Cet ouvrage est une synthèse des grandes thématiques abordées par les historiens modernistes, une suite aux colloques organisés en Sorbonne en 2015 et 2016 sous la présidence de Lucien Bély. La variété, la richesse foisonnante des recherches évoquées en font un outil pour les étudiants en histoire (notamment en histoire moderne) et devrait être inspirant pour des lycées désireux de se lancer dans une carrière d’historien.

Dans son introduction Nicolas Le Roux présenté les grandes lignes de l’ouvrage sans occulter, ni toutefois la développer, la question des bornes chronologiques de l’histoire moderne.

Chaque article propose une approche historiographique, plus ou moins longue, un état de la recherche et une bibliographie récente et variée.

Histoire de la famille

La démographie et l’histoire de la famille ont été des thèmes importants de l’histoire moderne dans les années 1960 ? Si les approches quantitatives (fécondité, mortalité, migrations) demeurent, de nouveaux angles d’analyse, de nouvelles questions ont émergés : autour des identités sociales, de la place de l’intime, l’intérêt pour le corps (médecine, alimentation) mais aussi des questions de reproduction sociale.

Jérôme Luther Viret organise sa contribution en trois parties

Il développe les travaux concernant la famille dans l’espace social, les solidarités familiales, les réseaux entre stratégies collectives et personnelles, les identités professionnelles (étude sur la vénalité des offices par exemple). L’étude des « égo-documents » (livres de raisons…) a permis d’aborder le domaine de l’intime.

Les contraintes naturelles, cycle de vie et reproduction familiale, sont perçues à la lecture assidue des registres de catholicité, suivant ainsi la voie tracée par Pierre Goubert. Les études, à l’échelle locale ou régionale, portent sur le contrôle de la fécondité, la régulation des populations, la nature des migrations, les bassins matrimoniaux.

D’autres études interrogent les rapports entre stratégies familiales et exploitation agricole, parcours de vie et parcours patrimoniaux.

Le gouvernement des familles est une entrée dans leur intimité : affection et surtout violences. Les écrits judiciaires renseignent sur les conceptions de l’autorité du père, du mari. Les relations familiales varient selon les coutumes régionales, la femme est plus ou moins soumise. L’opposition Nord-Midi souvent évoquée demeure réelle. La reproduction sociale au sein de la noblesse a aussi donné plusieurs études (topolignée comme exercice du pouvoir sur une espace donné, rôle des héritiers, des cadets).

Histoire du genre

Le domaine le plus actuel, Sylvie Steinberg interroge le concept de genre et limite son propos à la France. Elle présente les débats et les recherches menées depuis les années 2000. Elle souligne l’influence américaine, le linguistic turn, l’interdisciplinarité des études et rappelle les ouvrages les plus importants comme L’Histoire des femmes en Occident dirigée par Natalie Zemon Davis et Arlette Farge ou Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple à Pris pendant la Révolution française de Dominique Godineau.

Le genre est défini comme une construction de l’identité sexuée transmise notamment par les mères1. Cette identité est construite sur la base du sexe biologique (histoire de la médecine). C’est aussi un système symbolique de représentation (histoire culturelle) comme l’a défini l’anthropologue Françoise Héritier. Cela a permis nombre de travaux sur la place des femmes dans les représentations artistiques, sur la représentation aussi du masculin (Histoire de la virilité) et sur l’influence des représentations sur les pratiques sociales.

Le genre c’est aussi un rapport de domination étudié dans l’histoire des violences sexuelles, l’histoire matérielle2. L’auteure montre l’imbrication des dominations de genre et de hiérarchie sociale.

Histoire de la noblesse

Elie Haddad présente les perspectives récentes sur un thème classique. Il s’agit de définir un groupe multiple par sa diversité régionale, sociale, fonctionnelle mais en cours d’homogénéisation par la cour. L’auteur présente notamment des travaux autour de la notion d’« honneur », l’importance du lien noble/seigneur avec un retour sur les questions de féodalité, les rapports au pouvoir politique et à la guerre ce qui amène à une réflexion sur l’interprétation de l’absolutisme.

Apprivoiser la violence

Si ce thème set abordé dès les années 1970 de nombreux travaux ont été entrepris depuis les années 1990 notamment pour analyser le terme même de violence3. Pour étudier la violence objet d’histoire, deux axes ; celui des études judiciaires4 et la violence comme phénomène social ? Ces études s’inscrivent dans le temps long.

Diane Roussel développe l’histoire des homicides : plutôt un recul de la violence à l’époque moderne, lié à un encadrement progressif de la jeunesse et à la criminalisation des crimes d’honneur (question du duel). Elle note aussi un renouvellement de la question par l’étude des sources des juridictions inférieurs donnant accès aux violences banales et villageoises et aux modes de régulation des conflits. De nouveaux objets d’étude portent sur les violences faites aux femmes, aux violences collectives, les violences extrêmes des crimes de masse (St Barthélémy, guerre de sept ans).

