Amis hier, ennemis demain. Tel semble être le destin des diplomates européens de l’après-guerre dans la poudrière du Moyen-Orient, au temps de la guerre froide.
« Monsieur l’ambassadeur, vous avez sous les yeux un demi-siècle de progrès, d’optimisation et de génie britannique. Avez-vous seulement idée des investissements que représente pour eux la raffinerie d’Abadan ? »
Les éditions Le Lombard ont choisi comme premier tome, pour leur nouvelle série, Les chroniques diplomatiques, une affaire assez peu connue, qui conduit le lecteur en Iran, pays largement dominé par les Anglais sans être cependant colonisé.
Tristan Roulot, le scénariste conduit savamment son intrigue. En 1951, un gouvernement élu, dirigé par Mohammad Mossadegh nationalise l’Anglo-Iranian Oil Company. Cet acte constitue une bravade face aux puissances impérialistes qui ont placé des intérêts dans un pays qui se veut accéder rapidement à la modernité.
Alors que le premier ministre renforce son assise populaire, les ambassadeurs européens, présents en Iran s’activent afin de garder leur influence et surtout leurs intérêts financiers notamment dans le pétrole. Français et Anglais entendent s’imposer mais ils sont doublés par les Américains, dans une des premières opérations de la CIA, connue sous le nom d’Ajax, en août 1953. Le but est de destituer le dirigeant élu par le peuple afin de rétablir au pouvoir le Shah, Mohamed Reza, présenté comme moderne et occidental. Ce dernier, reprend le pays en main. Dans un régime autoritaire, il réactive le mythe fondateur politique et culturel de la famille des Pahlavi.
« Agiter le peuple, pour après s’en servir » Talleyrand
Tous les protagonistes s’en mêlent pour tirer leur épingle du jeu diplomatique, chacun allant solliciter son réseau ou utiliser la corruption, en faisant croire que les autres agissent contre l’intérêt de l’Iran. Jean d’Arven, jeune ambassadeur français s’est vu abusé par ces rivalités de pouvoir.
Ancien assistant de Jacques Martin (Alix, Lefranc, Corentin) Christophe Simon illustre l’album d’un dessin très fin à l’encre noire qui souligne les traits des visages. Il réalise de véritables portraits qui donnent chair aux personnages. On sent son plaisir à représenter les années 50, et les remarquables voitures aux lignes racées. Les amateurs de l’Iran et les admirateurs de l’ancienne Perse (Persépolis, Suse) ne peuvent s’y tromper. Symboles et monuments sont remarquablement traduits, une mention particulière pour la première de couverture où se côtoient une mosquée, un iwan (propre à l’architecture iranienne) et un palais comme sur la place royale d’Ispahan, associés à la porte aux lions, symbole des Achéménides. Le tout est imprimé sur un fond de zellige, encadré de motifs propres à l’enluminure persane, un ensemble du plus bel effet.
Si l’affaire diplomatique se montre assez compliquée (Un dossier final, « pour aller plus loin » bienvenu et sourcé), cet ouvrage, de belle qualité graphique, en facilite la compréhension. Adressée plutôt aux adultes, cette BD réserve un vrai plaisir de lecture. On attend le second tome avec impatience…