L’auteur, Maurice SARTRE, est professeur émérite à l’Université de Tours. Il est spécialiste de la Syrie antique et grand connaisseur de l’Antiquité gréco-romaine.

Après s’être déjà intéressé à une femme de pouvoir en consacrant une partie de ses recherches Zénobie, Maurice SARTRE nous emmène à la découverte de Cléopâtre VII Théa Philopator, la plus célèbre des reines de l’Antiquité, dans cette biographie originale et passionnante. Cléopâtre, cette femme de légende, nous est surtout connue par le mythe créé autour de sa personne. Mais sait-on qui est réellement Cléopâtre ? Maurice SARTRE nous propose de déconstruire la légende fantasmée pour découvrir, grâce à une enquête rigoureuse de l’étude des sources antiques et avec un regard critique, qui est la vraie Cléopâtre.

 

Introduction. Une reine à Rome

Le livre débute comme un roman, nous plongeant à Rome au moment de l’assassinat de César, mais Maurice Sartre resitue rapidement son ouvrage en tant qu’œuvre d’Historien. Une introduction passionnante, qui donne le ton de l’ouvrage.

L’Historien donne à voir son métier, ses techniques qui permettent de gommer des incertitudes, mais qui en accepte d’autres, inhérentes au sujet traité. En effet, si Cléopâtre a fasciné dès l’Antiquité et a fait l’objet de nombreux écrits, cela a toujours été dans l’ombre de ses amants, et avec les préjugés standards projetés sur les femmes de pouvoir. Pour appréhender la femme d’Etat, nous avons peu de sources disponibles. Il faut aussi accepter de faire de l’histoire en creux, tout en réalisant qu’une biographie n’est pas seulement le récit de la vie du protagoniste, mais aussi un reflet des représentations de ses contemporains.

 

Chapitre Premier. La descendante

Les sources antiques ont plaqué sur Cléopâtre des préjugés classiques concernant des dirigeants vus comme « barbares » par les Romains, comme par exemple la connaissance de nombreuses langues.

Cléopâtre est la descendante d’une lignée dans laquelle plusieurs femmes ont eu un rôle important, ce dont la jeune reine a conscience.

Chapitre 2. Le dernier royaume

Le royaume lagide est le dernier dirigé par des descendants des compagnons d’Alexandre. L’enfance de Cléopâtre se déroule dans un contexte de crises, internes et externes, pour le royaume, avec une importante tutelle romaine. Les Alexandrins ont aussi une importance dans le choix ou le maintien des souverains.

Le contexte italien est à prendre en compte pour comprendre l’avènement et le règne de Ptolémée XII. Maurice SARTRE rappelle les guerres civiles, la corruption utilisée par le pharaon pour être reconnu par Rome, il souligne aussi le lien avec le clergé égyptien pour légitimer un pharaon qui n’a jamais vécu en Égypte. (Cependant, l’endettement de Ptolémée pour Rome a causé une crise avec les Alexandrins. Il fut chassé par eux car il n’a pas conservé Chypre.)

Cléopâtre enfant a vu que Rome avait le pouvoir de faire et défaire un roi, ainsi que le rôle de l’argent.

Cela a permis à Cléopâtre d’en tirer de nombreuses conclusions telles que la force des haines familiales pour le pouvoir, le fait que les Alexandrins ne veulent pas d’une femme seule au pouvoir…

Chapitre 3. Le roi est mort : vive la reine ?

Lors de la mort de Ptolémée, Cléopâtre avait environ 18 ans.

Maurice Sartre mène une réflexion sur les conditions d’accession au trône de Cléopâtre en utilisant les sources épigraphiques, littéraires, numismatique … A-t-elle commencé à régner seule ? Sans doute. S’est elle réellement mariée à son jeune frère ? C’est peu probable, il s’agissait sans doute plutôt d’un co-règne.

Chapitre 4. Dans le piège d’Alexandrie

La mort de Pompée signe le triomphe de César. Cléopâtre réalise qu’elle doit agir auprès de César contre son frère. Le Transport de Cléopâtre devant César s’est-il réellement fans dans un tapis comme dans le film de Josef Mankiewicz ? C’est une version parmi d’autres, rapportée par les anciens. Qu’elle soit réelle ou non, cela révèle une volonté d’échapper aux sbires de son frère. Y-a-t-il eu un réel coup de foudre du général pour Cléopâtre, réciproque ? C’est possible.