Histoire du livre et des bibliothèques

S’éloignant de l’idée de Robert Darnton d’une histoire du livre comme circuit de communication les chercheurs inscrivent leurs travaux dans une histoire plus matérielle : histoire du papier, des petits imprimés… mais aussi de l’identité sociale que confère la capacité de lire, d’écrire, de publier. Cet article d’Emmanuelle Chapron peut intéresser les candidats aux concours confrontés à la question : Le monde de l’imprimé en Europe occidentale 1470-1680. L’auteure rappelle le rôle novateur en son temps d’Henri-Jean Martin puis celui de Roger Chartier comme initiateur des études de la textualité et des pratiques de lecture, ils furent l’un et l’autre des conseillers de grande valeur pour ma maîtrise.

L’histoire du livre est à la croisée de l’histoire sociale, culturelle, économique aussi : une histoire des auteurs et de leur rapport à l’objet livre, une histoire de l’édition, des imprimeurs et libraires sans oublier les « non-livres » (feuilles volantes, images populaires, formulaires et registres imprimés)5.

L’histoire des bibliothèques porte à la fois sur leur fonction symbolique identitaire, le lieu du savoir et politique (dépôts littéraires des réquisitions révolutionnaires).

Fêtes et spectacles

Fêtes royales ou villageoises, Florence Alazard dresse un tableau de l’histoire des spectacles. Elle en rappelle les paradigmes : interprétation et sémiologie, la fête comme instrument politique (entrées royales) mais aussi la fête comme lieu de dialogue entre le pouvoir et ses sujets.

Les perspectives actuelles de recherche sont une étude des processus d’élaboration du spectacle. Une histoire sociale du spectacle mais aussi le spectacle comme élément incontournable des cultures urbaines et rurales.

Culture écrite et histoire sociale du pouvoir

Nicolas Schapira s’intéresse à la production et à la circulation de l’écrit comme élément d’une histoire sociale du pouvoir. Les travaux récents mettent en lumière le travail administratif6 qui renouvelle l’intérêt pour les correspondances (Saint Simon, Richelieu). Les études portent aussi sur les politiques d’archivage par le pouvoir et la mobilisation du droit par l’écrit même par le peuple.

Une autre perspective d’étude : le contrôle de l’écrit public par le pouvoir politique (contrôle à Lyon des enseignes) ou économique (obligation de la tenue des livres de bord des navires).

L’image du roi

Yann Lignereux revient sur la notion de « théatrocratie » mettant en scène le pouvoir royal, dans sa fabrication comme dans la réception de l’image du roi. Un domaine où l’histoire de l’art et l’histoire sont associés. L’auteur rappelle que l’histoire de l’art fait maintenant partie des programmes. Il rappelle les relations entre image et histoire : de l’image illustration à l’image objet d’étude. S’il aborde l’image du roi Louis XIV, le tableau de Vélasquez Les Ménines est largement étudié.

Les sociétés de cour en Europe

Eric Hassler, Pauline Lemaigre-Gaffier décrivent un domaine pluridisciplinaire n pleine évolution : de nouvelles sources (comptabilité, imprimés polémiques, cartes et plans…) pour des études transversales et une interrogation toujours renouvelée : Qu’est-ce que la cour ?

La cour est un espace de la mise en scène du corps du roi et de la reine, de codification des gestes, du paraître qui s’exprime notamment dans l’éducation des princes7. De nombreux travaux traitent su cérémonial et de la matérialité de la cour au sein du palais, une démarche à l’échelle européenne. De nouvelles pistes d’étude s’ouvrent sur les « paysages sonores » (musique de cour), les aménagements des lieux en fonction du cérémonial mais aussi sur l’itinérance des cours (France, Espagne, Prusse). Enfin la cour est étudiée comme expression de l’État, espace politique, rayonnement et attractivité.

Histoire(s) de l’État royal

L’article de Vincent Meyzie débute en 2000, il dresse un tableau historiographique à partir de la publication de La Monarchie entre Renaissance et Révolution, 1515-1792, paru au Seuil sous la direction de Joël Cornette. Les orientations de la recherche portent sur l’État et l’absolutisme. L’étude des institutions de l’État royal abordent diverses questions : le fonctionnement du gouvernement central, les finances, les États provinciaux, la diversité du personnel, la justice et la police. D’autres entrées se développent : les capacités de production, de contrôle et de diffusion l’information. Les rapports entre pouvoir central et provinces sont analysés notamment en ce qui concerne la fiscalité et les privilèges. D’importants travaux, déjà évoqués dans le premier article, traitent du monde des officiers royaux.

Histoire des relations internationales

Eric Schnakenbourg n’hésite pas à parler d’un renouveau de l’histoire des relations internationales et de la diplomatie en Europe. Une histoire des sociétés en guerre et en paix8. Les études portent sur les interrogations de l’opinion publique (guerre de Trente Ans), les discours de l’État sur son action diplomatique (justification de la guerre), la menace comme élément des rapports internationaux (guerres anglo-hollandaises au XVIIe siècle).

