Collection Nouveaux Débats, Les Presses de Sciences Po.
Dépôt légal : Février 2010. ISBN 978-2724611540 – 232 pages.
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Il est inutile de présenter les presses de Sciences Po, dont on connait le sérieux et la prolixité. Claude Meyer enseigne l’économie internationale à Sciences Po. Spécialiste du Japon, il vient d’ailleurs récemment de contribuer au journal Le Monde sur son domaine de prédilection.
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Le sujet du livre est d’actualité. D’ailleurs, il est clairement indiqué que « la collection « Nouveaux Débats » aborde des questions d’actualité et donne la parole dans un langage simple et pédagogique à de vrais spécialistes porteurs d’idées nouvelles ». Disons tout de suite que le pari est réussi.
Le titre annonce immédiatement la couleur, mais aurait peut-être gagné – même si c’est bien ce sujet qui est traité – à être élargi tant les questions dépassent la simple problématique régionale.
Le livre se divise en quatre chapitres : l’auteur retrace d’abord le parcours économique des deux pays, comparant notamment leurs trajectoires (chapitre 1). Il établit ensuite leur puissance, une puissance qui, dans un cas comme dans l’autre, ne va pas sans vulnérabilités (chap. 2). Les deux derniers chapitres abordent chaque pays dans ses dimensions spécifiques : le leadership économique en quête de normalisation du Japon (chap. 3), puis la puissance globale en devenir qu’est la Chine (chap. 4).
L’introduction tord joliment le cou à quelques idées reçues, notamment celle d’un condominium en devenir des deux puissances asiatiques émergentes, Chine et Inde. Sans doute, vu de l’Occident, l’émergence rapide de la « Chindia » peut-elle faire peur, mais on ne saurait oublier que, même dans la zone pacifique, la grande puissance militaire reste les États-Unis, et le Japon la grande puissance économique. C’est donc bien à un match Chine-Japon que l’on va assister, même s’il fait peu de doute que, vers 2030, trois des quatre premières économies mondiales seront asiatiques.
Chapitre 1 : Généalogie de deux géants économiques.
Après une brillante description de la généalogie du réveil économique de la Chine (« le réveil du Dragon »), la « résilience du Sumo » montre à quel point l’économie japonaise a su, par deux fois dans l’Histoire, se relever pour vivre un véritable « miracle économique » assez bien traité dans les manuels scolaires. Ce qu’on sait moins, en revanche, c’est à quel point les trajectoires de ces deux pays se sont entrecroisées, non seulement dans leur «histoire tourmentée », mais également dans certaines similitudes de leurs modèles économiques. Les cinq moments structurants, dans l’Histoire, des relations Chine-Japon – filiation, émancipation, trahison ?, agression, reconnaissance – font appel au temps long pour mieux éclairer le contexte des relations présentes. Les destins des deux géants sont donc liés.
Chapitre 2 : Puissants mais vulnérables.
La Chine et le Japon réunis, c’est 15% du PIB mondial, 77% de la production de l’Asie orientale. L’auteur fait le point de leurs forces, mais aussi de leurs vulnérabilités. La Chine a incontestablement pour elle une certaine dynamique : deuxième économie mondiale en 2010, premier exportateur mondial et une force de frappe financière croissante, sans compter des réserves de croissance phénoménales, notamment en termes d’épargne et de main d’œuvre. Le Japon reste un géant économique qui allie compétitivité industrielle, dynamisme commercial et puissance financière. Tous deux font montre cependant de faiblesses qui nuancent le bilan : endettement colossal et engluement dans la déflation, déclin démographique et dépendance énergétique pour le Japon ; pour la Chine, fractures sociales, désastre écologique, faiblesse des marges budgétaires en regard des financements sociaux à venir, dépendance aux matières premières. La crise récente, qui met les deux économies à rude épreuve, montre que le découplage économique de l’Asie est en grande partie illusoire, mais aussi que la Chine a accru son différentiel de croissance avec le Japon.
Chapitre 3 : Le Japon, un leader économique en quête de « normalisation ».
