La collection Major a déjà publié bon nombre d’ouvrages de base en géographie, qui ornent nos bibliothèques et – espérons-le – nos esprits. Stéphane Dubois publie Le défi alimentaire, étude géopolitique et géoéconomique des agricultures mondiales : un livre qui bénéficie d’une double actualité, mondiale comme pédagogique, tant cette question truste les nouveaux programmes du secondaire. Cet ouvrage conséquent (presque 600 pages) tombe donc à pic et correspond à une forte attente.

Stéphane Dubois est professeur en classes préparatoires économiques et commerciales au lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Il est déjà l’auteur, chez un autre éditeur, d’un manuel sur les hydrocarbures et d’un autre sur le fait religieux, ainsi que de diverses productions type manuels de concours ou articles de revue scientifique.

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Le propos du livre remet les agricultures mondiales au cœur des problématiques géostratégiques et géoéconomiques actuelles. Le défi alimentaire, celui de nourrir 9 milliards d’humains en 2050 (et autrement qu’avec un bol de riz quotidien !), peine actuellement à être relevé. Aussi n’est-il pas inutile de suivre l’auteur dans ce voyage dans le temps et dans l’espace. Rappelons, avec Dubois, Brunel et quelques autres, que le problème est en effet loin d’être réglé : avec la crise économique, un milliards d’êtres humains souffrent de la faim aujourd’hui. Et si la planète est devenue en 2007 majoritairement urbaine, les ruraux représentent encore 49,5% de la population mondiale. Le sujet est donc essentiel en même temps que brûlant.

L’ouvrage est structuré en neuf chapitres, que l’on peut regrouper en deux parties.

La première fait le bilan des grandes questions de géographie rurale et agricole.

Le chapitre 1 rappelle que, si l’érosion démographique de l’agriculture est incontestable, les campagnes rassemblent encore presque la moitié des hommes et que l’agriculture fournit un nombre toujours très élevé d’emplois, au moins en Asie et en Afrique. Cette érosion démographique n’a d’ailleurs toujours pas permis de régler les problèmes d’appropriation de la terre, la question foncière restant à vif en de nombreux pays.

Le chapitre 2 rappelle les impératifs de production auxquels ont été soumises les agricultures mondiales. Les réponses apportées sont évidemment de deux ordres : extensives et intensives. Autrement dit, produire plus en étendant les surfaces cultivées, dans le passé ou le présent, avec d’intéressants développements sur les fronts pionniers ou les systèmes extensifs actuels ; ou produire plus par hectare, en privilégiant le rendement, via les techniques des révolutions agricoles.

Le chapitre 3 montre pourtant que les agricultures mondiales restent confrontées à des problèmes alimentaires persistants (qui, à notre sens, sont peut-être moins des problèmes agricoles que politiques, mais passons !) que les logiques d’une deuxième révolution agricole, aujourd’hui à bout de souffle, ne parviennent pas à régler. Le bilan tracé par l’auteur laisse d’ailleurs pantois, parfois inquiet, et l’on aurait aimé (mais est-ce vraiment possible ?) une évaluation quantitative plus fine des limites rencontrées par les systèmes agricoles actuels.

Les solutions sont envisagées au chapitre 4, qui fait le point sur le génie génétique et défend le retour à des pratiques agricoles plus durables, pour le dire (mal) en un mot. Peut-être, toutefois, aurait-on pu insister davantage sur les besoins des populations des PMA (manger) et des pays émergents (manger mieux). Mais la réflexion de l’auteur est intéressante : l’occasion d’un article ultérieur ?

Le chapitre 5 décrit l’insertion différenciée des agricultures dans la mondialisation, véritable géoéconomie planétaire contrôlée, au moins partiellement, par les firmes transnationales, qui bénéficient d’un marché finalement assez peu encadré et peuvent ainsi développer leurs logiques agroindustrielles. L’arme alimentaire reste d’actualité et l’auteur, sans se limiter à l’habituelle charge contre les États-Unis, montre l’émergence de nouveaux acteurs, comme le Brésil.

La deuxième partie fait le point sur les systèmes agricoles dans le monde, via une géographie régionale très fournie et passionnante par la pertinence du propos et la variété des exemples traités.

Le chapitre 6 fait le tour des agricultures du Nouveau Monde : la très extensive Amérique du Nord (États-Unis et Canada), puis les géants agricoles d’Amérique latine, Brésil et Argentine, avant de passer en revue les modèles agro-exportateurs des autres pays latino-américains. Où l’on voit que la puissance agricole n’est pas synonyme de sécurité alimentaire !

Le chapitre 7 aborde les agricultures asiatiques, poids lourds de la question. L’Inde, bien sûr, et la Chine, dont la sécurité alimentaire ne va pas de soi, en dépit des succès récents. Le Japon aussi, et son agriculture-musée. L’auteur fait ensuite le point du reste du continent : agricultures exportatrices d’Asie du sud-est ; agriculture « de la faim et de l’impotence économique » des PMA asiatiques ; agricultures du Proche et Moyen-Orient, enfin.

