La mer dans l’histoire – Christian Buchet – Océanides
Osons la mer, une révolution maritime pour faire de la France première puissance économique mondiale. Édition le cherche Midi, 15 €.
Pendant 4 ans, 260 chercheurs de 40 nations différentes ont étudié l’importance du facteur maritime au cours des siècles.
Ils en sont arrivés à la conclusion que le domaine maritime est l’élément structurant de l’histoire dans les domaines politiques, économiques et démographiques.
Leur étude fait l’objet de plusieurs ouvrages intitulés « The Sea in History, La mer dans l’histoire »
Comme le résume Christian Buchet, président du conseil scientifique d’Océanides : « La mer est la clé de l’histoire et le catalyseur de notre avenir ».
L’ensemble de l’Étude Marine est à retrouver sur le site du Centre d’Études Stratégiques de la Marine > Hors série : Océanides : La mer dans l’histoire, une vision d’avenir ?
Christian Buchet, président du conseil scientifique d’Océanides, publie dans ce court ouvrage quelques conclusions sur des travaux considérables, plus de 3800 pages, avec les communications de 260 chercheurs qui ont pu travailler parallèlement au Grenelle de la mer.
Cet ouvrage présente l’intérêt de donner un certain nombre d’éléments particulièrement utiles sur les enjeux que constituent pour notre pays les espaces maritimes.
Ouvrage très accessible, il permet de disposer de quelques arguments tout à fait pertinents pour justifier que l’on se préoccupe davantage des perspectives de développement maritime, que l’on peut qualifier, tout comme l’auteur de révolution. L’enjeu est simple, le maintien du rang de la France dans le monde, sa capacité à affirmer sa puissance, viendra de la prise en compte du formidable atout que constituent les territoires ultra marins comme point d’appui et les zones économiques exclusives dont notre pays dispose.
La mer, enjeu de puissance
Dans une première partie l’auteur rappelle, à la suite de l’amiral Mahan, « qui tient la mer, tient la terre. »
Dans tous les conflits du passé, et même dans ceux du présent, et ces lignes sont écrites alors qu’un conflit de haute intensité est en cours à l’Est de l’Europe, ce sont les alliances ou les états qui disposent de la maîtrise des flux maritimes qui finissent par l’emporter. Force est de constater que même la dépendance européenne à l’égard du gaz russe pourra à terme être contournée par la capacité du monde occidental à mettre en place des flux maritimes qui permettront d’acheminer les énergies indispensables.
L’auteur revient évidemment sur l’histoire, de l’Antiquité à nos jours, qui montre que les puissances terrestres comme l’empire perse, l’Égypte des pharaons, la Rome de la république et de l’empire ont pu associer leurs puissantes armées terrestres à leur capacité à les relier par la mer.
Au passage, on pourra constater qu’il y a eu dans l’histoire un certain nombre d’occasions manquées. Pour reprendre sur le mode de l’uchronie cette question de Christian Buchet : « l’histoire du monde n’aurait-elle pas été différente si les Mongols d’Iran et de Chine avait construit des flottes et s’était lancé à la conquête des océans ? »
Car il est vrai que le plus vaste empire des tous les temps a tourné le dos à la mer, et pourtant son mode de développement reposait bien sûr la fluidité que permettait un maillage serré de relais de poste et de caravansérails, une sorte d’hinterland, à qui il ne manquait plus que la capacité de projection sur les mers pour dominer le monde. On pourrait d’ailleurs reprendre à ce propos la notion de monde connecté, ou d’histoire connectée, car l’Inde du grand Moghol a pu être également ouverte sur les espaces maritimes, grâce notamment à la thassalocratie portugaise. Mais comme pour la Chine avec l’amiral Zheng He au début du XVe siècle, un certain nombre d’occasions ont été manquées.