Maurice Sartre s’interroge sur la supposée beauté de Cléopâtre. Les textes parlent plus de séduction que de beauté, du charme et de la conversation de Cléopâtre. De plus, nous n’avons pas de portrait sûr et réaliste de la reine …

La crainte de la réduction de l’Égypte en province semble avoir été le moteur de la révolte qui mit  César en danger. Cette révolte est bien développée par Maurice Sartre. Elle se finit par la noyade de Ptolémée XIII. Pendant les mois de guerre, Cléopâtre est à proximité de César. Il la rétablit comme reine, mais associée à son jeune frère Ptolémée XIV.

Maurice Sartre interroge également la réalité de la croisière sur le Nil : elle ne fut pas que romantique, mais aussi politique ! César s’en est servi pour voir la richesse du pays, Cléopâtre pour se montrer en majesté.

Chapitre 5. L’énigme Césarion

Ptolémée « Césarion » est lui aussi source de polémique. Quand est-il né ? En 47 ou en 44 ? César est-il bien le père ? (César était d’une fertilité notoire…)

Maurice Sartre mène une étude et un examen approfondis des deux dates à l’aide des différentes sources (il nous donne à voir la démarche de l’historien). Selon lui, Césarion serait plutôt né en 47. La question a-t-elle un intérêt pour l’histoire ? Oui, car cette naissance permet à Cléopâtre de régner seule. Par contre, qu’il soit ou non le fils de César n’est pas important, la seule importance est que les acteurs de l’époque croient que César est le père.

Chapitre 6. La reine en son royaume

Les richesses de l’Égypte étaient-elles fantasmées ? Le royaume n’a plus les mêmes ressources qu’avant. On le constate par exemple avec la fuite des villageois accablés de prélèvements, les canaux mal entretenus empêchant la crue se répandre le limon, les folles dépenses de Ptolémée XII qui ont vidé le trésor royal …

Des ordonnances économiques de Cléopâtre montrent les problèmes du royaume (comme les crues insuffisantes) et les solutions envisagées. On assiste à une multiplication de taxes et d’impôts, à une dévaluation de la monnaie…. toutes ces mesures prises par la reine s’inscrivent dans une tradition royale.

Un papyrus de 33 par contre montre la politique de Cléopâtre et la présence de propriétaires Romains. Il révèle un début de mainmise de Rome sur l’Egypte. Maurice Sartre étudie aussi la réforme monétaire de Cléopâtre.

La prospérité du Royaume était-elle réelle ? Le haut niveau artistique des créations témoigne de la prospérité de la classe moyenne. Il y a peu de documentation, mais Maurice Sartre conclut à un règne prospère à partir de 47.

Chapitre 7. Cléopâtre et les dieux

Cléopâtre est une reine grecque mais elle bénéficie aussi d’une divination lagide. Elle reçoit un culte des souverains spécifique au monde grec. Cléopâtre est affiliée à des déesses existantes.  C’est une pharaonne, elle est représentée comme une reine du IIème millénaire, coiffée du pschent. Elle bénéficie aussi d’innovations, telle que l’invention d’une Horet, pendant féminin d’Horus. Cléopâtre œuvre à l’édification du temple d’Hathor à Dendérah, ainsi qu’à la chapelle d’Isis à Coptos. Elle maintient des relations étroites avec le haut clergé égyptien. L’étude des sources par Maurice Sartre révèle une attitude négative vis à vis des juifs.

Chapitre 8. De César à Antoine

César quitte Alexandrie au printemps 47 pour la guerre en Asie mineure. Cléopâtre débute-t-elle à ce moment la construction d’un temple en son honneur, le Caesareum ? Le voyage de Cléopâtre vers Rome a lieu en 46. La liaison entre César et Cléopâtre est connue mais scandaleuse, César étant toujours marié …

Lors du triomphe de César, des prisonniers célèbres, Arsinoé la sœur de Cléopâtre, et Vercingétorix. La beauté de la sœur de Cléopâtre entraîne sa grâce (décevant sans doute Cléopâtre). Sur le plan politique, Cléopâtre obtient la pérennité du royaume avec le titre d’amie et alliée de Rome. Mais c’est aussi la confirmation de la mainmise de Rome…

En 45, des égards exceptionnels envers Cléopâtre de la part de César irritent ses adversaires. Maurice Sartre évocations différentes rumeurs concernant cette période à Rome.

L’assassinat de César le 15 mars 44 bouleverse la situation politique de la reine : elle est sans protecteur romain. Mais la mort de son amant la délivre aussi de l’obligation de régner avec Ptolémée XIV qu’elle fait assassiner. Elle ne règne cependant pas seule, car elle se souvient de l’hostilité de Rome et d’Alexandrie au règne d’une femme seule : elle associe donc son fils Ptolémée, surnommé Césarion, le « petit César », qui devait avoir 3 ans à peine. C’est une période délicate, Cléopâtre doit être prudente et habile face à la guerre civile. Elle est dans une position inconfortable qui explique pour Maurice Sartre son attitude ambiguë, qui vise l’objectif de ne pas entraîner le royaume dans la guerre civile. Elle use de stratégie.

La rencontre de Tarse est source de légendes… Elle ne se présente pas à Antoine en suppliante, mais avec un faste qui ne pouvait que le flatter. Elle est Isis-Aphrodite. Maurice Sartre souligne le risque de suivre le récit Plutarque, qui est de privilégier l’anecdote au détriment des réalités politiques.

Mais la relation de Cléopâtre et Antoine dure 11 ans, avec la naissance de 3 enfants : on ne peut pas la résumer à une simple opportunité politique.

Maurice Sartre fait une description précise et détaille du retour à Alexandrie. Les amants se quittent en 40 pour  3 ans, alors que Cléopâtre est enceinte de jumeaux.

Cléopâtre n’apparaît dans les sources que comme maîtresse de César puis d’Antoine : l’historien peut donc succomber à l’illusion de l’inactivité de Cléopâtre ! Et le romancier peut combler ce vide…

Chapitre 9. Restaurer la grandeur lagide

Cléopâtre en 37 est une reine puissante avec des atouts incontestables. Les retrouvailles avec Antoine se passent à Antioche. Cléopâtre reçoit alors des donations (la Cilicie, La Syrie,….). Maurice Sartre suit le témoignage de Flavius Josèphe, qui consiste en une donation limitée sur la bande côtière de la Syrie.

Il est probable que les donations faites à Cléopâtre comportèrent de vastes secteurs de l’ancienne Syrie lagide, dont beaucoup de régions maritimes boisées, ce qui permet de reconstituer une flotte.

En 37-36, on assiste à la restauration de la puissance lagide. C’est sans doute ce que Cléopâtre voulait souligner en adoptant la double datation de son règne.

Antoine reconnaît officiellement les jumeaux de Cléopâtre en 40 et il épouse la reine. Le mariage a peu intéressé les anciens, la date n’est pas donc pas sûre. Mais cela a ému l’opinion : Antoine devenait l’esclave de l’ « égyptienne » … Des monnaies égyptiennes représentent les 2 époux. Aucun prince client n’a jamais été aussi proche de l’imperator que Cléopâtre. Cependant, Cléopâtre ne perd pas les intérêts de son royaume de vue, ni Antoine ceux de Rome, comme le montre le témoignage de Flavius Josèphe au sujet de leur désaccord sur le roi Hérode.

Chapitre 10. L’apogée du règne : le partage du monde

Les campagnes à l’Est d’Antoine en 36 sont un désastre. Cléopâtre le rejoint en Syrie, après avoir accouché d’un fils d’Antoine, chargée de vêtements et d’argent pour les soldats survivants (Selon Maurice Sartre, ce n’est pas sur les fonds d’Antoine contrairement à ce que dit Plutarque).

Le long récit de Plutarque vise à montrer les humiliations subies par Octavie à cause de « l’Egyptienne ». Il est nécessaire de mener un examen attentif des sources, de la propagande octavienne, par rapport à la célébration en 34 par Antoine d’une sorte de  » triomphe « . Maurice Sartre évoque 3 récits proches. Antoine envoie des lettres à Rome pour valider ses décisions pour montrer qu’il reste romain et fidèle à sa mission.

Chapitre 11. La vie inimitable

La vie de Cléopâtre et Antoine à Alexandrie était festive, on l’a surnommée la « vie inimitable ». Plutarque profite de sa description de leur mode de vie pour dresser un portrait noir de la reine et du triumvir. Mais ce sont des anecdotes de la propagande octavienne, elles ne sont pas à prendre au pied de la lettre. Il a véhiculé une image très dévalorisante de l’association d’Antoine et de Cléopâtre à des dieux, alors qu’il s’agit certainement en fait d’une politique religieuse efficace.

La vie inimitable est un élément de stratégie politique pour montrer que la royauté de Cléopâtre est l’héritière de celle d’Alexandre le Grand.

Chapitre 12. La cour d’Alexandrie : intrigues et culture

La cour d’Alexandrie est très composite et très hiérarchisée, avec la présence de nombreux Romains.

Cléopâtre était méfiante voire jalouse, mais Maurice Sartre pense que cette méfiance est aussi le fruit d’objectifs politiques, pas que de jalousie amoureuse.

Cléopâtre avait pour but de restaurer le luxe et la culture de sa cour.

 

Chapitre 13. Cléopâtre contre Rome

Octave utilise les fêtes d’Alexandrie de 34 et l’humiliation subie par Octavie pour monter les Romains contre Antoine.

Maurice Sartre étudie l’entrée en guerre de Cléopâtre auprès d’Antoine, en utilisant des sources telles que les Oracles sibyllins rédigés en Égypte vers 31.

Actium est compris par l’auteur des Oracles comme le signal d’une révolution cosmique : dans l’opposition entre Rome et Cléopâtre, c’est le sort de l’univers qui se joue.

Maurice Sartre nous montre ensuite le déroulement d’Actium.

Chapitre 14. Attendre la mort ensemble

Cléopâtre défaite, de retour à Alexandrie, craignait l’arrivée d’Octave et un mouvement de foule à Alexandrie, elle décide donc d’arriver en vainqueur…

Puis selon Plutarque et Dion Cassius, elle a préparé une fuite par Suez, mais les sources ne sont pas d’accord sur ses modalités. Cela semble contraire au caractère de Cléopâtre selon Maurice Sartre : il est plus crédible de croire à une fuite vers l’Espagne pour prendre Octave à revers.

Une mélancolie voire une dépression aurait pris Antoine défait. Cléopâtre organise de grandes fêtes comme l’anniversaire d’Antoine en 30, avec un faste inouï.

Mais se développent des soupçons entre les 2 amants, chacun négociant secrètement et séparément. Leurs intérêts divergeaient.

Selon les sources, Cléopâtre aurait fait transmettre à Antoine l’annonce de sa mort pour le faire revenir auprès d’elle, mais il se serait alors lui même suicidé de désespoir. MAURICE SARTRE analyse les textes antiques afin d’en tirer la vérité. Il montre les vraisemblances et les incohérences de Dion Cassius et de Plutarque.

Il est probable qu’Octave ait insidieusement poussé Cléopâtre au suicide car il n’avait pas intérêt à la faire figurer au triomphe, puisque la sœur de Cléopâtre avait été épargnée lors du triomphe de César. Mais Octave aurait fait croire à Cléopâtre qu’il l’humilierait en l’exhibant à son triomphe, la poussant ainsi au suicide.

Sur son suicide, les sources évoquent la piqûre d’un aspic ou l’utilisation d’un poison. La vérité officielle choisie par Octave est la morsure d’un aspic, il est difficile de trancher.

Nous n’avons pas trace des funérailles de la reine dans les sources.

Octave pu prendre beaucoup de trésors à Alexandrie, mais il n’effaça pas le souvenir de Cléopâtre. Lors de son triomphe célébré avec faste, il a exhibé une statue de Cléopâtre, étendue morte bras entouré d’un serpent.

Chapitre 15. Fortune du mythe, malheur d’une reine

Cléopâtre est la femme la plus connue de l’Antiquité. Cependant, le « mythe Cléopâtre » prend racine dans la propagande octavienne et dans le « machisme » des auteurs anciens. Maurice Sartre donne des exemples des textes, qui, dès l’Antiquité, montrent la violence des injures adressées à la reine. (Virgile, Dion Cassius, Horace, Properce …)

Le pouvoir d’une femme était en effet inacceptable. Une femme ne pouvait pas avoir les qualités nécessaires à un homme d’état…

Elle fait donc l’objet de nombreux préjugés, tels qu’une soif de pouvoir, une sensualité débridée, une grande cruauté,… Les ragots sont vite devenus partie intégrante de la biographie de Cléopâtre.

Ce n’est pas son échec final qui la condamne, au contraire c’est le moment le plus digne d’admiration pour les Antiques. C’est le fait qu’elle est trop femme pour tenir le rôle de chef qui la condamne …

Epilogue. La fin d’un monde

La mort de Cléopâtre marque bien plus que la fin d’un règne, c’est la fin d’une dynastie héritière de l’Empire d’Alexandre le Grand. Cléopâtre échoue, puisque son royaume devient une province romaine après sa mort.

 

 

C’est un livre passionnant et très agréable à lire, qui permet au lecteur de prendre part à la mise en œuvre d’une véritable enquête. L’historien Maurice Sartre s’attelle ici à débarrasser la célèbre Cléopâtre de nombreuses légendes et erreurs. Il nous dit d’abord dire tout ce qu’elle n’est pas puis ce qu’elle est, en avouant les parts d’ombres qui subsistent autour du personnage. Maurice Sartre soulève les difficultés inhérentes au métier de l’historien antique (distinguer les homonymes, vérifier le calendrier, …)

Les nombreuses erreurs concernant les mythes de Cléopâtre remontent à l’Antiquité : le grand tort de Cléopâtre est d’avoir perdu, l’histoire s’écrit par les vainqueurs.

Cette reine de légende apparaît vraie et réelle sous la plume de Maurice Sartre.