Les candidats en campagne actuellement à l’élection présidentielle en France utilisent véritablement pour la première fois dans ce genre de débat le phénomène de mondialisation. Caractérisé essentiellement par le fort développement des flux et des échanges à l’échelle de la planète, ce processus est en l’occurrence souvent convoqué comme responsable d’une partie des maux dont souffre la société. Les délocalisations et leurs cortèges de licenciements en est un exemple. La crainte, justifiée ou non, de voir se répandre la « malbouffe » à travers l’enseigne Mc Donald est vécue comme une manifestation à la fois de la mondialisation et de « l’américanisation » du monde parfois désignée comme un de ses corollaires. Ces exemples montrent comment la mondialisation est devenue un sujet de discussion courant, mais reste aussi un objet d’étude de la part des spécialistes et plus particulièrement lorsqu’on s’intéresse à la géographie politique.

Les Presses Universitaires du Québec viennent de publier un ouvrage réalisé avec le soutien financier de l’Observatoire National de Géopolitique de l’Université du Québec à Montréal. Son objectif était de mettre en avant une approche insistant sur la dimension territoriale des phénomènes géopolitiques. Il s’agit donc d’un ouvrage de géographie politique. Il est le résultat de la collaboration de chercheurs de différents horizons géographiques et disciplinaires dont les travaux et les contributions permettent par leur mise en relation de nourrir le débat relatif aux effets de la mondialisation sur la régulation politique.

L’ensemble est co – dirigé par Bernard Jouve et Yann Roche. Le premier est directeur de recherche au sein du Laboratoire RIVES. Il travaille sur la recomposition des Etats modernes et notamment les nouvelles relations entre les Etats et les métropoles. Le second est géographe à l’Université du Québec à Montréal. Son travail concerne plus particulièrement la thématique du développement Durable. Il est l’auteur avec Raoul Etonguemayer d’un Dictionnaire des termes géographiques contemporains. Il serait par ailleurs trop long de citer l’ensemble des auteurs qui ont nourri cet ouvrage foisonnant de leurs contributions.

Un total de 13 chapitres compose l’ensemble. Chacun des auteurs aborde un aspect de la question à partir de ses domaines de prédilection : géographie sociale, géographie urbaine, sciences économiques, sciences sociales, géopolitique, etc … Parmi ces contributions, on peut citer l’exemple de l’historien spécialiste de l’islam en Asie du Sud – Est Rémy Madinier auteur ici d’une étude des « Flux et réseaux du radicalisme musulman en Asie du Sud – Est : une approche historique » (P 251). Violette Rey, professeure de géographie à l’ENS Lettres et Sciences Humaines est spécialiste de l’Europe Centre – orientale. Elle écrit ici, avec Paolo Molinari, spécialiste de géographie régionale et des systèmes territoriaux en Europe, une étude sur « L’Europe de l’Est entre européanisation et mondialisation » (P 171) où les nouveaux tropismes de cette région sont analysés.

L’ensemble des domaines d’exercice de la mondialisation et ses conséquences en termes de recompositions territoriales est donc abordé. La question de « l’évidement des Etats » (P 2) clairement posée par les directeurs de l’ouvrage en introduction trouve ici des réponses nuancées. Les limites du processus de mondialisation sont maintes fois évoquées dans les domaines les plus divers.

Ainsi en est – il, par exemple, de la globalisation financière. Celle – ci s’exprime notamment par « Le triomphe des rentiers » (Claude Serfati, P 71) et le développement des investissements directs à l’étranger. Ses limites sont malgré tout évoquées. Fanny Coulomb et Jacques Fontanel parlent ainsi d’une « mondialisation financière inachevée » dans le sens où, par exemple, « le degré de diversification internationale des investissements est étonnamment faible » (P 111). De fait, l’investissement dépend encore de l’épargne nationale. De plus, il apparaît que les prêteurs se risquent à l’investissement si confiance leur est inspirée par les Etats dont la stabilité et la solvabilité restent les données essentielles de ce fonctionnement. Cet exemple permet d’éclairer l’idée que la mondialisation n’est pas un phénomène inéluctable et les différentes formes que ce processus peut prendre montrent que le champ des possibles n’est pas restreint.
Les auteurs montrent aussi que la mondialisation n’est pas seulement un phénomène touchant le monde des finances, mais aussi l’ensemble de l’économie, les migrations, les communications et la culture.

Jacques Lévy, géographe, professeur à l’Ecole Polytechnique de Lausanne et professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris est l’auteur de la synthèse concluant l’ensemble de l’ouvrage. Il s’attache à montrer que « la mondialisation n’est pas tout » car le maintien de la diversité apparaît souhaitable et le risque de standardisation serait très dommageable. En outre, certaines logiques échappent encore à la mondialisation telle la crise des systèmes de financement des retraites. L’auteur fait néanmoins remarquer que si les inégalités dans le monde demeurent, les dynamiques sont rapides et la moitié de l’humanité semble engagée, selon lui, dans un processus de sortie du sous développement depuis le dernier tiers du XXe siècle, ce qui incite à l’optimisme. Il apparaît également que les attitudes de résistance à ce mouvement, telles le mouvement altermondialiste (étudié ici par Christian Bouchard) ou même le radicalisme religieux communautariste sont tout de même le produit (pervers dans ce dernier cas) de la mondialisation.
Cette dernière a pour résultat aujourd’hui de faire en sorte que « tous les lieux possèdent une part de mondialité » et que, comme il l’écrit joliment « ce que nous dit ce livre, c’est qu’il y a du Monde ici ». La thèse développée est donc celle de la mise en place d’un nouvel ordre mondial. C’est par petites touches que se dessine ainsi l’essentiel : la mondialisation est la construction d’un territoire planétaire que les désordres engendrés par le processus ont parfois tendance à occulter.

Cette thèse apparaît séduisante et la lecture de ce livre est stimulante. Toutefois, la réflexion menée à l’échelle de la planète est parfois en rupture avec les espaces. On s’interrogera aussi sur la pertinence de la non traduction, dans un ouvrage distribué en France, d’un certain nombre de citations en langue anglaise, ce qui ne pose aucun problème dans un pays bilingue comme l’est le Canada.
Ce très riche livre aux approches multiples et variées ravira les enseignants qui souhaitaient en apprendre davantage sur cette évolution majeure de notre temps, au programme actuellement des concours de recrutement des professeurs de l’enseignement secondaire. De multiples exemples peuvent y être trouvés pour enrichir un cours en niveau 3e ou Terminale sur la mondialisation. Certains exemples plutôt critiques peuvent être mis à profit avec des élèves comme celui de l’internet. Les conclusions des auteurs du chapitre 10 (P 271) sur « Le cyberespace des Amériques » permettent de montrer toutes les nuances à apporter à la mondialisation appliquée aux TIC. Ces dernières abattent certes les barrières nationales en permettant de faire circuler les informations mais n’éliminent pas les barrières sociales. Le cyberespace, comme l’espace économique, est un « espace d’archipel ». Le souci de généraliser l’équipement à tous est encore aujourd’hui une prérogative des Etats (haut débit, bornes d’accès plus nombreuses, …). En plus d’apporter une vision critique au processus actuellement en cours et de montrer que « l’évidement des Etats » est loin d’être achevé, cet exemple peut être utilisé pour montrer aux élèves les liens existants dans la mise en œuvre concomitantes de la mondialisation et de la métropolisation.

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