de Termes.

Une approche surprenante

Dans le chapitre « Le temps des castra », l’auteur nie tout simplement le phénomène de regroupement de l’habitat avec la mise en place de la féodalité. Aucun village ne serait né d’un regroupement de l’habitat autour d’un château ou d’une église. Au contraire, châteaux et églises se seraient tous installés dans des villages antérieurs à la société féodale. Il va sans dire que pour affirmer cette théorie, en contradiction avec toute la recherche historique, on attend des arguments solides. Il n’en est rien. L’existence de tels villages pré-féodaux est justifiée par l’existence de toponymes préromains signifiant rocher ou montagne. (On se demande quel est le rapport !) Quant à l’installation de châteaux dans des villages, l’auteur prétend que les documents des IXe et XIe siècles en fournissent de nombreux exemples, mais ne cite que deux documents, l’un du milieu du XIIe, l’autre de la fin du XIe siècle. Au demeurant ces documents ne sont pas aussi clairs que l’auteur veut nous faire croire. Dans le plus ancien par exemple il est question d’un castrum novum quod vocant villam de Maurs que l’auteur interprète comme un château nouvellement construit dans le village de Maurs (Aujourd’hui Castelmaure). La polysémie des mots (castrum pouvant aussi bien désigner un château qu’un village fortifié ; villa pouvant désigner aussi bien un domaine, qu’un village ou son territoire) rend difficile toute interprétation sans confrontation avec d’autres sources, notamment archéologiques. Le castrum et la villa pouvant constituer deux pôles distincts, comme à Lairière, où le castrum a été construit dans la 2e moitié du XIIe siècle sur une hauteur éloignée de l’ancien pôle situé près de l’église dans la vallée. Si l’auteur avait fait une étude morphologique de Castelmaure il aurait pu retrouver une organisation comparable. L’auteur choisit donc bien mal ses exemples. Pourtant des exemples bien attestés d’habitats pré-féodaux réorganisés par l’installation d’une fortification ou d’une église ne sont pas difficiles à trouver. D. Baudreu en donne quelques-uns . Mais ils ne constituent pas, loin s’en faut, un cas général.

Le chapitre suivant, « Le temps des forteresses (XIIIe-XVe siècles) », offre de nouvelles surprises. D. Dieltiens nie l’existence de vestiges de fortifications féodales à l’intérieur des forteresses royales construites à partir du milieu du XIIIe siècle. Il affirme que les reconstructions royales n’ont pu que faire disparaître toute trace de construction antérieure. Donc pour l’auteur les parties centrales de Peyrepertuse, Aguilar ou Termes seraient dues à une première campagne de construction royale du milieu ou de la fin du XIIIe siècle. Il va sans dire que c’est encore une affirmation gratuite. Ces constructions présentent des caractères qui les apparentent aux châteaux féodaux des XIIe et début XIIIe siècle (emploi du petit appareil, rareté des flanquements et ouvertures de tir…). Elles ne présentent aucun des perfectionnements mis en œuvre tant à Carcassonne que dans les autres parties des forteresses royales (emploi d’un appareil moyen, systématisation des flanquements et ouvertures de tir, tours à gorge ouverte…). D’autre part d’un point de vue stratégique et économique il est préférable de commencer par construire une nouvelle fortification autour de l’ancienne, quitte à remanier l’ancienne plus tard. C’est précisément ce que les ingénieurs royaux ont fait à Carcassonne.

Dans le même chapitre D. Dieltiens voit dans certains villages ronds, tels Talairan ou Bram, des bastides créées à la fin du XIIIe siècle par les nouveaux maîtres de la région. Encore une fois, aucune source ne vient étayer cette affirmation en contradiction d’un point de vue chronologique ou morphologique avec toutes les recherches sur les sauvetés et bastides méridionales.