La mer et la maîtrise des flux
On découvre également dans cette partie consacrée à l’histoire du rôle de la mer, que même la guerre de 100 ans a pu se dérouler indirectement au large des côtes. Lors de la deuxième phase de cette guerre de 100 ans, la France se dote de capacités maritimes qui lui permettent d’envisager un débarquement en Angleterre. Encore une fois, le destin aurait pu être différent.
Parmi les guerres de Louis XIV l’enjeu est bel et bien celui de la prédominance maritime de l’Ouest. Et dans ce bras de fer terre contre mer, c’est la mer qui finit par l’emporter. Cette guerre qui oppose la France à l’Angleterre se poursuivra d’ailleurs jusqu’en 1815. Encore une fois la puissance continentale, la plus riche, la plus peuplée, a pu rater un certain nombre d’occasions, à cause de ses défaillances en mer.
On passera rapidement sur les périodes plus connues, comme les deux guerres mondiales, de même que la guerre froide, qui ont vu s’opposer une vaste puissance continentale et une alliance capable de maîtriser les flux maritimes. L’alliance atlantique consistait bien à maîtriser ce lien entre l’île mondiale constituée par les États-Unis et l’Europe occidentale pour s’opposer à un éventuel déferlement de la puissance soviétique par la Grande plaine européenne.
La deuxième partie de l’ouvrage aborde la mer comme clé de la réussite, moteur du développement économique. Et encore une fois, même pour des civilisations comme la Mésopotamie du troisième millénaire, « terre au milieu des fleuves », l’ouverture maritime était indispensable. C’est l’interaction entre les fleuves et la mer qui a permis son rayonnement.
La mer, clé de réussite
De même au premier millénaire le sud de la Chine s’inscrit dans un véritable réseau maritime relié au Moluques et à l’Inde. Nous aurions pu aborder également cette bascule saisonnière des marins arabes reliant l’Afrique orientale à l’Inde et à la Chine au quatrième siècle.
Laissons à l’auteur le soin de résumer ce propos : « les entités politiques tournées vers la mer, s’inscrivant toutes dans une logique d’ouverture, d’échange et de flux, disposent d’un puissant moteur à leur développement économique. »
Alors pour faire de la France « la première puissance économique mondiale », l’auteur nous a conduit à une réflexion sur notre histoire. Pays admirablement doté, le seul État à disposer de quatre façades maritimes, la Manche, la mer du Nord, l’Atlantique et la Méditerranée, la France est restée vissée à la terre, comme la bernique au rocher.
Les raisons sont multiples, et l’histoire tout comme l’économie apporte des éléments d’explication. La place de l’agriculture, mais également son archaïsme, ont pu expliquer une certaine forme d’immobilisme. Les flux du commerce des céréales par exemple ont été volontairement bridés jusqu’au XVIIIe siècle, et paradoxalement la situation géographique de la France et sa démographie, pays le plus peuplé d’Europe, ont pu constituer un obstacle au développement.
Aborder l’histoire humaine sous le prisme du maritime renouvelle totalement la géopolitique. Cela peut sembler une évidence, mais il convient dans cette troisième partie d’en prendre la mesure et d’envisager clairement la mer comme une nouvelle frontière.
Le navigateur Éric Tabarly disait : « la mer pour les Français, c’est ce qu’ils ont dans le dos, lorsqu’ils regardent la plage ». Il est temps que cela change. La France dispose d’atouts considérables, de savoir-faire immense dans ce domaine, en termes de construction navale notamment. Les fonds océaniques offrent d’immenses perspectives, mais il faudra bien que le débat public s’en empare. Lorsque l’on dispose du deuxième domaine maritime du monde, il semble évident que l’on envisage son développement et sa mise en valeur.
Réserve d’espace, de nourriture, de ressources minérales et énergétiques, dans un monde terrestre qui apparaît fini, la mer est riche de perspectives, mais nous aurons aussi à la protéger, car elle constitue, à une plus grande échelle encore que l’Amazone et sa forêt primaire, notre avenir environnemental, c’est-à-dire notre avenir tout court.