Cette biographie de l’un des « pères fondateurs » de la IIIe République « comble » une lacune historique, comme l’évoque si justement Éric Anceau, dès la préface. En effet, littéralement écrasé, dès son enfance, par la figure tutélaire de son père, le savant et homme politique François Arago, Emmanuel aura dû attendre 150 ans après sa mort pour qu’un premier ouvrage lui soit consacré.

À travers cet ouvrage, les auteurs nous dépeignent une fresque romanesque et romantique. Au gré des pages, nous plongeons dans les différentes vies d’un acteur majeur de notre histoire, témoin, puis acteur des révolutions de 1830, 1848 et 1870 ; un homme aux multiples talents : littéraires, légalistes, diplomatiques et politiques.

Arrière-petit-neveu de Camille Pelletan, Paul Baquiast soutient sa thèse de doctorat, consacrée à cette branche familiale et qu’il intitule : Une dynastie de la bourgeoisie républicaine : les Pelletan, sous la direction de Jean-Marie Mayeur, à l’université Paris Sorbonne (Paris IV). Historien de la République, il est notamment l’auteur de L’Âge d’or des républicains (L’Harmattan, 1998), La Troisième République (L’Harmattan, 2002), Deux siècles de débats républicains (L’Harmattan, 2004).

Membre du Conseil national de la formation des élus locaux et ancien maire adjoint à la culture de Meudon, Bertrand Sabot est un érudit et un collectionneur de manuscrits, notamment ceux de George Sand et d’Emmanuel Arago.

Maître de conférences à l’université Paris-Sorbonne, où il enseigne l’histoire du XIXe siècle ; également vice-président du Comité d’histoire parlementaire et politique, spécialiste reconnu du Second Empire, Éric Anceau a notamment publié Comprendre le Second Empire (Saint-Sulpice Éditeur, 1991), Napoléon III : un Saint-Simon à cheval (Tallandier, 2012), L’Empire libéral, deux tomes (éditions SPM, 2017), Ils ont fait et défait le Second Empire (Tallandier, 2019).

Cette publication de 334 pages inclut une préface d’Éric Anceau (p. 7-9), une introduction (p. 11-13), 8 chapitres (p. 15-300), une conclusion (p. 301-304), des tableaux chronologiques des évènements politiques et de la vie d’Emmanuel Arago (p. 305-312), une bibliographie succincte (p. 313-314), les crédits iconographiques de l’ouvrage (p. 315-318), un index (p. 319-326), des remerciements (p. 327-329) une liste des ouvrages écrits par Paul Baquiast (p. 331-332), enfin une table des matières (p. 333-334).

Chapitre I. La tribu Arago

Ce premier chapitre nous conduit jusque dans les Pyrénées-Orientales, dans une bourgade située à une trentaine de kilomètres de Perpignan : Estagel, berceau de la famille Arago. Le patriarche, François Bonaventure Arago, partisan des idées de la Révolution française, devient maire d’Estagel dès 1790, puis juge de paix du canton d’Estagel, membre du Conseil départemental, puis du directoire départemental (1791). De son union avec Marie Roig naîtront onze enfants : cinq filles et six fils : parmi lesquels, les plus illustres : les « frères Arago ».

L’aîné n’est autre que François, le père d’Emmanuel. Polytechnicien, scientifique de renom et homme politique de premier plan. C’est le « très grand homme de la famille Arago ». Suivent les « oncles d’Amérique » : Jean et Joseph, officiers de l’armée mexicaine lors de la guerre d’indépendance contre l’Espagne. Jacques est l’excentrique, le romancier-explorateur. Étienne, enfin, qui bien que polytechnicien, préférera les lettres et la politique aux sciences pures.

Chapitre II. Enfance et jeunesse d’Emmanuel

Lorsqu’Emmanuel voit le jour à Paris en 1812, le nom d’Arago est déjà célèbre. Les travaux de son père sont connus et reconnus, en France et au-delà même de nos frontières. La naissance d’Emmanuel va contribuer à installer une nouvelle dynastie républicaine, au même titre que les Carnot, les Casimir-Perier et les Chautemps.