L’histoire culturelle a apporté un nouvel angle d’analyse des rapports internationaux entre deux cultures (analyse des comportements et manières de penser des ambassadeurs), question du cérémonial. L’étude des traités a permis d’aborder le droit international. Les dernières approches portent sur le travail et la vie des diplomates à hauteur d’homme. L’étude des frontières, de la guerre, à l’échelle transnationale, la promotion au XVIIIe siècle d’un idéal de paix ?

L’auteur n’oublie pas la dimension extra-européenne, de l’histoire coloniale aux Post-colonial studies : l’étude de la relation entre des mondes différents9

L’histoire religieuse

Jean-Marie Legall dresse un bilan historiographique très complet depuis 1990. Il commence par une question : « La notion d’histoire religieuse de la France est-elle toujours pertinente ? »(p. 293). L’auteur fait une présentation des spécialistes français comme étrangers des historiens des religions et des différentes approches : quantitative (à la suite des travaux de Gabriel Le bras), de longue durée (Jean Delumeau). Il cite les grands historiens qui ont contribué avant 1990 à cette histoire de Lucien Febvre à Michel Vovelle, de Pierre Chaunu à Maurice Aghulon, de Michel de Certeau à Alphonse Dupront, ainsi que les éditeurs qui ont soutenu la transmission des sources.

L’auteur note la permanence de l’histoire ecclésiastique, biographies de grandes figures mais aussi études du personnel subalterne qui évoluent vers une histoire socio-professionnelle. Permanence aussi de l’histoire quantitative et régionale.

Les nouveaux horizons amènent de nouvelles interprétations ou de nouveaux objets : étude des lieux sacrés, Refuge protestant, montagnes sacrées d’Europe, l’église comme espace social, architecture protestante, liturgie et histoire de la musique. Les thématiques sont nombreuses. L’étude des identités confessionnelles, de la sensibilité religieuse ouvrent sur les rapports au temps. L’auteur clôt son article sur le retour du théologico-politique : Les trois Richelieu : servir Dieu, le roi et la raison10.

Histoire de la révolution française

Paul Chopelin revient sur la césure chronologique de 1789 et ce qu’il nomme le « no man’s land » de la Révolution et de l’Empire. Son bilan historiographique porte sur la décennie 2010 et ne vise pas à l’exhaustivité. Il note un regain d’intérêt pour les études régionales de la Révolution et renvoie à la synthèse de Jean-Clément Martin11. Il constate un élargissement géographique avec les conséquences sur les colonies, par exemple l’ouvrage de Bernard Gainot, La révolution des esclaves Haïti, 1763-180312, une histoire « connectée » de la Révolution atlantique et un décentrement social avec les études sur les femmes et la Révolution. C’est aussi une histoire du temps long : réévaluation du Directoire, continuité des formes de la diplomatie, relations entre pouvoir central et pouvoirs locaux qui nuancent le jacobinisme.

Les biographies se présentent aujourd’hui comme une remise en cause les légendes noires ou dorées (Robespierre…), elles s’appuient sur une histoire sociale du politique. Enfin de nombreux travaux concernent les violences révolutionnaires ? La pensée politique royaliste est revisitée comme clé de compréhension du XIXe siècle.

La période suscite encore controverses, batailles politiques et médiatiques.

Un ouvrage qui démontre la variété et le dynamisme des recherches en histoire moderne.

__________________________________

1   Yvonne Knibiehler, Catherine Fouquet, Histoire des mères, Éd. Montalba, 1980 ou plus récemment Isabelle Brouard-Arends et Marie-Emmanuelle Pagnol-Diéval, Femmes éducatrices au siècle des Lumières, PUR 2007

2  Nicole Pellegrin et ses travaux sur la féminisation des travaux d’aiguilles

3  Robert Muchembled, une histoire de la violence de la fin du Moyen Age à nos jours, Seuil, 2008

4  Colloque d’Angers La violence et le judiciaire du Moyen Âge à nos jours, Discours, perceptions, pratiques (2006)

5  La « print culture » des historiens anglo-saxons ou les travaux d’Anne Béroujon, Les écrits à Lyon au XVIIe siècle. Espaces, échanges, identités, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2009

6  Thierry Sarmant, Mathieu Stoll, Régner, gouverner – Louis XIV et ses Ministres, Perrin, 2019

7  Pascale Mormiche, Devenir prince. L’école du pouvoir en France, CNRS, 2015 et Le petit Louis XV, Champ Vallon, 2018

8  Lucien Bély, L’art de la paix en Europe, Naissance de la diplomatie moderne, XVIe-XVIIIe siècle, PUF, 2007

10  Ouvrage de Jörg Wollemberg , publié aux édition François-Xavier de Guibert en 1995

11  Nouvelle histoire de la Révolution française, Perrin, 2012

12  Publié chez Vendémiaire, en 2016