Dans cet ouvrage, Patrick Rayou et d’autres chercheurs se penchent sur un sujet à forte charge symbolique. Il s’agit de décrypter des idées reçues sur l’origine sociale des élèves. Ce livre parait au sein d’une collection qui a déjà offert d’intéressantes synthèses comme une sur l’intelligence. En toute fin d’ouvrage les mythes et leurs commentaires sont repris et synthétisés. Dix pages de bibliographie permettent de savoir quoi lire pour approfondir tel ou tel aspect.
Le dispositif
Dix idées reçues sont examinées. Dans une première partie, composée de cinq chapitres, les auteurs ont rassemblé des contributions qui tendraient à montrer que l’école peut tout, c’est-à-dire qu’elle arrive à changer les choses. Dans un second volet, les auteurs examinent cette fois cinq entrées qui tendraient à montrer, au contraire, que l’école ne peut rien. Comme il est dit dans l’introduction, « le but de ce livre est d’explorer les deux aspects du mythe, non pour désespérer le lecteur… mais bien au contraire pour l’inciter à se saisir de ce que les recherches relatives à l’origine sociale des élèves nous autorisent à penser ». C’est en effet la grande force de ce livre, et de cette collection, que d’apporter un regard issu de la recherche. Les résultats de celle-ci ne sont pas toujours très connus ou très accessibles car cantonnés à des revues spécialisées. A l’intérieur de chaque idée abordée, on trouve plusieurs temps signalés par des titres et sous-titres ainsi qu’une conclusion.
L’école peut tout
La première entrée abordée est redoutable dans sa simplicité de formulation : « le mérite suffit ». Elise Tenret empoigne donc cette affirmation et la décortique. Après avoir rappelé l’historique de la notion de mérite, elle souligne l’apport de la sociologie qui montre la corrélation entre position sociale et réussite scolaire. Cependant, des études récentes pointent le fait que les compétences scolaires ne sont pas toutes valorisées professionnellement et inversement. Il y a eu des politiques compensatoires mais aux effets difficiles à évaluer. Surtout, le débat du mérite n’est peut-être pas le bon et parasite d’autres missions de l’école comme la formation. Julien Netter met en avant l’idée très intéressante de « curriculum invisible ». Cela signifie qu’il ne suffit pas qu’un programme soit le même pour tous pour que les élèves soient égaux. Autrement dit, les élèves qui ont les codes de l’école comprennent et font des liens entre différentes activités, ce qui n’est pas forcément le cas des autres. L’article suivant s’attaque notamment à l’idée que des parents seraient démissionnaires. Or, les données issues de la recherche contredisent cette affirmation. Des travaux d’Agnès van Zanten tendraient à montrer que « les parents de classes populaires …seraient conduits à adopter une attitude en terme de retrait afin de résister aux formes de stigmatisation dont ils font l’objet ». L’exemple des albums jeunesse est aussi intéressant car en faciliter l’accès aux enfants ne se traduit pas forcément positivement. En effet, « il ne suffit pas de rencontrer la culture cultivée pour se l’approprier ». Agnès van Zanten examine enfin dans un cinquième article l’idée que l’ouverture sociale bénéficierait à tous les élèves. C’est alors pour elle l’occasion d’explorer des idées comme le ruissellement appliqué à l’éducation.
L’école n’y peut rien
Cette seconde partie s’appuie cette fois sur des entrées qui tendraient à montrer que tout est déjà joué. Ainsi, la première e,trée pose le principe que « les héritages décident de tout». Patrick Rayou insiste pour dire que la conviction d’une école républicaine égalitaire a longtemps bloqué toute approche objective de la question. De façon générale, les mythes « comblent les vides de l’inexpliqué ». Il faut donc que les enseignants prennent du temps pour lire de la recherche ce qui leur permettra d’aller au-delà des idées toutes faites et sans cesse répétées. Vincent Dupriez pose la question de l’impuissance de l’école et des enseignants face à l’origine sociale des élèves. Il montre pour sa part que l’effet-classe est plus important que l’effet établissement, même si celui-ci varie beaucoup et dépend notamment de sa part d’autonomie. Il pointe ensuite les effets de quelques pratiques pédagogiques comme le guidage des élèves ou l’utilisation d’un feed back régulier. Il dit également qu’il faut partir des pratiques et des interrogations des enseignants tout autant que des résultats de la recherche. Yves Alpe se demande si « l’école rurale est une école au rabais ». Il souligne d’abord un paradoxe qui est qu’elle est une réalité très banale et, qu’en même temps, on lui reconnait une spécificité ce qui peut paraitre assez contradictoire. Deux questions sont au coeur de ce thème : la question des performances scolaires des élèves ruraux et la question des effets de territoire, autrement dit l’efficacité de la dépense publique. La recherche a montré que les résultats des élèves ruraux sont un peu meilleurs que ceux des urbains mais ils font preuve d’un « déficit d’ambition ». La conclusion insiste bien sur le fait que parler d’école rurale tend à minimiser le déterminant principal qui est l’origine socio-culturelle. La dernière entrée s’intitule « Les filles sont dociles, les garçons rebelles » et se penche donc sur les stéréotypes de genre. Les travaux de recherche montrent que « les procédures de sanction scolaire glorifient fortuitement une masculinité associée à l’affrontement, à la violence, au risque que ces garçons sanctionnés surjouent la figure des perturbateurs. »
En conclusion, les auteurs insistent pour dire que les deux axes de l’ouvrage, qui peuvent sembler manichéens, constituent « la toile de fond de notre imaginaire éducatif ». Ils soulignent quelques certitudes et tracent des pistes. Ainsi, on peut montrer que la réussite ou l’échec combine des facteurs sociaux et des facteurs liés à l’établissement. Il faut aussi s’interroger sur la façon dont les élèves apprennent en fonction de la façon dont les enseignants mettent en oeuvre le programme.
Cet ouvrage réussit donc, en à peine 150 pages, à exposer et à décrypter de façon claire plusieurs mythes liés à l’éducation. Il offre les acquis de la recherche à tout enseignant qui souhaite réfléchir à ses pratiques. Un ouvrage à conseiller.
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