Demain l’agriculture 

Trois mots clés : Sécurité, santé, soutenabilité qui ouvre la réflexion sur l’avenir de l’agriculture. Quel que soit le pays, ces trois mots résument les demandes. Trois scénarios : décroissance, démondialisation, désunion, sont présents dans les discours sur le monde d’après la Covid. Peut-on rester ouvert dans un monde qui se ferme ? Telle est la question que posent Sébastien Abis et Mathieu Brun dans l’introduction de ce volume coproduction du Club Déméter et de l’IRIS.

Les deux précédents n° ont été chroniqués sur la Cliothèque, Le Déméter 2019 et Le Démeter 2020Ce numéro est disponible par articles payants sur le site du Cairn : https://www.cairn.info/le-demeter–0011662117.htm.

Agrosphères

Neuf contributions dans cette première partie.

Covid-24 : scénarios pour des mondes agricoles et alimentaire immunisés ?

Sébastien Abis, Matthieu Brun, Aymeric Le Lay place leur réflexion par rapport à la crise Covid : Quelle est la sensibilité des systèmes alimentaires mondiaux si les conditions agricoles, logistiques et géopolitiques venaient à se dégrader ?

Les auteurs montrent les conséquences de la pandémie ou plutôt des confinements sur les systèmes de production des pays exportateurs de produits agricoles : peu de conséquences sur les grandes cultures contrairement au maraîchage qui dépend d’un main-d’œuvre nombreuse, saisonnière, migrante. Ils observent la même fragilité en aval sur le secteur de la restauration.

Pour les pays importateurs se pose la question de la sécurisation des approvisionnements surtout quand les importations sont financées par des secteurs fragilisés par la pandémie (exportateur floral comme le Kenya, tourisme international). Dans les territoires déficitaires où domine une agriculture vivrière la limitation des échanges ville/campagne a perturbé les chaînes d’approvisionnement créant des difficultés tant en ville (pénuries, hausse des prix) qu’à la campagne (perte de revenu pour les agriculteurs).

Trois scénarios se dessinent pour en 2024, date choisie par les auteurs pour une nouvelle crise :

  • Multilatéralisme indispensable dans un monde de menaces et intérêts imbriqués. Le nombre croissant de pays adhérents au système d’information sur les marchés agricoles (AMIS) est un symptôme qui pourrait conduire à une réforme de la FAO, du PAM et même de l’OMC. Les stocks actuels bas sont une menace réelle.

  • Impasses géopolitiques : les difficultés actuelles, l’augmentation des inégalités et la montée des populismes sont sources de tensions. On voit se développer des accords d’échanges (groupements d’achats territoriaux), le repli de villes moyennes sur leur ceinture d’approvisionnement et des politiques de sécurité alimentaires de certaines métropoles (Singapour).

  • Chacun pour soi, chacun chez soi : le troisième scénario envisagé est celui d’un repli généralisé, amorcé par des politiques protectionnistes (ex : Chine, Maroc).

Ce premier article plante un décor général quand les articles suivants sont plus spécialisés.

Sibérie, futur grenier à grains du monde ?

Quelques exemples récents annoncent-ils cette révolution sibérienne ?

Jean-Jacques Hervé, Hervé Le Stum analysent la situation actuelle : une frange méridionale cultivable, cultivée (agriculture extensive exportatrice) et des ressources minérales. Le réchauffement climatique pourrait permettre un déplacement vers le nord de certaines productions mais avec, sans doute, une forte variabilité interannuelle. La Russie a relancé ses programmes de recherches agronomiques. Les auteurs présentent un bilan des possibles, sous réserve des risques environnementaux : meilleure valorisation des productions forestières, augmentation des surfaces cultivables, possibilités d’exportations. Ils s’interrogent sur les risques : nouvel eldorado ou incontrôlable dérèglement des écosystèmes ?

D’autres risques et potentialités existent en matière de géopolitique : accord ou conflit avec la Chine, nourrir le monde (arme économique), reconfiguration des routes commerciales.

Un encart rappelle qu’il existe au autre Nord exploitable : le Canada.

L’autonomisation alimentaire de l’Afrique en perspective

Une idée qui n’est pas nouvelle mais toujours d’actualité. Pierre Janin analyse le concept d’autosuffisance alimentaire, ses effets mobilisateurs et son usage politique. Cette autonomie est difficile à mettre en œuvre. Les efforts pour développer la production se heurtent à des choix délicats : quelle place pour l’agriculture paysanne face à de gris investisseurs ? Quel prix des denrées alimentaires pour les urbains ? A l’aide d’exemples, l’auteur montre la complexité de la question.

