L’histoire de l’Alligator, navire négrier offre, à la fois, une histoire des navires, des voyages triangulaires, une histoire sociale des armateurs comme des marins.

Dans sa préface Eric Saunier situe le travail de Tom-Hugo CouvetAncien étudiant du Master Tourisme – Histoire, Territoire, Patrimoines de l’université Le Havre Normandie, Tom-Hugo Couvet a reçu le prix Amiral Daveluy 2020, récompensant le meilleur mémoire de master par la Marine nationale dans l’historiographie de la traite, dans la continuité des recherches de Marcus Rediker.

Il est intéressant de noter que sort presque en même temps les Mémoires d’un négrierJoseph Mosneron Dupin, Olivier Grenouilleau, Editions du cerf. On pourra ainsi constater les permanences et les ruptures de cette seconde partie du XVIIIe siècle.

Tom-Hugo Couvet rappelle à grand trait, en introduction, l’histoire portuaire du Havre, port négrier d’importance surtout à la fin du XVIIIe siècle. Il explicite le choix de l’étude d’un navire : l’Alligator et des trois campagnes qui le conduisent vers Saint-Domingue au moment me où éclate la Révolution en France et la révolte des esclaves à Saint-Domingue. Il dit l’intérêt d’un fond d’archives privées, de dépôt récent (2010), les archives de la famille Boivin-Colombel. Les Boivin sont propriétaires aux Antilles et les Colombel armateurs havrais.

Les Colombel : la naissance et l’affirmation d’une société d’armateurs négriers au Havre

C’est l’histoire d’une famille du pays de Caux : des laboureurs qui s’installent au Havre comme marchands de bois au début des années 1760. En 1766 un premier membre de la famille, Jacques Robert Colombel s’engage comme novice sur un navire pratiquant la navigation en droitureC’est aller à sa destination sans escale, la navigation directe de l’Europe vers les Antilles par opposition au commerce triangulaire. Il est capitaine en 1773Un parcours assez semblable à celui de Joseph Mosneron Dupin décrit dans Mémoires d’un négrier avant de s’installer à Saint-Marc sur la côté occidentale de Saint-Domingue où il négocie pour la famille Homberg (1775-1784).

La famille se construit un réseau de relations commerciales, notamment par les mariages. Une société « Colombel-frères » est fondée en 1784 pour un commerce en droiture : pacotilles normandes, tonnellerie contre produits coloniaux. L’auteur décrit ce maillage commercial. C’est l’époque où au Havre des familles intermédiaires, comme les Colombel, accèdent au commerce triangulaire à côté des grandes familles d’armateurs. A partir de 1788 les Colombel pratiquent à la fois la traite et la navigation en droiture grâce à sept navires.
C’est pour la traite que la compagnie « Colombel aîné,Besongnet et Barabé » acquiert l’Alligator » pour un premier voyage (juillet 1789-septembre 1790) puis un second (mars 1791-mai 1792) et un voyage en droiture (octobre 1792-juin 1794). L’auteur évoque la difficulté des affaires dans de contexte de la révolte haïtienne et notamment la situation à Saint-Marc où les Colombel ont un homme de confiance, ces événements marquent la fin de la société des Colombel. Un chapitre précise le devenir au XIXe siècle du réseau et des affaires de la descendance de Jacques Robert entre commerce, journalisme, politique et investissements dans l’immobilier.

L’Alligator ou la traite vue du pont

On peut suivre le navire de sa construction à Saint-Malo, évoquée rapidement, à son affrètement. L’auteur précise les documents utilisé pour décrire les voyages, en l’absence des journaux de bord.

L’Alligator quitte Le Havre le 27 juillet 1789 pour Malimbe où il doit charger 450 esclaves, malgré les troubles parisiens. Il a 37 hommes à bord. Le navire parvient à la côte d’AngoleCarte annexe VIII, le 26 septembre, un voyage rapide. Il en repart le 20 mars 1790 pour atteindre Saint-Domingue en 49 jours, là encore une traversée rapide pour l’époque.

L’auteur décrit une situation dégradée dans l’île après les premières émeutes noires et donc une activité commerciale en panne. Le 11 mai le navire est à Port-au-Prince où la vente des esclaves a lieu dès le lendemain jusqu’au 21 juillet. Au retour le fret est composé de sucre, caté, coton, sirops et confitures. Il quitte le port le 2 août et arrive au Havre le 10 septembre.

Réarmé le navire repart le 24 mars 1791. L’auteur décrit ce second voyage avec la même précision. Au retour, depuis Saint-Marc, le 10 août 1792 il a à son bord de nombreux passagers qui fuient, souvent accompagnés de leurs esclaves domestiques.

Le troisième voyage se fait en droiture. Les documents qui le concernent offre des informations sur la rémunération de l’équipage. Parti le 27 octobre 1792 à destination de saint-Marc avec 24 membres d’équipage, il arrive dans un contexte de difficileArrivée de l’expédition de Rochambeau au Cap le 17 septembre de reprise en main de l’île après la promulgation de l’égalité civile entre Blancs et libres de couleurs. L’arrivée à Saint-Domingue se fait dans un climat insurrectionnel. Le navire parti dans un convoi, arrive à Brest via les Etats-Unis le 2 juin 1794. Il est vendu, peut-être comme navire sucrier.

Un chapitre est consacré à l’organisation de la traite : description précise des équipages et officiers de bord, des hommes jeunes pour des navigations risquée : 8 % de décès lors du premier voyage (faim, blessures, épidémies – malaria, fièvre jeune) en mer comme du fait des événements (corsaires dans la mer des Antilles favorisés par les troubles à terre).

Le chapitre 6 décrit les conditions de vie des esclaves à bord, depuis l’aménagement du bateau au commerce de traite proprement dit sur la côte : Louango, Cabinda, Malimbe. Pour cette descrition l’auteur s’appuie sur les travaux de Jean Boudriot – Traite et navire négrier : l’Aurore, navire de 280 tx, Paris, Ancre, 1984. Il décrit les conditions de la traversée et des conditions de la vente à Saint-Marc.

Les « forçats » de l’Alligator

Tom-Hugo Couvet étudie précisément les 65 hommes qui ont vécu sur le pont de l’Alligator : origine sociale d’après les rôles d’équipage croisés avec l’état civil. Es Normands, jeunes, souvent issus du monde des journaliers et domestiques. Si les capitaines ont des parents qui ont déjà pratiqué le commerce négrier on trouve aussi des fratries de marins.L’auteur tente une reconstitution de leur carrière marquée par la mobilité. La traite n’est « qu’un court moment de sa vie » (p. 155) même si une certaine fidélisation existe entre officiers et marins. La traite ne profite économiquement qu’aux officiers.

Enfin l’auteur cherche à décrire les fins de carrière : désertion, installation au soleil des Caraïbes mais aussi problèmes de santé. Pour le quart des marins le travail entraîne la mort en mer ou à terre.

Dans son épilogue Tom-Hugo Couvet énonce des pistes de recherche, une future thèse ?Qui ferait suite à ce mémoire de Master de 2019

En annexe : des planches en couleurs, reproductions de plans, peintures et des documents comptables de succession des sociétés Colombel, sous l’Empire.