Quant aux autres villages ronds, bien que présentant les mêmes caractéristiques, ils sont présentés dans le chapitre « Le temps des canons (1450-1659) » comme des forts élevés ou reconstruit aux XVIe et XVIIe siècles par les armées royales dans le cadre des guerres franco-espagnoles, dès lors qu’ils présentent encore des vestiges d’enceinte. Avec la paix des Pyrénées des villages se seraient réinstallés dans ces forts délaissés. D’autres, comme Domneuve ou Saint-Pierre-des-Clars, auraient été purement abandonnés. Ces constructions sont présentées sous le terme générique de casteilhas, mot occitan qui ne désigne qu’un vieux château. En réalité ces forts, sont, au sens occitan du terme, des villages fortifiés, et non des fortifications de campagne destinées seulement à abriter des militaires et leur équipement. Ce sont des castra médiévaux qui ont été souvent réparés ou remaniés par les villageois pour se protéger des coups de mains des bandes armées dans le cadre de l’insécurité qui prévaut jusqu’au milieu du XVIIe siècle dans la région. Mais D. Dieltiens va plus loin en englobant ces forts dans un vaste programme de fortification royale des XVIe et XVIIe siècle dont l’ampleur laisse l’auteur pantois : « Jamais peut-être la monarchie française n’avait réalisé un pareil effort financier ! ». On cherchera en vain dans l’ouvrage le début d’une preuve écrite de l’existence de ce programme. On peut s’étonner que l’auteur n’en n’ai pas trouvé quelques traces dans les archives provinciales, chargées de l’entretien des fortifications. Les extraits de chroniques cités par l’auteur ne prouvant que l’utilisation occasionnelle par des troupes de certaines de ces fortifications. On s’étonne aussi de ce que ces fortifications ne répondent pas aux nouvelles exigences de l’artillerie à poudre. L’auteur insiste pourtant sur les passages répétés de canons dans les Corbières et justifie la présence de certaines de ces fortifications par l’existence de routes des canons. C’est que, toujours selon Dieltiens, « les recherches menées à l’époque sur les profils et les flanquements étaient inconnues des maîtres d’œuvres de ces forteresses ». Pourtant, aux marges des Corbières apparaissent dès l’extrême fin du XVe siècle des fortifications bastionnées munies de bouches à feu de canon telles que Salses, Leucate et Lagarde que l’auteur cite. En réalité cet ensemble de fortification n’a aucune cohérence ni de forme, ni de date, ni de fonction. S’y mêlent châteaux privés, maisons fortes, forteresses royales, enceintes villageoises et urbaines de toutes époques amalgamés artificiellement.

Dans la fin du même chapitre l’auteur s’intéresse aux châteaux seigneuriaux et nous livre un dernier scoop. Certains seigneurs des Corbières font preuve d’un romantisme très précoce : les fenêtres romanes des châteaux de Pieusse et Durban sont interprétées comme un décor « à la médiévale » du XVIIe ou XVIIIe siècle. On le félicitera en revanche de ne plus nous servir dans cet ouvrage, sa théorie des tours de justices qui avait fait l’objet d’un important chapitre de sa thèse. C’est ainsi que nombre de tours telle celle de Fabrezan qu’il interprétait autrefois comme des édifices judiciaires du XVIIe siècle sont redevenues d’authentiques constructions féodales médiévales.

Cette première partie du livre est suivie par un choix de monographies de sites, accompagnés de quelques plans et photos. On repère dans ces monographies, très superficielles et lacunaires, quantité d’inexactitudes et de datations fantaisistes qu’il serait trop long et fastidieux de présenter ici.

Au total que retenir de cet ouvrage ? C’est la démarche scientifique, fondée sur la critique des sources, sur la confrontation de sources diversifiées et sur l’argumentation qui caractérise l’Histoire. Ce livre ne constitue donc pas un ouvrage d’histoire et n’apporte rien sur le plan scientifique. Il ne présente d’intérêt que pour quelques plans et descriptions d’édifices non encore étudiés par d’autres historiens ou archéologues. Il a aussi le mérite – involontaire – de souligner le manque de recherches archéologique et historique publiées concernant l’étude des fortifications des Corbières de la fin du XIVe siècle au XVIIe siècle . Manque en partie comblé depuis peu par une étude sous la direction de L. Bayrou .

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