Le défi nucléaire au service de l’agriculture japonaise ?

Après une présentation de l’agriculture japonaise avant 2011, Rémi Scoccimarro étudie les conséquences de Fukushima : destruction du potentiel agricole, problèmes de contamination. Il montre les mutations récentes, les recherches entreprises pour montrer la non-toxicité des productions. L’enjeu aujourd’hui est d’assurer un revenu paysan.

Phosphates et agriculture : de la géologie à la géopolitique

Les phosphates sont indispensables à la fabrication des engrais. Raphaël Danino-Perraud dresse un bilan des ressources. Si la Chine est un grand producteur, ce sont les États-Unis et le Maroc qui sont les principaux exportateurs (carte p. 101).

Dans un contexte de forte augmentation de la consommation plusieurs scénarios se dessinent. Si l’Inde est un gros importateur quelques pays africains pourraient devenir des exportateurs. Une pénurie est-elle envisageable ? Pour l’auteur ce n’est pas une question géologique mais industrielle (traitement des métaux lourds contenus dans le minerai) d’autant que se posent la question des conditions environnementales et sanitaires de l’extraction, et celle du recyclage (exemple allemand du traitement des eaux usées).

Défendre les sols pour nourrir le monde

Christian Valentin aborde la question de l’étalement urbain et du développement des cultures à vocation industrielle (agrocarburants, substituts du plastiques…). Le détournement des sols fragilise la sécurité alimentaire d’autant que les droits fonciers ne sont pas toujours garantis. Deux questions sont posées : Y aura-t-il assez de sol fertile disponible en 2050 pour nourrir les Hommes ? Comment augmenter la productivité sans dégrader les sols dans un monde où les dérèglements climatiques amplifient les phénomènes de l’érosion et de la désertification ?

L’auteur chiffre quelques constats : la France, par exemple, a perdu entre 1961 et 2016 plus de 17 % des surfaces cultivées. L’emprise foncière de l’élevage a fortement augmenté du fait de l’introduction du soja dans l’alimentation animale. Selon la FAO seulement 44 % des terres agricoles dans le monde sont consacrées à l’alimentation Humaine, 33 M à l’alimentation animale, 12 % à l’industrie. Christian Valentin aborde de façon rapide la spéculation foncière et la dégradation des sols. Il s’interroge le stockage du carbone dans les sols, sur la question forestière.

Les études prospectives annoncent une diminution de 400 M ha dans la prochaine décennie, il faudra choisir entre produire de l’énergie (agrocarburants) ou de l’alimentation.

Un encart technique traite du stockage du carbone dans les solsA lire aussi : Etudes de France Agro³ pour améliorer la santé des sols.

Demain, In Algae Veritas

Alain P. Bonjean présente une production d’avenir : les macroalgues. Quelles sont-elles ? L’auteur mesure l’évolution du marché et les débuts d’une culture de macroalgues. L’emploi dans l’alimentation humaine mais aussi dans l’industrie (texturants alimenataires) sont prometteurs.

L’auteur aborde les contraintes économiques, juridiques et les aspects environnementaux et géopolitiques.

Antibiorésistance animale : santé globale en péril

Jean-Luc Angot traite des risques qui découlent de l’utilisation des antibiotiques en élevage. L’auteur évoque les pratiques pour lutter contre les phénomènes d’antibiorésistance en Franc et en Europe. Il développe un scénario de crise économique et sociale, la notion de zoonose, devenue incontournable depuis la Covid et les évolutions de la législation.

France rurale : l’engouement des jeunes est-il durable ?

Pour Eddy Fougier le contexte est favorable puisque la population agricole est vieillissante mais les obstacles ne manque pas. L’auteur présente l’exemple autrichien et développe trois scénarios : la continuité des pratiques actuelles avec une difficulté pour les jeunes à entrer dans la profession et deux scénarios de rupture : installation des jeunes en agroécologique ou par crainte d effondrement, une remise en cause de l’agriculture conventionnelle avec l’adoption de mesures drastiques.

Regards d’avenir

Partager les données pour réussir les transitions agricoles et alimentaires

Jérémie Wainstain montre le nécessaire partage des données de la chaîne agroalimentaire qu’il analyse à partir des constats récents liés à la situation de la Covid. Il montre, en France, les difficultés et les freins : éclatement des acteurs, multiplicité du vocabulaire, problème de gouvernance. Il propose des pistes : smart territoires, plateformes digitales pour recréer de la valeur ajoutée en amont des filières.

 

La forêt et le bois au cœur du Green Deal européen

La filière bois longtemps oubliée connaît un regain d’intérêt : bois-énergie, nouveaux matériaux biosourcés, biodiversité. Pierre-Olivier Drège montre une forêt européenne en expansion : 182 millions d’ha (43 % du territoire), exploitée à 50 % de la croissance des arbres mais menacée (incendies, dépérissement lié au changement climatique, mauvaise régénération.

L’auteur aborde les secteurs d’activité : une industrie de transformation inégalement développée ( scieries modernes en Allemagne, Scandinavie mais en crise en France). La construction-bois connaît un essor encore limité. Le développement du bois-énergie en Scandinavie, Autriche gagne d’autres contrées. Reste à poser la question de la rémunération du stockage du carbone (croquis p. 216) qui est mis en relation avec le Green Deal européen.

Indonésie : les nouvelles routes de la transition agricole

Alain Rival entraîne le lecteur en Indonésie, pays où les évolutions de l’agriculture vise à la sécurité alimentaire même si elle est contrastée : grandes cultures d’exportation (huile de palme, caoutchouc, café, cacao) face à une agriculture vivrière insuffisante qui impose des importations (blé, soja, viande, lait)

L’auteur rappelle le rôle de l’Indonésie dans la mondialisation (histoire du poivre) et aujourd’hui sur les nouvelles routes de la soie (carte p. 231). Il évalue le poids de l’héritage des grandes plantations et des agro-industriels mais aussi la fragilité de cette activité tant économique que climatique. Il présente les questions majeures qui se posent : planter sans déforester, limiter la perte de biodiversité, planter des agroforêts.

La déforestation et une surpopulation urbaine imposent des ruptures majeures : viser l’autosuffisance alimentaire, freiner l’exode rural, relever les défis environnementaux.

#Avocat, star ou victime des réseaux sociaux ?

C’est le succès récent de l’avocat qui intéresse Olivier Frey et Céline Laisney. Ils présentent la croissance très rapide de sa consommation dans le monde, États-Unis en tête qui en fait un symbole de la mondialisation de l’agriculture pour une étude de cas voir croquis et graphiques p. 241.

Ils expliquent le phénomène en rapport avec les réseaux sociaux. Ils montrent la face cachée de cette culture en Amérique du Sud : destruction des écosystèmes comme au Mexique, empreinte carbone et circuits mafieux de sa commercialisation.

Le plastique : de l’engouement au désenchantement

Claire de Marignan se penche sur ce produit devenu incontournable dans notre quotidien. Il a un fort impact dur l’environnement et la santé et de nombreux États ont commencé à légiférer (interdiction des sacs en plastique, des pailles jetables…). Les pistes actuelles se développent en matière de recyclage (commerce des déchets), en matière d’alternatives.

États-Unis : les lois d’un empire sans frontières

Bernard Valluis présente la législation états-unienne pour contrôler le relations économiques internationales et l’utiliser pour faire pression sur les États tiers (nombreux exemples) en soumettant les contrevenants aux lois américaines (exemple des sanctions en cas de l’embargo visant l’Iran).

L’auteur décrit une véritable guerre économique qui s’inscrit aussi dans la rivalité de leadership entre la Chine et les États-Unis.

L’agriculture au menu de la conquête spatiale

Un entretien avec Thomas Pesquet aborde la question de l’alimentation dans l’espace : incontournable et prouesse technologique, enjeu de la poursuite de l’exploration spatiale.

L’agriculture, graine de star du cinéma français

Le cinéma français a, depuis longtemps, diffusé des images de la ruralité, parfois à la limite de la caricature. Quentin Mathieu montre la nouvelle approche de monde paysan, plus proche des réalités, plus empathique aussi comme dans des films comme Petit paysan ou Au nom de la terre.

Repères

Comme dans chaque édition cette troisième partie réunit statistiques, graphiques et cartes actualisées et petits textes de synthèse : population, environnement, productions agricoles en France, en Europe et dans le monde : céréales, oléoprotéagineux, sucre, semences, viandes mais aussi pêche et aquaculture sans oublier le développement récent de de l’Agtech et de la Foodtech.

Alain P. Bonjean le Club Démeter propose un retour historique sur les crises sanitaires : grande dépression irlandaise 1845-1849, phylloxera, grippe espagnole, vache folle qui permet une mise en perspective des épidémies et des épizooties.

Marie-Hélène Schwoob dans un court entretien répond, à l’aide de statistiques, cartes et graphiques, aux questions : Quelle est la place de l’agriculture dans le changement climatique et dans les discussions qui en découlent ? Quels sont les enjeux de la prise en compte du stockage du carbone dans les sols ? En quoi l’élevage pourrait-il être un levier d’atténuation des émissions GES ?