C’est avec le plus grand intérêt, au moment où les programmes des lycées en première abordent dès les débuts de l’année les thématiques de la révolution française que j’ai retrouvé dans la masse d’ouvrages variés du service de presse, cette publication de l’un de nos adhérents fidèles, éditée à compte d’auteur mais qui n’en reste pas moins remarquable.
Bernard Charon est un de ces instituteurs,– qu’on ne lui parle pas de professeur des écoles ! – Qui a pu avec d’autres traverser les grandes heures des mouvements pédagogiques et du syndicalisme. Il est aussi un passionné d’histoire, un auteur prolifique, et un sacré dévoreur d’archives.
Il me fait l’amitié de m’envoyer ses publications, et il était temps que je manifeste auprès de nos lecteurs, tout l’intérêt de son travail. Ces 50 pages n’ont pas de grandes prétentions académiques, mais elles permettent de vivre une histoire locale, celle de la commune de Jumièges, située en Seine-Maritime et accrochée à la boucle d’un des méandres de la Seine.
La carrière de notre historien s’est d’ailleurs déroulée dans ce département, en compagnie de son épouse, institutrice également. C’est pourtant, à quelques années de la fin de sa carrière qu’il conduit ses élèves, mercredi après-midi, en dehors de son service, aux archives de Rouen, puis à la mairie où il découvre des cahiers de doléances, ceux de cette paroisse de Jumièges, qui est l’objet de cette publication.
On retrouve inévitablement l’instituteur, celui qui, au moment du cours d’histoire qu’il dispense à ses élèves, sait trouver les mots justes, la bonne formule, celle qui permet un écolier de comprendre. Il le fait avec un style extrêmement limpide, que l’on aimerait trouver également dans des publications considérées comme plus savantes. Sans vouloir cultiver une forme de passéisme en matière de méthodes d’apprentissage de la langue française il semblerait tout de même qu’en matière de qualité d’écriture beaucoup de choses se soient perdues au gré de la diffusion de méthodes pédagogiques sur lesquelles on pourrait s’interroger.
Parce que finalement, que fait Bernard dans ce petit ouvrage ? Il nous livre une leçon d’histoire, tout simplement ! Il s’adresse à ses lecteurs comme à ses écoliers, en étant plus long finalement, mais toujours très clair. Il contextualise les documents qu’il propose, avec une présentation du royaume de France à la veille de la révolution, des rapports de force politiques, de la situation sociale et fiscale du royaume, du contexte intellectuel de la période. C’est court, forcément, mais très efficace.
On rentre enfin dans ce village, connu pour son abbaye détruite pendant la révolution, et on se retrouve en train d’examiner la situation de cette paroisse qui s’attelle à la rédaction de ses cahiers de doléances, retranscrits dans la totalité par Bernard Charon.
Les difficultés de la population sont spécifiques, les trois années précédant 1789 sont marqués par la prolifération d’une espèce de ver blanc, larve des hannetons, qui semblent détruire les plantations en s’attaquant aux racines, ce qui occasionne une perte de récolte particulièrement importante.
Les habitants de la paroisse sont également victimes des variations du niveau de la Seine qui subit l’influence des marées.
Mais l’évocation de ces calamités naturelles permet d’expliquer que, malgré celles-ci, impôts et taxes continuent de frapper. Et à partir de cette présentation on retrouve des revendications, des doléances, que l’on peut retrouver dans toutes les provinces du royaume. On remarquera que la première réclamation concerne les droits de propriété, et le texte est rédigé dans des termes qui rappellent ce que l’on trouvera dans la déclaration des droits de l’homme, à propos de ce droit inviolable. Les revendications portent également sur la perception de l’impôt, considérée comme dispendieuse en elle-même, le coût des frais de procédure, l’abrogation de certaines taxes, notamment sur les cuirs.
Ces doléances exprimées par les habitants de cette paroisse ne contiennent pas de révélations impressionnantes. On aurait envie de dire, au risque d’anachronisme, que c’est la France d’en bas qui s’exprime, plutôt celle des laboureurs et des petits propriétaires, qui subissent dans ces dernières années de la décennie 1780, bien des difficultés qu’une pression fiscale mal répartie ne fait qu’aggraver.
Ce petit livre publié en 2016 ne doit pas être considéré comme prémonitoire, bien entendu, mais il montre tout de même, dans le contexte spécifique de cette année 2019, que par-delà les siècles, les mêmes causes peuvent produire, toutes proportions gardées, les mêmes effets.
Les professeurs d’histoire de Seine-Maritime pourront certainement trouver dans cet ouvrage matière à réflexion. Non seulement sur un texte qui présente un intérêt incontestable, mais aussi sur la façon de transmettre. Un récit clair, une argumentation solidement présentée, et peut-être que la magie de l’apprentissage bien reçu, celle qui a accompagné Monsieur Charon l’instituteur, pendant toute sa carrière, pourrait encore opérer.