L’étude commence en 1559 quand cesse l’occupation française. Partant de deux modèles explicatifs l’auteur cherche à comprendre, expliquer comment s’est mis en place le contrôle social, ce que les affaires jugées nous apprennent sur les normes sociales. Quel a été le rôle de la justice criminelle dans le Duché de Savoie.
Refondation d’un État indépendant
Après une longue occupation française (1536-1559) le Duc de Savoie va utiliser la justice comme moyen de contenir les populations des marges occidentales de ses territoires à cette date déjà largement tournés vers la péninsule italienne.
Il s’agit d’abord d’un tableau géopolitique au milieu du XVIème siècle, de l’organisation politique des États de Savoie, du contexte de l’opposition entre réforme et contre-Réforme. La Savoie est à cette époque soumise à un mouvement double : pression française et italianisation du Duché mais aussi aux menaces du temps : guerre, épidémies calamités naturelles. Ces difficultés confortent les communautés montagnardes, souvent isolées face à l’autorité centrale qui pourtant inscrit son action dans le territoire : route mais aussi cartographie et soutien à l’Église par le biais du mouvement baroque jusque dans les plus petits villages de montagne.
Cependant le déplacement de la capitale ducale vers Turin marque une forme de déclin de la Savoie.
L’auteur argumente en appuyant son raisonnement à la fois sur les archives et les travaux des historiens. Les exemples proposés sont nombreux et parlants.
Le second chapitre est consacré à une description du système pénal : les différentes juridictions du niveau local avec les châtelains dont les comptes, ils sont aussi agents fiscaux, offrent aux historiens une riche documentation démographique, économique et bien sûr judiciaire ; juges-mages, conseil genevois et au sommet le sénat de Savoie installé à Chambéry dont l’auteur détaille attributions, mode de fonctionnement. L’analyse des procédures judiciaires montre un caractère de plus en plus inquisitoire. Même si le pouvoir central incite les juges à rechercher pour les affaires bénignes la conciliation des parties il cherche à codifier les pratiques.
L’auteur a le souci de décrire précisément les réalités du monde judiciaire, les intentions du pouvoir central et de mesurer l’influence française malgré des stratégies différentes en ces pays de montagne d’affirmation du pouvoir central.
Petit à petit le Sénat devient un outil majeur dans le contrôle des populations : criminalisation des questions religieuses, de la marginalité, mais aussi de la noblesse qui prêtent serment de ne par recourir au duel. L’évolution la plus marquante est sans doute le poids grandissant du droit écrit (ordonnance de 1670, royales constitutions de 1723) face à la coutume locale.
Pesée de la répression
Qui poursuit-on ? Pour quels crimes ? Avec quelles sanctions ?
La criminalité poursuivie est analysée à partir de 12 000 procédures d’où une étude quantitative mais aussi qualitative. Aux moments d’affirmation de la justice ducale au détriment des instances inférieures correspondent des procédures plus nombreuses. L’auteur analyse finement la nature des crimes , avec une montée des atteintes contre l’Etat. Cette étude informe plus sur la politique criminelle que sur la criminalité.
Le constat est le même quand dans le chapitre suivant il est question de la répression. De plus en plus sévère elle atteste de la volonté d’un contrôle accru sur la société. La présentation de deux crimes horribles et des sentences prononcées permet une confrontation avec les thèses de Michel Foucault et Paul Veyne . A défaut d’éliminer la violence extrême le pouvoir affirme son autorité , cherche à contenir la violence ordinaire et produire de l’obéissance.
Les Justiciables et la loi à partir de la seconde moitié du XVIIème siècle.
Vu du côté des populations comment se construit le pacte social ?
Quels thèmes permettre de montrer la mise en place d’un ordre moral. La sacralisation du prêtre et du père vue à la lumière de quelques exemples emblématiques et la multiplication des affaires de religion, la justice face aux femmes (préservation de la virginité des filles, femmes de mauvaise vie et infanticides) montrent clairement cet encadrement voulu des mœurs. Le paragraphe consacré à la sorcellerie est très intéressant pour comprendre le monde des vallées peu accessibles, la prégnance d’une culture magique populaire. L’auteur rappelle ici les travaux des historiens et folkloristes sur la Savoie « terre de sorciers ». Même si les femmes sont ici encore les principales victimes de la répression la justice semble prudente sur ces questions.
L’auteur s’interroge enfin sur la puissance des autorités locales. Le châtelain, le notaire, le seigneur détiennent dans les montagnes une autorité dont ils abusent parfois comme en témoignent les procédures intentées devant le Sénat de Chambéry. Ces affaires montrent le poids grandissant de l’écrit dans les relations sociales.
Autre force : l’Eglise qui n’hésite guère à se confronter au sénat. Le portrait de Perre Dusaugey de Samoëns est le prototype du potentat ecclésiastique dont le procès permet de percevoir les jeux de pouvoir et de richesse d’une communauté montagnarde.
Face aux justiciables la justice ducale s’affirme lentement comme outil de contrôle de la société malgré la persistance de la tradition coutumière. Entre conflits au village, régulateur des tensions sociales, coupables introuvables et fuites derrière les frontières on perçoit les difficultés d’exercer la justice ducale.
L’auteur conclut sur l’idée forte de la période : la volonté de discipliner la société, pacification et affirmation du pouvoir de l’état, la comparaison avec le reste de l’Europe vient enrichir son propos.
Un sujet austère mais une écriture de qualité font de la lecture de cette thèse un moment instructif et agréable.