Un nouveau Lucky Luke est toujours attendu. Après le convaincant Les Indomptés (Blutch, 2023), Appollo et Brüno (Commando colonial, 3 tomes, 2008-2010) se sont emparés du personnage légendaire (?) au stetson blanc pour le propulser dans sept trop courtes histoires très touchantes magnifiquement mises en images.

Dans cette bd, c’est un Lucky Luke sans cigarette au bec et sans mort sur la conscience que nous découvrons, cahier des charges éditorial oblige. Un cow-boy qui traverse les Etats-Unis en qualité de shotgun (garde) perché sur une diligence. Dans un long voyage qui s’étire du Dakota vers l’ouest californien, le six coups bien arrimé à la taille.

D’autres repères

En authentique hommage personnel, comme le stipule le bandeau supérieur de la couverture, le contrepied narratif saute aux yeux. Foin du merveilleux comique « morriso-goscinnyen », exit Jolly jumper ou Rantanplan et les méchants indiens. Au fil des sept histoires (« épisodes ») et de l’épilogue, nous naviguons entre mélancolie – des ambiances pourraient connecter le lecteur à Deadman (J. Jarmusch, 1995) – et destinées incertaines, surtout féminines. Ce sont par exemple la trajectoire de la Grandma sortie des affres de l’esclavage et de la Nouvelle-Orléans de 40 acres et une mule, celle de Louis Riel, l’instit’ métis indien dans Le maître d’école ou celle d’Annie Oakley, l’apprentie gâchette de Plus vite que son ombre, celle de Lucy enfin, gamine de vingt ans sauvée in extremis par Lucky Luke des mains d’un salaud de patron de claque du Wyoming.

Le livre se referme sur une double page dévolue à l’historicité supposée de Lucky Luke, en tout cas aux sources dans lesquelles Morris a puisées dans les années quarante.

Luke, Hank et Baldwin

On apprécie aussi les clins d’oeil à une modernité créative, avec Querelle (entre deux poètes) et L’avenir (saisi par un photographe). Au bout du compte émerge un trio avec en plus de Luke ce bon vieux Hank Bully, le placide cocher de la diligence flanqué du jeune Baldwin, jeune afro-américain.

Enfin, venons-en au meilleur, à la substantifique moelle de cet album, soit le coup d’oeil – les oeuvres de Brüno ne sont-elles pas des films dessinés ? – ou de crayon de Brüno. Inclassable. Unique. Du grand art, entre synthèse graphique et perfection suggestive : Bravo ! Les couleurs signées Laurence Croix valorisent l’ensemble , notamment dans Averse et son tenace gris délavé, puis dans l’infernal Brasier. Finalement, on est amené à se demander si cette bd ne ferait pas un superbe film, à la manière de La ballade de Buster Scruggs (J. & E. Cohen, 2028). Quand la légende dépasse la réalité, il faut la filmer !

Présentation de la bd par l’éditeur : ICI