L’éducation du jeune Emmanuel se déroule dans un cadre privilégié, celui de l’Observatoire de Paris. Il y rencontre la « très haute aristocratie intellectuelle » européenne. En effet, son père est ami avec les scientifiques : Laplace, Humboldt, Cuvier ou bien encore Fresnel ; avec les hommes politiques : Chateaubriand, Laffitte, La Fayette. Au contact de ces sommités intellectuelles, les idées d’Emmanuel ne pourront qu’être romantiques et romanesques.

Très tôt, son destin le conduira inexorablement vers la politique. Il est littéralement plongé en plein cœur dans la révolution qui éclate à l’occasion des Trois glorieuses (26, 27, 28 juillet 1830). Alors que son oncle Étienne – de dix ans son aîné – combat sur les barricades, Emmanuel accompagne son père, venu solliciter auprès du gouverneur général de Paris, la fin des combats. Cet évènement marque une rupture idéologique pour Emmanuel. Celui-ci aurait préféré rejoindre son oncle, républicain engagé, sur les barricades, plutôt que de jouer les conciliateurs, à l’instar de son père, républicain beaucoup plus modéré.

Chapitre III. La tentation des lettres

Autre point de divergence avec son père, Emmanuel ne souhaite pas épouser une carrière scientifique. Aussi prend-il la décision d’étudier le droit. Parallèlement à ses études, Emmanuel côtoie les plus grands écrivains parmi lesquels les plus notables sont incontestablement : Honoré de Balzac, Victor Hugo, Alfred de Musset ou bien encore George Sand, avec qui il nouera une relation rare et intense. Emmanuel ne fréquente pas que des écrivains. Il est effectivement proche de sculpteurs comme David et Rude ; de peintres comme Delacroix ; de musiciens comme Berlioz, Chopin et Gounod, même s’il avoue une « inaptitude absolue » à la musique.

Cependant, amoureux des lettres, Emmanuel écrit ses premiers romans, avant d’y renoncer au profit de vaudevilles, certes plus légers, mais beaucoup plus rémunérateurs.

Une fois encore le mimétisme joue entre Emmanuel et son oncle Étienne, ce dernier dirige alors le célèbre théâtre du vaudeville et contribuera à faire jouer les pièces de son neveu.

S’il s’intéresse aux arts et aux lettres, le jeune homme n’en est pas moins attiré par les actrices. Aussi tombe-t-il sous le charme de ces dernières. C’est tout d’abord avec Jeanne Plessy, jeune société de la Comédie française qu’Emmanuel trouve l’amour, avant de le connaître à nouveau, dans les bras de la tragédienne Rachel Félix.

Chapitre IV. Le frère de George Sand

C’est probablement durant l’année 1832 qu’Emmanuel et George Sand se rencontrent, assurément chez leur ami commun, Honoré de Balzac. Dès lors, une relation fraternelle se noue entre le jeune étudiant en droit et la femme de lettres.

Bientôt va débuter une longue et intense correspondance épistolaire entre eux. Un serment fonde cette relation fraternelle. De huit années son aînée, George Sand est indispensable à Emmanuel, qui s’épanche sans retenue auprès d’elle.

Cette amitié de presque quarante ans ne prendra fin qu’à la mort de George Sand, en 1876. Les deux amis, tels les membres d’une même famille, évoqueront leurs amours, leurs enfants, mais sans jamais cesser de s’intéresser aux questions littéraires et politiques.

Cette correspondance exceptionnelle entre ces deux personnalités, aux destinées non moins exceptionnelles, se divisera en deux périodes distinctes, de six années chacune. Entre 1835 et 1840 pour la première, puis entre 1846 et 1851 pour la seconde. Le mariage d’Emmanuel avec Jeanne Plessy suspendra momentanément leurs échanges. La révolution de 1848 les ravivera.

Chapitre V. L’avocat de la République

Emmanuel prête serment le 18 novembre 1836. Avocat au barreau de Paris, son activité se partage entre affaires civiles et affaires politiques. Son nom prestigieux, ainsi que ses réseaux relationnels, facilitent ses débuts professionnels.

Deux ans après sa prestation de serment, pour son premier procès politique, Emmanuel plaide en faveur d’un républicain : Hubert, accusé d’attentat contre le tsar Alexandre II. Contre toute attente, Emmanuel parvient à obtenir la condamnation à la déportation pour son client.

