Passionnée par son chez-soi, la journaliste aime à y travailler, à y passer du temps, à l’entretenir. Cette passion domestique est décriée par ses amis et ses collègues et c’est pour s’en justifier qu’elle a entamé ce chantier d’écriture. Car quoi de pire pour un journaliste de rester enfermée entre quatre murs alors que son métier lui donne l’occasion de parcourir le vaste monde ! Mona Chollet est une journaliste en chambre, et fière de l’être. « Une journaliste casanière : voilà un oxymore embarrassant. Je suis à peu près aussi crédible qu’une charcutière végétarienne. » (p. 17).
Elle analyse la place tenue par les réseaux sociaux pour justifier son faux retrait du monde ; estimant que désormais, elle a « une foule dans son salon » (p. 41). Dans ce passionnant chapitre, elle montre comment le développement de Facebook, Twitter, Pinterest ou autres réseaux lui donne le don d’ubiquité. Elle est là et ailleurs par le biais de ses amis parsemé sur la planète, même si elle reconnaît qu’avant le développement de ces nouveaux médias ; adolescente, elle était déjà connectée à ses amis par le biais du téléphone fixe, malgré la contrainte de libérer la ligne sur injonction parentale.
Cette adepte du cocooning n’oublie pas ceux privés de domicile et s’interroge sur ce qu’implique l’absence de chez-soi pour tout un chacun, qu’il soit SDF ou jeune obligé de rester chez Papa-Maman à défaut des moyens financiers pour avoir son propre chez-soi. Les Trente Glorieuses ne sont plus et si la génération née en 1975 avait connu la tendance exponentielle de ses parents ou grands-parents nés entre 1920 et 1950, elle aurait un niveau de vie 30% plus élevé que celui dont elle dispose actuellement (d’après l’analyse de Louis Chauvel et Martin Schröder, 2014). Dans ces conditions, disposer d’un logement ou en être propriétaire est compliqué. « Le graal de la propriété » (p. 100) est un rêve pour beaucoup, et nombreux sont ceux qui n’arrivent pas à le réaliser. « Acheter revient à être locataire de son banquier » (p. 102).
Elle met en garde contre les menaces pesant sur l’épouse du foyer domestique : « de la servante-compagne à la compagne-servante » (p. 182). Le chapitre « Les métamorphoses de la boniche », basé sur l’exploitation de coupures de presse féminine d’hier à aujourd’hui dénonce les ressorts de culpabilisation utilisés par ces supports pour confiner la femme dans son rôle d’housewife, une femme littéralement mariée à sa maison. Mona Chollet appelle « l’hypnose du bonheur familial », l’argumentaire vendant la famille aux femmes par le biais de cérémonies somptueuses de mariage, d’intérieurs parfaitement décorés et peuplés d’enfants sages. S’il en est ainsi, c’est en raison de la place que tiennent les maisons dans notre imaginaire, construit dès la plus tendre enfance avec les maisons de poupée. Nous avons « des palais plein la tête » même si, le plus souvent, lors de la construction d’une maison, les architectes consultent très peu leurs commanditaires particuliers.
Si l’essentiel des sources citées est constitué d’articles de presse ou de sources numériques, des grands noms comme Gaston Bachelard ou Augustin Berque ne sont pas oubliés. Toutefois, le propos développé cède, assez souvent, aux tendances du moment alors que l’auteure conclut pourtant son ouvrage sur les limites des effets de mode : « Il y a plus de dix ans, j’avais conclu un précédent livre en affirmant mon désir de quitter un jour Paris, malgré mon bonheur de vivre dans cette ville qui m’avait si longtemps fait rêver. Avec le recul, je me demande si je ne cédais pas à une facilité, à un cliché. » (p. 323). Nous lui donnons donc rendez-vous dans dix ans !
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes