Le livre que publie Marc Forestier aux éditions Favre est le résultat d’une commande et s’inscrit dans un projet franco-suisse de « Transmission des savoir-faire du bâtiment », financé par l’Union Européenne (programme Interreg) et visant trois objectifs : « la formation des artisans et la transmission des savoir-faire traditionnels du bâtiment, la préservation et la protection du patrimoine bâti des territoires, le développement local et la reconnaissance professionnelle. »http://www.parc-haut-jura.fr/fr/culture-patrimoine/patrimoine-bati/transmission-savoir-faire-batiment.263-301-742__1415.php Ce sont l’Association romande des métiers du patrimoine bâti, le Parc naturel régional du Haut-Jura et le Musée des maisons comtoises qui en sont les principaux partenaires et maîtres d’œuvres. En répondant à un appel d’offre et en le remportant, Marc Forestier produit un ouvrage hors des cadres universitaires classiques, qui relève de la Public HistoryCf. DUMOULIN Olivier, Le rôle social de l’historien, de la chaire au prétoire, Paris, Albin Michel, 2003., ce qui, naturellement, n’enlève rien à son intérêt.

De l’histoire et de la géographie

Marc Forestier est d’abord un architecte, mais il est aussi un passionné d’histoire, grand connaisseur du massif du Jura qu’il sillonne et arpente depuis des décennies. Il a notamment participé à la création du Parc naturel régional du Haut-Jura, qu’il a dirigé, et publié il y a plus de trente ans un livre sur les greniers forts du massifFORESTIER Marc, Secrets du grenier fort, Lajoux, Chez l’auteur, 1984, 151 pages.. Le titre choisi, qui évoque spontanément un manuel technique plus qu’une œuvre historique ou géographique, ne doit pas tromper les amateurs de géographie et surtout d’histoire qui trouveront largement leur compte à la lecture de Construire avec les ressources naturelles du massif du Jura. Du reste, le prix Lucien Febvre 2015, financé par feu la région Franche-Comté et organisé par l’Association du livre et des auteurs comtoishttp://www.livrecomtois.asso.fr/, qui compte plusieurs historiens dans son jury, lui a été attribuéhttp://www.livrecomtois.asso.fr/lucien.
Marc Forestier suit un plan qui n’étonnera pas mais qui n’en est pas moins efficace. Dans un premier chapitre, il évoque « les ressources naturelles du Jura plissé », principalement la roche calcaire et les forêts de résineux (épicéas et sapins) et il décrit leurs plus anciennes formes d’exploitation connues. Dans les trois chapitres suivants, dans une perspective historienne, en s’appuyant sur la bibliographie existante, notamment la thèse d’Elisabeth Carry RenaudCARRY RENAUD Elisabeth, L’homme et la forêt dans la Haute-Vallée du Doubs à la fin du Moyen âge : modalités et paradoxes d’une anthropisation tardive, thèse, sous la direction de Pierre GRESSER, Université de Franche-Comté, 2010, 851 pages. Consultable et téléchargeable en ligne sur le site Archives ouvertes HAL : https://tel.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/839115/filename/these_A_CARRYRENAUD-Elisabeth_2011.pdf, il traite successivement de l’utilisation de la pierre sèche, de la production et de l’usage de la chaux et de la place du « bois fendu » dans les constructions jurassiennes. Enfin, dans un cinquième et dernier chapitre, il présente quinze « cas » de rénovations ou de réalisations architecturales récentes où sont mises en œuvre les techniques de construction traditionnelles du Haut-Jura, comme la maison du Parc naturel régional du Haut-Jura, à Lajoux, ou la ferme horlogère de la Chaux-de-Fonds.

De la pierre, de la chaux et surtout du bois

Le chapitre sur les murs en pierre sèche montre bien la double dynamique à l’origine du regain d’intérêt pour les méthodes et les matériaux de construction « traditionnels » : le souci de la conservation patrimoniale et la redécouverte de leurs avantages technologiques. Ainsi, une première association, les Amis du Mont-Racine, est fondée en Suisse en 1966. Elle organise des chantiers de restauration et fait des émules des deux côtés de la frontière. Dans les années 2000, les professionnels s’organisent, d’abord en Suisse avec la fondation de la Fédération suisse des maçons en pierre sèche en 2005, puis en France avec la création de la Fédération des professionnels en pierre sèche en 2012. Parallèlement, à partir de 1998, des recherches sont menées à L’Ecole nationale des travaux publics de l’Etat (ENTPE), à l’Ecole centrale de Lyon et à l’Ecole des ponts & chaussées sur les murs de soutènement en pierre sèche, qui ont en particulier un atout : celui d’être drainants.
Marc Forestier consacre par ailleurs des pages passionnantes à l’utilisation du bois fendu, notamment à la genèse du fameux « tavaillon » ou « tavillon » qui sert à couvrir les maisons et à protéger les murs les plus exposés à la pluie, comme le montre bien la photo ci-dessous d’un des murs de la Maison du Parc naturel régional du Haut-Jura.

Jusqu’au XIXe siècle, le bois fendu est d’abord utilisé pour la couverture des toitures avant qu’il ne soit progressivement remplacé par la tuile, pour limiter le risque d’incendie, à l’initiative des autorités politiques, qui multiplient les arrêtés d’interdiction, et sous la pression des compagnies d’assurance, non sans résistances. Ces couvertures en bois sont composées d’ancelles, c’est-à-dire de bardeaux d’environ 60 cm qui n’étaient pas fixés mais bloqués par des pierres, ce qui entraînait régulièrement des catastrophes en cas de tempête ou de vents violents. A la fin du Moyen Age apparaissent les premières mentions de fixation des ancelles, d’abord à l’aide de chevilles en bois puis de clous. « Les marchés de construction évoquent par la suite la réalisation de « toit à demy ancelle », aussi bien dans le Haut-Jura qu’en Gruyère, où cette dénomination figure dans les marchés de construction de chalets d’alpages aux XVIIe et XVIIIe siècles. On peut comprendre la demi-ancelle comme un élément de couverture dont la longueur serait la moitié de l’ancelle, ce qui correspond à la longueur d’un pied, courante pour le tavaillon aujourd’hui dans le Jura français (33 cm). L’usage du terme tavaillon est ancien, puisque les comptes de la réfection de la toiture du château de Bracon mentionnent en 1320 « l’aissone de tavaillon ». Mais sa diffusion dans la montagne jurassienne n’est pas antérieure au XVIIe siècle. » (p.126). En réalité, celle-ci est étroitement liée à la généralisation de l’usage du clou, elle-même corrélée à l’essor de la fabrication locale de ce dernier au XVIIIe siècle, en particulier dans le Haut-Jura morézien, comme le souligne Marc Forestier en s’appuyant sur la thèse de Jean-Marc OlivierOLIVIER Jean-Marc, Des clous, des horloges et des lunettes. Les campagnards moréziens en industrie (1780-1914), Paris, CTHS, 2004, 608 pages..

De riches illustrations

L’éditeur et l’auteur ont accompli un gros travail d’illustration. Chaque élément du texte est illustré par un schéma et, plus souvent, par une ou plusieurs photos, pour la plupart réalisés par l’auteur lui-même. Ces photos et schémas, dans un ouvrage portant sur la construction et le bâti, jouent un rôle essentiel dans la compréhension du texte et le plaisir de la lecture.

Au total, on ne saurait assez recommander la lecture du livre de Marc Forestier à tous les amoureux du Haut-Jura, à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire du bâti dans les campagnes sur la longue durée, au développement durable et à l’histoire environnementale, en plein essor en France et dans le monde.