L’Afrique, « continent attardé », est l’objet du chapitre 8. Marquée par un certain volontarisme, l’Afrique souffre de lourds handicaps qui grippent – voire bloquent, selon l’auteur – les systèmes agricoles du continent. L’analyse s’achève par la description des agricultures d’Afrique du nord, sahélienne et subsaharienne.

Le chapitre 9 clôt l’ouvrage par l’étude des agricultures européennes. De longues et intéressantes pages, très à jour, sur l’agriculture française. Suivent, de manière peut-être un peu plus confuse, les agricultures méditerranéennes et nord-occidentales. Enfin, les agricultures d’Europe orientale et de Russie sont envisagées, l’auteur étant peu optimiste sur la Russie.

Annexes

Une bibliographie très fournie figure en fin d’ouvrage. On y trouvera de quoi aller plus dans le détail, sur des aspects précis.

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S’il faut être un tant soit peu critique, voire mauvais coucheur, quelques remarques peuvent cependant être faites :

• L’auteur aime le vocabulaire précis, mais si l’on ne peut rien reprocher à la formulation, parfaitement scientifique, il faut avouer que cela gâte un peu la fluidité de la lecture. Reculoir, ampélographique, oligopsone, misonéiste, fuligineux… On se prend à sourire parfois, mais on admire la virtuosité !

• A l’inverse, on sourit également de quelques définitions qui peuvent paraître inutiles, telle celle des bidonvilles, ou sur la nécessité de préciser que São Paulo est une ville brésilienne.

• Plus sérieusement, la précision de l’auteur tourne parfois à l’obsession. On est parfois un peu lassé de cette avalanche de chiffres, souvent reformulés plusieurs fois : ainsi, page 323, on donne les chiffres de la superficie agricole du Brésil entre 1961 et 2004 : 150 > 263 M ha, soit une multiplication par 1,75, soit +75% ! Sans doute aurait-il été plus concis, plus efficace, d’intégrer des tableaux chiffrés, et de les commenter, plutôt que ces paragraphes qui ne sont que des tableaux verbeux.

• Les graphiques, nombreux et utiles, auraient gagné à être intégrés à la démonstration, plutôt que simplement posés au milieu d’un paragraphe qui n’est pas toujours le bon. Ajoutons que d’assez nombreuses erreurs ont été repérées, parfois même dans le texte. Par exemple, pages 58, 185, 200, 364, 446, 551… Mais c’est sans doute faire un bien mauvais procès à l’auteur, au vu de l’abondance de données. Plus ennuyeuse (mais évitable ?) est la dépendance systématique aux données de la FAO.

Sur le fond, à présent, on regrettera que l’auteur se limite à son propos, c’est-à-dire à une géographie un peu trop purement économique. On aurait aimé que Stéphane Dubois développe davantage d’exemples régionaux – et des cartes, par pitié ! – qui auraient enrichi le livre. Mais on ne peut pas lui en faire le reproche : c’était là son objet. Le talent de l’auteur aurait cependant donné lieu à de belles analyses.

Quelques sujets de fond ont suscité de vraies interrogations, en revanche. En voici quelques unes, au fil des pages :

« Le seul marché est incapable de résoudre le problème de la faim dans le monde »… Surtout, ajouterais-je, quand on n’y a pas accès ! Il me semble que le jugement est un peu rapide… pour ne pas dire convenu ! Surtout quand on se plaint, quelques pages plus loin, des distorsions du dit marché !

• On reste un peu sceptique sur la possibilité, pour les agricultures sahéliennes, de régler le problème de la faim avec la « redécouverte de savoir-faire anciens ». Les dits savoir-faire n’ont jamais permis une grande abondance alimentaire, alors qu’en dire après le passage de la transition démographique ?

• Il n’est pas réaliste, me semble-t-il, de critiquer les régimes carnés. Il s’agit d’un régime auquel aspirent des milliards de personnes. Et, qu’il soit légitime ou non, le fait est là : les Chinois se mettent à manger plus de viande ! N’est-ce pas prendre le problème à l’envers ?

• On ne peut s’empêcher de penser, lors des pages sur l’agriculture biologique, dont toutes les vertus sont passées en revue, que ce n’est pas le bio qui nourrira 9 milliards d’humains.

• Enfin, il est de bon ton de critiquer le libéralisme et son expression impérialiste : les célèbres Programmes d’Ajustement Structurels du FMI. Stéphane Dubois analyse l’exemple du Maroc et le PAS dont la nocivité a été « dénoncée ». Mais a-t-on bien idée de ce qu’eût été la situation du Maroc en l’absence de Plan ? Et « dénoncer » ne veut pas dire « démontrer ».

Au final, l’ouvrage de Stéphane Dubois est un énorme travail, sérieux et documenté, parfaitement à jour et d’une très grande utilité. Il s’agit d’un ouvrage très stimulant, dont la lecture s’est avérée passionnante et a posé de nombreuses questions. On ne saurait trop en recommander la consultation à tous les collègues qui envisagent de traiter ces problèmes auprès de leurs élèves, quel que soit le niveau considéré.

Christophe CLAVEL

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