L’année suivante se tient le procès, devant la Cour de justice, des républicains Blanqui, Bernard et Barbès. Tous trois sont poursuivis pour tentative de coup d’État, après la prise du palais de justice et de l’Hôtel de Ville. À l’issue d’une plaidoirie qui fait forte impression, Emmanuel leur évite la peine de mort.

À l’issue de ce procès, Emmanuel se tient volontairement à l’écart des grands procès politiques, leur préférant les affaires industrielles, beaucoup plus lucratives. Ainsi se spécialise-t-il dans la défense des brevets et de l’innovation et parvient-il à se constituer une clientèle d’industriels.

À seulement trente-quatre ans, Emmanuel entre au conseil de l’ordre des avocats de Paris. Le jeune avocat y côtoie les plus grands ténors de l’époque : Berryer, Barrot, Favre ou bien encore Crémieux.

Chapitre VI. Le quarante-huitard

Après 1830, 1848 est une autre année charnière dans la vie d’Emmanuel. S’il fut spectateur lors des Trois glorieuses, il est toutefois acteur lorsque la révolution de février qui voit la naissance de la IIe République. Son père devient chef de l’État de facto, tandis que son oncle Étienne se voit confier la responsabilité stratégique des Postes. Cette période marque l’apogée de ce que l’on appelle alors l’« aragocratie ».

S’il n’est pas ministre, Emmanuel est cependant nommé Commissaire du gouvernement dans la « fournaise lyonnaise ». Mission lui est donnée de pacifier la capitale des Gaules, aux mains des révolutionnaires, notamment en apaisant les tensions économiques, dans un climat social délétère. Parvenant, non sans mal à faire flotter le drapeau tricolore – celui de la République – en lieu et place du drapeau rouge, qui flotte sur l’Hôtel de Ville de Lyon, Emmanuel doit encore obtenir la libération d’hommes en armes, partis de Lyon, pour arracher la Savoie au royaume de Sardaigne. Emmanuel parvient à obtenir leur libération, évitant ainsi une crise diplomatique grave à la jeune République française.

Harassé, Emmanuel quitte Lyon à sa demande. Tout comme son père et son oncle Étienne, il se fait élire député des Pyrénées-Orientales. Ses qualités de conciliateur conduisent Lamartine à le nommer ministre plénipotentiaire à Berlin. Sa mission auprès du royaume de Prusse est triple : obtenir la reconnaissance officielle de la République française ; protester contre les agissements antipolonais de la Prusse dans le duché de Posen ; obtenir la relaxe du général polonais Mieroslawski, héros de la cause polonaise.

Emmanuel remet sa démission à Louis-Napoléon Bonaparte, nouveau président de la République. Hostile au nouveau chef de l’État, Emmanuel refuse les offres d’ambassades prestigieuses qui lui sont faites par le nouveau locataire de l’Élysée. Emmanuel retrouve son siège de député et dès lors, sera l’un des plus virulents opposants au nouvel homme fort du pays.

Le coup d’État du 2 décembre 1851 est vécu comme un parjure pour l’ardent républicain qu’est Emmanuel. Tout comme Victor Hugo, ou bien encore Victor Schœlcher, Emmanuel tente vainement de s’opposer au nouveau régime. Si l’auteur d’Hernani prend le chemin de l’exil, Emmanuel prend le risque de rester en France, au risque d’être emprisonné.

Chapitre VII. L’opposant à l’Empire

Lorsque François Arago meurt durant l’hiver 1853, son fils prend la décision de publier ses œuvres. Beaucoup lui reprochent de ne pas écrire la biographie de son illustre père.

Éloigné du Palais-Bourbon après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, devenu Napoléon III, c’est comme avocat qu’Emmanuel compte mener le combat contre l’Empire. Il ne tarde pas à prendre sous son aile un jeune avocat aussi talentueux que fougueux : Léon Gambetta.

En 1864 se tient le procès des Treize. Emmanuel compte au nombre des avocats des treize candidats de l’opposition républicaine, accusés par le régime impérial de s’être constitués en association non autorisée, en vue de créer un comité électoral. Les accusés sont condamnés solidairement à des peines d’amende. Le régime ne ressort pas renforcé de cet épisode judiciaire.