Claude Meyer démonte ensuite les mécanismes du leadership économique japonais sur l’Asie : intégration des économies asiatiques (le « circuit intégré »), modèle des « oies sauvages », puissance financière, mais aussi dépendance réciproque avec l’économie chinoise, dont l’entrée à l’OMC en 2001 a fortement accru les liens avec l’économie japonaise. Cette puissance se traduit sur le plan géopolitique par une aspiration à une certaine « normalisation » vis-à-vis de l’après 1945, notamment à travers un pacifisme actif dans le cadre onusien, mais aussi par une accélération de l’intégration régionale asiatique, processus dans lequel le Japon se rapproche d’ailleurs de l’Inde.
Chapitre 4 : La Chine, une puissance globale en devenir.
Dans une logique de puissance globale qu’il ne faut surtout pas perdre de vue, la première étape des ambitions chinoises est de parvenir, par la poursuite d’une croissance économique forte, à affirmer sa puissance sur le plan régional. L’horizon est toutefois clairement de contester l’hégémonie américaine dans les vingt prochaines années. Or, même si la Chine devient la première économie mondiale vers 2027, l’effet de masse ne suffira pas, car la puissance de l’économie japonaise (et américaine, pourrait-on rajouter) ne repose pas (ou pas complètement) sur sa taille, mais bien sur son avance technologique. Et dans ce secteur, les choses sont loin d’être évidentes : le rattrapage chinois en matière d’innovation s’apparente à une « longue marche » incertaine, même si la Chine a déjà entrepris des efforts colossaux en la matière. Sur le plan géopolitique, en revanche, l’affirmation de la puissance chinoise est déjà une réalité, plus ou moins masquée par les déclarations pacifistes du gouvernement de Pékin.
Pour la première fois dans l’Histoire, rappelle Claude Meyer en conclusion, la Chine et le Japon sont simultanément puissances régionales. C’est dire tout l’intérêt historique de la période actuelle. L’auteur envisage plusieurs scénarios, le plus vraisemblable se déroulant selon lui en deux temps : les vingt prochaines années verront le leadership en Asie partagé entre les deux pays, dans une certaine instabilité conflictuelle ; vers 2030 pourrait s’ouvrir une seconde séquence, avec l’émergence d’un nouvel ordre régional en liaison avec une hypothétique Communauté asiatique. Le Japon pourrait évoluer vers une sorte de « Suisse de l’Asie, prospère et pacifiste », dans une Asie sino-centrée.
Annexes
Une courte bibliographie figure en fin d’ouvrage. Elle est à compléter par les « compléments » présents sur le site des presses de Sciences Po : http://www.pressesdesciencespo.fr/ On trouvera ainsi des chiffres ainsi qu’une bibliographie actualisés.
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L’ouvrage de Claude Meyer est très fortement étayé de chiffres et la démonstration n’en est que plus implacable. Il devrait être lu par tous les collègues qui auront à enseigner l’Asie, la Chine, le Japon, ou même l’ordre économique et géopolitique mondial. Nombre d’idées ou de faits émergent en effet de cet ouvrage, qui relègue bien loin les pages de nos manuels du secondaire, même si on aurait aimé quelques cartes, graphiques ou schéma pour compléter la lecture.
Il est aussi à noter, sur un plan peut-être plus anecdotique, mais qui intéressera les enseignants que nous sommes, que le discours est très habilement mené. On ne trouvera ainsi aucune annonce de plan du genre balourd : « Dans une première partie, nous verrons que… ». Le discours est d’une grande fluidité et annonce son mode de traitement de manière élégante. A l’heure où beaucoup d’ouvrages sont écrits un peu vite, et édités plus vite encore, cela mérite d’être souligné.
Sur le fond, enfin, Claude Meyer nous a convaincu. Il a cassé bon nombre de représentations ou d’idées fausses sur la Chine comme sur le Japon, pourtant élaborées sur des lectures sérieuses (mais manifestement insuffisantes). L’auteur est bien, selon le projet de la collection, « un vrai spécialiste, porteur d’idées nouvelles ». Une lecture stimulante, donc, qui remet beaucoup de choses en question et permet de nuancer nos idées, tout en les remettant dans une juste perspective. De quoi enseigner comme on navigue : « au plus près ».
Christophe CLAVEL
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