Lionel Vairon remet clairement à leur place des clichés à la mode, largement inspirés par la vision étasunienne des relations internationales. Sa thèse part de l’idée que les dirigeants actuels de la Chine, à la tête d’un pays qui connaît une croissance économique à deux chiffres n’ont qu’une seule ambition, le maintien de la stabilité politique et la poursuite du développement économique. L’évolution de la Chine ne serait pas pour autant sans danger. Ce pays dispose d’un tel potentiel que toute tentative de limiter son expansion serait dangereuse pour les équilibres géopolitiques actuels. On comprend alors les causes du développement de la puissance navale de la Chine. Les Etats-Unis auraient tendance à y voir une préparation d’une éventuelle invasion de Taiwan et il est vrai que des bruits de bottes ou plutôt des tirs de missiles à l’occasion de manœuvres se sont fait entendre dans cette région lors d’élections dans la « province rebelle ». La question qui se pose est de savoir s’il y a une vraie volonté annexionniste ou le désir de manifester sa puissance pour ne pas avoir à s’en servir ? Cette province rebelle n’est-elle pas l’un des premiers investisseurs en Chine continentale ?
Bruit de bottes ou bruissement des dollars ?
En fait, et au-delà des clichés, l’action de la Chine est beaucoup plus active sur le terrain économique. En s’appuyant sur sa forte croissance et sur l’augmentation de ses échanges avec ses voisins notamment l’ASEAN. Le premier somme de l’Asie Orientale, organisé en 2005 à Kuala Lumpur a réuni les pays de l’ASEAN, l’Inde, l’Australie, La Nouvelle Zélande, le Japon et la Corée du Sud… Les Etats-Unis qui souhaitaient y participer ont été éconduits. La politique chinoise de rapprochement avec la Russie s’inscrit clairement dans une démarche de contestation de l’hyperpuissance étasunienne. Associer la Chine et la Russie dans un partage des espaces pétroliers d’Asie centrale ou ceux off shore de la mer de Chine, remet clairement en cause les tentations hégémoniques des Etats-Unis. De ce fait, les relations avec le Japon se sont tendues dernièrement. Entre les litiges frontaliers des Sendukai, ces îles contestées sans doute situées sur un grand gisement de gaz naturel ou la querelle à propos des manuels d’histoire, les chinois ne ratent pas une occasion d’isoler le Japon dans son environnement traditionnel asiatique, ce qui conduit les politiques nippons, tentés par un certain nationalisme, à se rapprocher fortement des Etats-Unis.
Parmi les sujets de conflits potentiels avec les Etats-Unis, celui de l’énergie et de l’accès aux ressources pétrolières est sans doute le plus important. Les chinois dans le cadre de leur politique de développement ne veulent courir aucun risque de laisser la domination sur les hydrocarbures aux mains des États-Unis. À cet égard, ils n’ont pas hésité à attaquer Washington, ou plutôt les texans qui y gouvernent dans leur pré-carré. Après avoir signé de très nombreux contrats avec les gouvernements africains les moins fréquentables, comme les plus liés au monde occidental, tel le Gabon, Pékin est allé en Amérique latine, chasse gardée des Etats-Unis. Lors de l’été 2005, les chinois sont allées même jusqu’à proposer une offre de rachat d’une des plus grandes compagnies pétrolière américaine. Le contrat a finalement été accordé à Chevron mais l’offre chinoise était quand même supérieure. Cet épisode démontre à l’évidence que les règles du libre échange sont quand même susceptibles de subir quelques entorses.
La guerre du pétrole
Parmi les questions qui fâchent également dans les relations sino-américaines, il reste bien entendu l’hypothèque de Taiwan, la province rebelle contre laquelle le parlement chinois a voté une résolution bien menaçante en 2005. D’après Lionel Vairon, le réalisme l’emporte actuellement et la question de Taiwan serait à tous égards moins « crisogène » que celle des relations avec le Japon.