Trois ans plus tard, Emmanuel assure la défense de Berezowski, jeune nationaliste polonais ayant tenté d’assassiner le tsar Alexandre II. Malgré la gravité des faits reprochés au jeune révolutionnaire polonais, Emmanuel parvient à convaincre le jury et obtient pour son client les circonstances atténuantes, lui évitant la peine capitale.

L’année 1868 voit Emmanuel et Gambetta assurer la défense d’opposants républicains, à l’occasion du procès Baudin. Au-delà de la plaidoirie d’Arago, c’est assurément celle de Gambetta qui marquera raisonnera dans le palais de justice et bien au-delà. Avec ce jeune avocat plein de fougue, le procès Baudin devient le procès du Second Empire. Si les opposants au régime sont lourdement condamnés, le pouvoir impérial quant à lui subit les coups de boutoir de Gambetta. Les premiers signes de l’ébranlement du régime se font jour.

Une fois de plus défait sur ses terres pyrénéennes, Emmanuel profite cependant d’une élection partielle dans le département de la Seine (1869) pour retrouver les bancs du Palais-Bourbon et siéger dans l’opposition au sein du Corps législatif. Obligé de prêter serment à l’Empire, le nouvel élu parisien précise cependant que s’il prête serment, il ne le respectera pas.

Avec Thiers et Gambetta, Arago s’oppose farouchement à la déclaration de guerre à la Prusse, tout comme il s’oppose avec la même ardeur, au gouvernement « libéral » d’Émile Ollivier.

Chapitre VIII. Le fondateur de la République

Alors que l’édifice impérial s’effondre sans heurts, Arago est de ceux qui se rendent à l’Hôtel de Ville pour y proclamer la République. Figure républicaine incontournable, il devient membre du gouvernement de la Défense nationale. Assumant l’intérim du ministère de l’Intérieur, puis de celui de la Justice, il n’aura de cesse de vouloir résister à outrance contre l’envahisseur allemand.

Élu dans les Pyrénées-Orientales, malgré un raz-de-marée monarchiste, aux élections législatives du 8 février 1871, Emmanuel s’oppose au gouvernement conservateur présidé par Thiers. Emmanuel désapprouve la ratification des préliminaires de paix avec l’Allemagne, tout comme il s’oppose à la Commune de Paris.

Comme l’écrivent ses deux biographes : « Emmanuel se rapproche progressivement de Thiers, à mesure que ce dernier se rapproche de la République ». Hostile au pouvoir mac-mahonien, Emmanuel vote en faveur des lois constitutionnelles (1875). Désigné pour aller siéger au Palais du Luxembourg comme sénateur inamovible, Emmanuel refuse, préférant entrer au Sénat par les urnes quelques semaines plus tard, à l’occasion de son élection aux sénatoriales, dans son département des Pyrénées-Orientales.

La République est totale en 1879, après la démission de Mac-Mahon et l’élection de Grévy à la présidence de la République. L’année suivante, tout en demeurant sénateur, Emmanuel est nommé ambassadeur de France auprès de la Confédération helvétique. Il restera en poste quatorze ans ! Depuis son ambassade de Berne, le juriste et homme de lettres qu’est Emmanuel joue un rôle considérable dans l’adoption d’un texte internationale interdisant la contrefaçon des œuvres artistiques et littéraires. Libre-échangiste, Emmanuel s’oppose à la politique protectionniste de Méline. Tous deux s’affrontent sur la question des tarifs douaniers entre la France et la Suisse. Finalement, Méline obtient la mise en disponibilité d’Emmanuel (1894).

Des rumeurs circulent dans la presse sur une possible candidature d’Emmanuel à la présidence de la République. L’assassinat du président Carnot à quatre mois de cette échéance accélère le cours des évènements et lui ferme les portes de l’Élysée. Humaniste et chantre de la laïcité, Emmanuel n’est initié à la franc-maçonnerie qu’à 57 ans. Il atteint cependant le dernier échelon de son ordre, quatre mois seulement après son initiation.

Lorsqu’il meurt à 84 ans, dans son domicile parisien (1896), après avoir passé les dernières années de sa vie entouré de siens, les hommes qui lui sont rendus, sont nombreux et unanimes. Parmi ses dernières volontés, le vieil homme insiste pour que soit publié le Memento de mon fils, œuvre mémorielle qu’il a débutée à onze ans plus tôt.