Alexis Lacroix, germaniste de formation débute comme critique littéraire auprès de Michel Fields. Il devient chroniqueur à RCJ, radio sur laquelle il anime une émission avec Alexandre Adler « Géopolitiquement incorrect ». Il est l’auteur de plusieurs ouvrages : Le socialisme des imbéciles sous-titré « quand l’antisémitisme redevient de gauche » (2004), J’accuse !…1998-2018. Permanences de l’antisémitisme et co-écrit avec Benjamin Stora et Régis Debray, Penser les frontières.
La dernière de couverture indique que l’ouvrage présente les 10 années (1922-1932) entre l’assassinat de Rathenau et l’accession d’Hitler au pouvoir : « Dix années terribles […] (une) montée des périls et cette marche à l’abîme. En convoquant le regard des philosophes et écrivains de l’époque (qui nous montrent) comment s’est opéré le grand basculement de la civilisation européenne et son effondrement dans la barbarie. »

METROPOLIS, un souvenir à l’instant du péril

A la fin de la 1ère Guerre Mondiale, le centre de gravité de l’Europe se déplace de Vienne à Berlin. Berlin est une grande métropole par sa superficie et par sa population. C’est aussi un centre urbain de l’avant-garde expressionniste. Berlin est la ville emblématique de la Gesellschaft (une somme d’individus) par opposition à la Gemeinschaft (qui met en avant le groupe).


24 juin 1922

Dans Le Monde d’hier Stefan Zweig présente l’assassinat de Rathenau, ministre des affaires étrangères de la République de Weimar le 24 juin 1922, comme l’événement prémonitoire de la chute de cette République. Rathenau est assassiné par l’organisation Consul, groupuscule « proto-nazi ». Mais son concitoyen Joseph Roth souligne que d’autres assassinats ou tentatives d’assassinats tels ceux de Maximilian Harder, journaliste, ou de Carl Melchior, banquier, précèdent celui de Rathenau et soulignent déjà les menaces qui pèsent sur la République de Weimar.
Rathenau est issu de la bourgeoisie industrielle allemande. Il est juif. C’est un homme au service de l’idéal républicain. Il est conscient des dangers que représentent pour la République de Weimar des industriels comme Krupps et Thyssen, et, de la menace de la montée de la droite nationaliste.
La République de Wrimar a instauré une « citoyenneté pleine et entière » pour tous les Juifs allemands. Dans ces années difficiles d’après-guerre, l’inflation et la misère trouvent dans le « Juif un bouc-émissaire ». Les 2 haines vont de pair : haine de la république de Weimar et haine des Juifs. Ces derniers sont déjà exclus des corporations d’étudiants et des services d’encadrement dans le sport ou les entreprises.

La faute aux Politiques ? détour par Alexanderplatz

Au sujet de la république de Weimar, la question qui divise les historiens est « le ver était-il dans le fruit ? »
L’historien allemand Rüdiger Graf défend une République de WEIMAR qui dans un contexte difficile réussit à installer une culture parlementaire solide : elle accorde le droit de vote aux femmes, instaure une assurance sociale, consent un rôle important au Reichstag … Elle a été capable d’affronter et de surmonter le putsch de 1923.
A quoi/ qui attribuer son échec : à des politiques corrompus et incapables depuis la capitale berlinoise de comprendre le peuple (Volk) rural et légitime, selon les conservateurs réactionnaires. En août 1921, Mathias Erzberger, signataire de l’armistice de Compiègne et homme politique (Zentrum) est accusé de corruption, il subit une campagne diffamatoire et est assassiné. Il est une des victimes des « réactionnaires » de l’époque, présents en particulier au sein l’Université et parmi les étudiants.
BIBERKOPF, le héros du roman d’Alfred Döblin Berlin, Alexanderplatz incarne cette opposition à la République de Weimar. C’est un soldat allemand, qui au retour de la guerre peine à trouver sa place dans cette société. BIBERKOF est emprisonné pour l’assassinat de sa compagne. A sa sortie de prison, il est pris en charge par REINHOLD, représentant les chemises brunes anti-élites, anti-intellectuels, anti-pacifiques et antisémites.

L’irrésistible ascension du nationalisme

En 1922, le germaniste Henri Lichtenberg attribue la montée du nationalisme à 3 groupes : les Jünker, une aristocratie de propriétaires terriens et de militaires désarmés qui perd ses privilèges, les étudiants issus d’une classe moyenne appauvrie par la guerre, le monde rural hostile au monde urbain et en particulier à la cosmopolite Berlin. Il caractérise les mouvements nationalistes par leur refus de participer au pouvoir pour ne pas avoir à assumer la responsabilité de leurs actions et par le rejet du régime républicain aux antipodes des valeurs de l’âme germanique.

