Fin janvier avait lieu la semaine de la classe inversée. Ce sujet est de plus en plus présent dans les discussions pédagogiques, même s’il reste encore très marginal dans les pratiques. Ce livre permet donc de faire le point et invite à clarifier les éléments du débat.

Un ouvrage pour faire le point

Marcel Lebrun est docteur en sciences, professeur en technologies de l’éducation en Belgique et il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les rapports entre pédagogies et technologies. Julie Lecoq est docteur en sciences psychologiques et de l’éducation et conseillère pédagogique à l’université catholique de Louvain. Précisons aussi que l’ouvrage est disponible en version numérique. L’ouvrage est structuré en six parties. A plusieurs reprises, on trouve d’utiles encarts qui sont autant de résumés des principaux points abordés et des points de conclusion à la fin de chaque partie. Le livre propose une bibliographie pour aller plus loin et, plus original, une filmographie.

Définir et décrire les classes inversées

Avant tout, il s’agit de définir le sujet. Il faut se méfier de toute impression de nouveauté absolue et, en même temps, les auteurs invitent à oser l’expérimentation. Un encadré page 17 définit la classe inversée et insiste notamment sur le fait que, parmi les caractéristiques, il y a le fait que l’enseignant n’est pas le maître sur l’estrade, ou encore que les contenus sont accessibles tout le temps. Les auteurs soulignent aussi ce que n’est pas la classe inversée, ce qui aide à en comprendre les spécificités. Ce n’est pas de la vidéo en ligne, ce ne sont pas des étudiants devant leur écran. Histoire de ne pas être uniquement théorique, les auteurs proposent un exemple en insistant sur les interactions. Ils proposent également de définir des niveaux de classe inversée, ce qui peut rassurer celles et ceux qui seraient tentés par l’expérimentation.

Classes inversées et courants pédagogiques

Ce travail de clarification posé, les auteurs insistent ensuite sur le fait que la classe inversée se situe à « la croisée de différents courants pédagogiques ». Ils passent en revue de façon rapide mais efficace les caractéristiques du constructivisme ou de l’interactionnisme. A l’issue de chaque courant étudié, une analyse de son apport à la classe inversée est proposée. A la fin de cette partie, on trouve les cinq principes du dispositif pédagogique de la classe inversée, à savoir informer, motiver, activer, interagir, produire. Chaque verbe est déclinée pour en souligner l’importance. A titre d’exemple , « produire » : produire des connaissances nouvelles ou confronter la vidéo à voir à un texte contradictoire. Il s’agit donc de créer quelque chose. De même dans l’idée d’interagir, les auteurs disent bien qu’une « tâche collaborative nécessite d’être formulée de telle manière qu’un étudiant seul ne puisse la résoudre ». Procédant ainsi, les auteurs dégagent donc progressivement les éléments de ce qu’on pourrait appeler une bonne pratique de la classe inversée.

Comment réussir une classe inversée ?

Entrant toujours plus loin dans le processus, le livre aborde un point crucial à savoir la « nécessité incontournable de scénariser préalablement » toute activité. Il s’appuie sur cinq dimensions croisées avec quatorze composantes. Cela pourrait effrayer, mais il s’agit d’un nécessaire effort de définition et de clarification pour comprendre et mettre en oeuvre une classe inversée. Les cinq aspects essentiels sont l’articulation présence/distance, la médiatisation concernant les usages des outils et de la plateforme, la médiation concernant les objectifs pédagogiques, l’accompagnement et l’ouverture. Concrètement sur le premier point il s’agit d’envisager des activités de groupe lors des phases d’enseignement et en dehors des cours. On trouve ensuite de façon rapide quelques exemples d’applications ou de logiciels qui aident à concevoir. A chacun ensuite de visionner des tutoriels pour s’emparer de tel ou tel outil. Il s’agit donc de montrer comment le numérique aide à construire la classe inversée.

Classes inversées et renversements

Les auteurs abordent ensuite un point qui n’est pas forcément perçu comme une difficulté au départ. En effet, on aurait tendance à présupposer l’intérêt des élèves pour travailler autrement. Mais les auteurs disent : «  il n’est pas rare qu’ils n’apprécient guère, du moins au début, ce mode d’apprentissage qui sollicite leur participation active. » Il faut donc prendre le temps d’expliquer le pourquoi de la classe inversée puis ils doivent en percevoir le sens et l’utilité et enfin ils doivent percevoir l’autonomie et la flexibilité que permet la classe inversée ». Cela ne peut se faire en une fois mais demande à être réaffirmé au début. La classe inversée peut être une façon de mettre en oeuvre une réelle pédagogie différenciée. Il faut aussi ne pas hésiter à transformer la configuration des lieux car cela peut aider à faire comprendre qu’on va travailler autrement.

Impact des classes inversées

Arrivé à ce point du livre, se pose fatalement la question de l’impact de telles pratiques. Parmi les données générales à connaitre, il y a le fait, par exemple, que la vidéo est un moyen de transmission au moins aussi performant qu’un cours magistral. Il faut relever aussi que les compétences travaillées dans ce genre de dispositifs, comme l’adaptativité, sont aussi valorisées par le monde professionnel. Les études d’impact ne sont pas encore légion. Dans l’une d’elles, huit enseignants sur dix perçoivent une amélioration des attitudes de leurs étudiants par rapport à leur apprentissage. Cependant, d’autres signalent des effets négatifs, comme le fait que la classe inversée peut avoir tendance à favoriser l’étudiant extraverti plutôt qu’introverti.

Quels débats autour des classes inversées ?

Les auteurs rassemblent dans cette dernière partie les éléments du débat en se livrant à un bilan qu’ils souhaitent le plus objectif possible. Parler de classe inversée, c’est poser aussi la question de la motivation ou encore de l’entraide entre les élèves. Parmi les points à prendre en considération, il y a celle des niveaux d’adoption des technologies par les enseignants.
Les auteurs relèvent enfin quelques obstacles et nécessités pratiques : il faut privilégier des vidéos courtes ou encore faire répondre à de courts questionnaires en ligne. Pour appuyer cela, des exemples rapides tirés d’expériences sont proposés. On pourra faire sienne la conclusion de cette partie à savoir « oser expérimenter, mais pas n’importe comment ».

Alors que l’on parle de plus en plus du numérique, cet ouvrage centré sur un type de pratiques qui prend appui sur lui donne un tour d’horizon très complet de ce qu’est la classe inversée. Il alterne les moments théoriques, indispensables pour cerner, et définit le phénomène, avec des moments plus pratiques qui s’appuient sur des retours d’expérience et des conseils sous forme de recommandations. Il est donc très utile à la fois pour ceux qui veulent réfléchir sur cette pratique s’ils l’ont déjà mise en place et, pour les autres, cela donne des pistes pour essayer si l’envie s’en fait sentir. Sans angélisme, l’ouvrage ne dit pas qu’il s’agirait là de la solution, mais plaide pour l’expérimentation. En ce sens, on ne peut que le suivre.

(c) Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.