Le 4 février 1970, une catastrophe minière provoque la mort de 16 mineurs à Fouquières-lès-Lens. L’historien Philippe Artièresauteur récemment du Peuple du Larzac (2021), recensé par la Cliothèque étudie l’événement et ses suites : le combat porté par des mineurs, des militants de la Gauche prolétarienne (GP)Groupe d’extrême-gauche de l’immédiat après 1968, souvent dit alors « mao » ou « maoïste » ou parfois « mao-spont ». Ce dont témoigne le langage utilisé qui ne saurait délégitimer le combat mené. Rappelons à ce propos deux questions posées par Érik Neveu dans Des soixante-huitards ordinaires (recensé par La Cliothèque) : « Choisit-on son groupuscule ? » et « Les gauchistes croyaient-ils à leurs mythes ? ». et d’autres pour comprendre les causes de l’explosion et remettre en cause la version diffusée par le patronat des Houillères. L’ouvrage très soigné fait la part belle aux documents : journaux divers, tracts, tribunes, rapports officiels, critiques de ceux-ci, photographies, affiches, œuvres d’artistes mais aussi transcription du texte du « tribunal populaire » initié par des militants du Secours rouge… Pour mener à bien ce travail, Ph. Artières a sollicité Bernard Leroy, un des acteurs de ce combat, Éric de Chassey, qui a retrouvé un album réalisé par des artistes à ce moment-là, et Michelle Zancarini-Fournel, historienne du féminisme et du « moment 68 ».

Mines, mineurs et soixante-huitards

               Dans cette partie Ph. Artières fait une rapide présentation du monde de la mine qui comptait encore plusieurs dizaines de milliers de travailleurs dans les années 1970.  Il rappelle les dangers encourus avec des catastrophes qui se poursuivent tout au long du 20ème siècle. Éboulements et coups de grisou ont ainsi fait plusieurs centaines de morts entre 1957 et 1968. Les mineurs ont joué un rôle majeur dans la reconstruction du pays après la Seconde Guerre mondiale, ils furent aussi très actifs lors des grèves de 1947-1948 ou en 1963, avec une CGT puissante. Cependant, nous dit l’auteur, et peut-être du fait du poids de ce syndicat, ils prirent une part limitée au mouvement de mai-juin 68. Or, nous dit l’auteur, les contestations des années 1968 furent fécondes : essor de nouveaux médias, refus de la fatalité des accidents du travail, critiques du fonctionnement de la justice, des prisons, de la pratique de la médecine, engagement des intellectuels et débats, parfois vifs, entre eux et entre groupes politiques…

De la catastrophe au contre-procès, des « rencontres improbables »

 La catastrophe de 1970 débouche sur seize morts, leur funérailles donnent lieu à une cérémonie solennelle. Le rapport du délégué syndical est particulièrement dur envers l’exploitant mais le rapport officiel le disculpe et fait porter la responsabilité sur un contremaître, décédé lors de l’accident. Or, quelques jours après la catastrophe, des cocktails molotov ont été jetés contre des bâtiments des Houillères provoquant des dégâts limités. Suite à cette action, des militants « maos », sont rapidement incarcérés et doivent être jugés devant la Cour de sûreté de l’État. Pour certains, il y là deux poids deux mesures qui choquent.

À la suite de cette catastrophe a lieu ce que Xavier Vigna et Michelle Zancarini-Fournel ont appelé des « rencontres improbables » entre acteurs d’univers sociaux différents. Des militants d’extrême-gauche, des intellectuels (Jean-Paul Sartre et des médecins, des ingénieurs des mines ou de futurs ingénieurs), des artistes, des femmes de mineurs et des mineurs mettent en doute la version officielle. En décembre 1970, lors de ce qui ressemble à un contre-procès, un « tribunal populaire », dans lequel Jean-Paul Sartre joue le rôle du procureur, souligne la responsabilité des Houillères dans la catastrophe. En effet, des hommes ont été envoyés travailler alors que le système de ventilation avait été réparé depuis trop peu de temps. La loi du profit est passée avant la vie des hommes, telle est la conclusion de ce contre-procès qui vise une institution et le système capitaliste mais non un homme. « Tribunal populaire » qui, par ailleurs, rappelle le nombre élevé de mineurs atteints de silicose et la sous-estimation de cette maladie par une partie des médecins des mines.

 Les minutes de ce « tribunal populaire » sont publiées dans leur intégralité. Un ancien militant, alors ingénieur des mines depuis peu, retrace la mobilisation survenue dans l’école à ce moment-là, en soutien aux mineurs et aux initiatives des militants « maos ». En outre, une série d’œuvres qui avaient été réalisées par des peintres en solidarité avec les mineurs sont présentées et commentées.

Dans la postface Michelle Zancarini-Fournel revient sur l’histoire des combats des mineurs. Elle rappelle que le recours à la constitution d’un tribunal par des militants avait été utilisé contre la guerre menée par les États-Unis au Vietnam (tribunal Russell). Elle affirme que l’État a tenu, comme de nos jours, à conserver le monopole de la justice. Enfin, elle établit des parallèles stimulants avec les mobilisations sociales de ces dernières années qui ont vu des jeunes intellectuels, appelés « bifurqueurs » ou « déserteurs », refuser leur destin social et vouloir soutenir des luttes sociales ou environnementales.

Podcast sur france Inter : Le juge, la mine et l’historien– Dimanche 30 avril 2023