« Qui maintenant dompterait les fauves ? »

écrit Sébastien Haffner dans Histoire d’un Allemand suite à la mort du chancelier Stresemann en octobre 1929. La République de Weimar est attaquée par les conservateurs nationalistes et par l’extrême gauche communiste. Les deux critiquent et rejettent le régime parlementaire. Dans le Gardien de la constitution le juriste Carl Schmitt développe l’argument selon lequel cette République du juste milieu n’est pas compatible avec la démocratie, car le Reichstag n’est qu’un lieu de « vulgaire négociation d’intérêts, un éternel et prosaïque marchandage ». A. Lacroix présente C. Schmitt comme un précurseur de la démocratie illibérale.

Autoroute vers le nazisme

Dès 1927, le sociologue Karl Mannheim s’interroge que « peut-on prévoir des sociétés de masses désormais à l’œuvre pour détruire les sociétés de classes ? ». Il constate que la pensée conservatrice ne dialogue pas, n’argumente pas, elle affirme par la voix du philosophe Oswald Spengler (théoricien de l’Untergang) « la primauté des cultures sur les grands signifiants de l’universalisme ». Spengler cible ainsi la République de Weimar.

Le rouge, le noir, le gris

Le parti communiste allemand (KPD) combat le fascisme mais pas le nazisme selon A. Lacroix, car communistes et nazis ont en commun leur haine du régime parlementaire. Thomas Mann, qui dans un premier temps a critiqué une La République de Weimar trop nuancée (grise), change d’opinion à la mort de Rathenau. Dès lors, il défend la République et dénonce dans ses discours et dans ses écrits l’attitude bienveillante du KPD envers le parti nazi.

Ernst CASSIRER et Raymond ARON face à la destruction de la République

Lors d’une conférence sur « l’idée de la Constitution républicaine » (août 1928), Ernst Cassirer défend l’opinion selon laquelle la démocratie n’est nullement un concept étranger à la culture allemande. Il « arrime [La République de Weimar] à l’histoire longue du droit naturel en Europe ». Il appuie sa démonstration sur les écrits de Goethe, Leibniz et Kant. En 1932, il réaffirme son plaidoyer en faveur de la philosophie des Lumières, de la validité universelle des Droits de l’Homme et de la République de Weimar (conférence tenue à Hambourg).
Ces propos rejoignent ceux de l’étudiant français Raymond Aron alors en séjour en Allemagne. A son retour en France, R. Aron corédige avec Elie Halevy, Georges Friedmann et Célestin Bouglé une étude sur les racines intellectuelles du national-socialisme. Il y dénonce 2 préjugés qui constituent un obstacle à la compréhension d’une révolution populaire de droite : la connotation uniquement positive du terme « peuple » et le refus que les « petits » à gauche puissent adhérer aux thèses nationalistes : « La seule addition des ressentiments, si puissante soit-elle, n’aurait « pas suffi, ajoute ARON, à cimenter en un bloc unique les masses dispersées : il fallait aussi des espérances. […] aux ouvriers, on annonçait le vrai socialisme et la communauté allemande, mais on rassurait aussi Thyssen et les capitalistes. »
Avec Emil Ludwig et Ernst Cassirer, R. Aron décèle dans l’hostilité à la République de Weimar la « part française de la conscience allemande moderne » et la « réfutation des principes de 1789 ». A Lacroix présente le rapprochement franco-allemand après la seconde Guerre Mondiale comme un outil primordial du processus de dénazification.

L’ouvrage ne présente pas la République de WEIMAR et ses réalisationsOn trouvera des textes ici , mais il essaie d’expliquer sa chute à la lecture des écrits contemporains. Au terme de cette lecture, on a le sentiment que le sort de la République de WEIMAR était joué d’avance dans un contexte national et international si difficile. A Lacroix effectue quelques parallèles avec la situation contemporaine, évoquant « la réacosphère », les « antisystèmes actuels », les adeptes de la démocratie illébérale tel Victor ORBAN, le « transhumanisme » d’Elon MUSK. Ces propos succincts n’apportent rien à la thèse de l’ouvrage .

Le poids de l’antisémitisme dans la chute de la République de WEIMAR est d’autant plus souligné que nombres de références viennent soit d’auteurs antisémites ou d’auteurs de confession juive. La contribution du KPD dans l’ascension du parti nazi est une piste intéressante … à travailler.