Propos de l’éditeur. « En 1945, Joseph n’est pas revenu. Demeure l’absent témoigne de lui, de son absence, et de tous ceux qui ont voulu le retrouver. Ils ne l’ont pas oublié.
« Chaque fois que j’ouvre cette boîte, je suis prise du même découragement. Les lettres semblent ne jamais pouvoir être classées pour former un récit cohérent. Certaines ne sont pas datées. Parfois le tampon de la Poste s’est effacé. Certaines enveloppes sont vides et certaines lettres sont sans enveloppe. Les mots s’effacent, écrits à la mine. Le papier est piqué par endroits, tellement usé que des trous apparaissent dans le texte. Des passages ont été censurés. Il est impossible de
deviner ce qui est écrit sous le crayon noir, même en transparence ».
Quatrième de couverture
Ces lettres qui s’effacent, dans lesquelles la narratrice cherche un visage qu’elle n’a jamais connu, ce sont celles écrites par Joseph depuis la prison Saint-Paul à Lyon avant sa déportation ».
La narratrice livre le récit de ses recherches sur un grand-oncle, depuis l’extraction de celui-ci de prison fin juin 1944, jusqu’à sa sortie de l’oubli, grâce aux informations provenant des archives institutionnelles.
Au détour de cette quête, on entrevoit la vie des habitants de Haute-Savoie pendant la Seconde Guerre mondiale : la surveillance de la population, les dénonciations, l’occupation par l’armée italienne, les agissements de la Milice, les différents rouages de la répression.
Après-guerre, la vie reprend son cours. La volonté politique pousse à l’oubli de certains pans de l’histoire récente. Pour la veuve (comme ce fut le cas dans de nombreuses familles françaises après la disparition du chef de famille), il faut faire face, inlassablement, aux tracasseries administratives afin que le statut de « Déporté Résistant » soit reconnu à son défunt mari.
Les premières pièces du puzzle ont été laissées par Marcelle, grand-mère de l’auteur et sœur de Joseph. Marcelle, qui, dès novembre 1944, a sollicité divers destinataires mais n’a recueilli en retour que des informations ténues sur le sort de Joseph. Ensuite, entre l’été 1945, où l’annonce a été faite à la famille de l’issue fatale par l’un des trois déportés survivants de la commune, et 2010, les recherches s’arrêteront.
« Demeure l’absent. Un grand absent dont on ne connaîtra jamais le lieu d’inhumation, quelque part près du camp de Buchenwald, dans la fosse commune d’Ohrdruf. Ses compagnons d’infortune le découvriront, en janvier 45, assis sur une chaise. Assis dans la mort. Seul » (p. 23).
L’auteur, la dernière des trois générations de femmes dont la vie a été marquée par « l’absent », reprend le flambeau au moment où sa grand-mère commence à perdre la mémoire.
Il y a les bribes de souvenirs de Marcelle. « Tu étais un grand-frère merveilleux. Tu avais été arrêté, déporté, et tu n’étais pas revenu. Parce que c’était la guerre, parce que tu étais Résistant, parce que tu volais des lettres de dénonciation et toi, on t’a dénoncé » (p. 41).
Il y a aussi les lettres retrouvées qui témoignent des échanges entre le frère et la sœur pendant la durée de l’incarcération à la prison Saint-Paul de Lyon. Lettres simples, chargées d’espoir, poignantes. Les dernières envoyées reviennent à Marcelle après le départ de Joseph pour Compiègne, l’antichambre de la déportation en Allemagne.
Le temps des recherches est aussi celui des interrogations.
Quel a été le destin de Joseph depuis son arrestation le 13 mars 1943 ?
La chronologie, des différents lieux de détention jusqu’aux camps de Dachau, Buchenwald et d’Ohrdruf, où il est mort d’épuisement le 7 janvier 1945, a pu être reconstituée.
Pourquoi Joseph n’a-t-il pas pu échapper à la déportation ? Quel a été son vécu dans l’univers concentrationnaire ? Les réponses à ces questions restent partielles et tournent parfois en boucle.
Les avancées dans la quête recoupent parfois les témoignages de déportés survivants, anciens compagnons d’infortune de Joseph, tout comme les récits de la libération des camps de concentration.
De proche en proche, l’auteur réussit à reconstituer le puzzle des derniers mois de la vie de Joseph Moënne-Loccoz et à mettre en évidence l’importance de son rôle dans la Résistance à Annecy et dans ses environs.
Séverine Pirovano a écrit une biographie qui fait partie de la littérature mémorielle. Il ne s’agit pas d’un simple compte-rendu linéaire de collectes d’informations, mais c’est le récit de la quête d’une histoire familiale. Le style est concis, pudique et empreint d’une émotion contenue.
Quiconque s’est lancé un jour à la recherche d’un absent se retrouvera aux détours des pages de ce livre.