Dans l’ouvrage, après avoir évoqué largement les grandes questions qui touchent à la perception de la Chine et aux grands sujets de crises potentielles, sans oublier la stratégie économique chinoise qui vise à développer le pays pour pérenniser le pouvoir actuel, Lionel Vairon revient sur les différents défis que la Chine doit relever.
Le défi de la sécurité énergétique est actuellement le plus sérieux, du fait de la forte augmentation de la dépendance de la Chine. Sa politique en direction des pays pétroliers, largement développée, les recherches de solutions, y compris dans le domaine des énergies renouvelables, permettent d’espérer que le pays saura trouver dans son immense territoire des potentialités à exploiter. En l’état actuel il n’a pas d’autre choix que la course en avant vers des ressources de plus en plus coûteuses et rares.
Les défis économiques et sociaux sont également évoqués, avec le maintien de la croissance démographique, la hausse du niveau de vie mais le creusement des inégalité, le déséquilibre spatial et l’inexorable montée du chômage. En l’état actuel, ces redoutables contradictions peuvent être limitées dans leurs effets par la hausse du niveau de la population mais d’autres questions tout aussi délicates émergent de plus en plus.
Le temps des défis
Libertés politiques, corruption et exigence d’un état de droit, libertés religieuses, jusqu’à présent, toujours en s’appuyant sur cette efficacité globale qui permet de progresser et d’améliorer les conditions d’existence très au delà de ce bol de riz de fer de la période maoïste, les autorités ont su résoudre les difficultés et préserver l’unité du pays. C’est sans doute sur ce point que l’ouvrage de Lionel Vairon reste un peu incomplet. Le défi de l’unité est sans doute un élément à part entière de la géopolitique de la Chine. Pas simplement à cause des minorités et des questions lancinantes du Tibet et du Xinjiang, les musulmans de l’Ouest, mais surtout par le décalage qui peut se creuser entre Chine méridionale et Chine du Nord. De ce point de vue les projets comme le barrage des trois gorges, terminé cette année, tout comme la liaison ferroviaire entre Shangaï et Pékin , s’inscrivent dans ce souci d’unité. A ce défi national et identitaire, on pourrait rajouter les explications de Lionel Vairon sur le défi militaire Chinois qu’il semble mettre en doute. Il est clair que ceux qui l’évoquent défendent la vision américaine et développent une méfiance à l’égard de la Chine, comme éventuel Empire du mal de substitution mais celle-ci est-elle si fausse que cela ?
Au-delà de son approche de la sécurité régionale et sur ses marges, la Chine entend se doter des instruments de projection de la puissance qui lui permettent d’envisager le cas où une crise avec les Etats-Unis serait poussée à son paroxysme. Pour autant, les Etats-Unis qui dénoncent le caractère destabilisant de cette politique militaire chinoise développent et depuis bien plus longtemps, et avec des moyens bien supérieurs, la même logique. Et c’est peut-être là sans doute que réside le nœud du problème. Les Etats-Unis peuvent-ils admettre une remise en cause de leur hyperpuissance ? De là découle sans doute la question centrale : la Chine a-t-elle vocation à constituer, face aux Etats-Unis le second pôle de puissance, qui ne s’appuierait pas seulement sur l’équilibre de la terreur et l’idéologie mais qui serait fondé sur son affirmation en tant que puissance complète, disposant dans un horizon qui se situerait aux alentours de trois ou quatre décennies, de tous les attributs de la puissance. Après tout, pour ceux qui connaissent l’histoire de cet Empire du milieu, dépecé et humilié, soumis aux concessions et aux traités inégaux, n’est-ce pas là, sur le terrain des maîtres d’hier, l’ivresse de la revanche. Reste à savoir si cette ivresse restera dans le cadre de la confrontation pacifique où si son caractère de facto conflictuel ne conduirait pas à nouveau à des confrontations au bord du gouffre.