Des vignes aux tranchées, la grande guerre en pays biterrois
Cet ouvrage va très au-delà d’une monographie locale sur la situation matérielle et morale de l’arrière pendant la Grande guerre. Il permet, avec une organisation thématique, de trouver des exemples extrêmement précis sur tous les aspects de la vie économique et sociale d’une ville – centre, implantée dans une zone agricole, marquée par la monoculture de la vigne.
Comme beaucoup de villes de cette taille, Béziers est un centre de recrutement, avec le 96e régiment d’infanterie, le 1er hussard et un détachement de la 16e section de commis ouvriers. La cité est alors peuplée par 52 000 habitants.
La ville mobilisée
La première partie de l’ouvrage traite de questions générales de la mobilisation et du maintien de l’ordre dans la ville, avec la création d’une garde civique volontaire en l’application des lois sur l’état de siège qui remonte du 9 août 1849. Les nouvelles officielles sont apposées dans différents lieux publics, et les officiers en charge de la place d’armes de Béziers ont cherché à tout moment à contrôler la propagation d’informations. Face à la mobilisation la population de Béziers n’a pas eu des comportements fondamentalement différents de ceux du reste du pays. La ville avait pourtant une assez mauvaise réputation depuis la mutinerie des soldats du 17e, lors de la révolte vigneronne de 1907. Cet épisode qui n’a pas été oublié, lors des premiers combats en Alsace en 1914, par les chefs militaires, et qui a contribué à entretenir la légende noire des soldats du Midi. Lire à ce propos, de Jean-Yves Le Naour, la légende noire des soldats du Midi : http://clio-cr.clionautes.org/desunion-nationale-la-legende-noire-des-soldats-du-midi.html#.UyFSpIWwQvw
En réalité, la population biterroise, si l’on se base sur cet ouvrage, n’a pas agi très différemment, par rapport à celle d’autres régions de France. En matière de mobilisation, Béatrix Pau montre que les cas de désertion ont été extrêmement rares, et elle ne mentionne que deux exemples, en avril 1915.
Face aux réquisitions, prévues en temps de guerre, l’attitude de la population a été diverse. Les propriétaires fonciers ont pu être satisfaits car l’intendance payait est souvent très fort mais la lenteur des paiements, la priorité donnée aux agriculteurs pour conserver certaines de leurs bêtes, ont pu susciter des réactions de résistance. La nécessité de fournir les tranchées en « pinard » a conduit l’autorité militaire à procéder à des réquisitions massives entre le quart et le sixième des récoltes, entre 1915 et 1916.
La ville solidaire
Le deuxième chapitre présente la solidarité et la générosité qui se sont manifestées dès les premiers jours de la guerre. Les collectes des différents comités de charités qui se sont constitués, la souscription aux emprunts de la Défense nationale ont été qualifiée de satisfaisants. 17 novembre 1914, et cela peut rejoindre la lutte contre les préjugés « anti méridionaux » évoqués plus haut, le préfet de l’Hérault qui est demandé aux maires du département d’inciter leurs administrés « à verser leur vin pour la patrie », met en avant le patriotisme mais aussi la vertu du vin et la qualité de celui du Midi. « Les enfants du Midi, en dépit de certaines légendes désormais abolies, atteste chaque jour l’héroïsme et la vigueur de votre race. Trop de mort glorieuse dont vous êtes fiers, en fournissent le témoignage incessamment renouvelé. Le vin a retrouvé son antique renommée. Demain, s’il vous plaît, il ira vers le front soutenir l’ardeur de nos soldats, ceux du Nord, d’Angleterre et de Belgique apprendront à le connaître, ceux du Midi seront joyeux de le reconnaître. Le triomphe du vin accompagnera la victoire de la France. » Les Clionautes, lors de leurs rencontres, contribuent à entretenir ce culte du bien boire, source de vertus
Béatrix Pau a pu se livrer à un inventaire précieux des dons des propriétaires viticoles et des caves coopératives. Au 22 janvier 1915, l’œuvre du « vin aux soldats » avait déjà reçu 38 399 hl de vin. Si on ajoute cela aux réquisitions, il est possible de considérer que les biterrois ont été particulièrement généreux.
Dans le troisième chapitre, Béatrix Pau présente les conséquences de l’absence des hommes dans une zone agricole, avec une guerre qui commence quelques semaines avant les vendanges. Comme ailleurs, les femmes se sont mobilisées, ont assuré les travaux agricoles et certaines lettres montrent que si les hommes se préoccupent de la conduite des affaires, les femmes n’hésitent pas à demander des conseils à leurs compagnons partis au combat.
Comme ailleurs, la guerre a contribué à une évolution rapide des mœurs, à une restructuration familiale, à une augmentation du nombre de divorces. L’étude des correspondances montre des préoccupations très variées, celles qui relèvent de préoccupations économiques, l’inquiétude à propos de la fidélité du conjoint, mais aussi des demandes très précises de biens pour améliorer l’ordinaire.
Dans la deuxième partie, « vivre en guerre », Béatrix Pau dresse une sorte d’inventaire des difficultés croissantes que subit la population biterroise avec des signes croissants de pénurie. L’absence de pommes de terre a été durement ressentie par la population et en janvier 1917, le retard d’approvisionnement a pu représenter le chiffre de 64 000 wagons, retardés par la priorité accordée aux transports de troupes sur le réseau ferroviaire.
Les prix de tous les produits ont connu une inflation majeure, y compris le prix du vin aux litre qui doublent dès 1916. Le prix des produits de traitement de la vigne a également connu de très fortes hausses, notamment celui du sulfate de cuivre, produit stratégique en temps de guerre évidemment dont le prix attribué jusqu’en 1916. L’intervention de l’État a jeté les bases de ce que l’auteur rappelle un État-providence, avec de fortes incitations à la mise en culture de terres pour les céréales, avec fourniture des semences, mais aussi le développement d’allocations de secours. La partie qui concerne les fraudes à propos de ces allocations est également extrêmement intéressante. Près de 10 000 demandes d’allocations de secours ont été déposées, ce qui représente tout de même 17 % de la population de Béziers. Les cas de fausses déclarations, sont loin d’être négligeables.
À propos des distractions, les biterrois, ont pu pendant la guerre profiter de la réouverture des salles de spectacles à partir du 14 novembre 1914. Les programmes dans les salles de cinéma étaient soumis au visa de l’autorité militaire. Les spectacles lyriques très prisés par les biterrois avant-guerres ont quand même vu leur fréquentation baisser, en raison de la cherté de la vie et c’est surtout le sport qui a permis d’oublier les difficultés liées à la guerre.
La ville meurtrie
La troisième partie montre comment la population à affronté la mort. Le tableau comparatif des biterrois morts pour la France par rapport au total national montre que c’est surtout pendant la première année de la guerre que le tribut a été le plus lourd. Plus de 27 % par rapport à une moyenne nationale de 20,5 %. Pour les autres années de guerre, à l’exception de 1917, les pourcentages sont équivalents.
Ce tableau de Béziers pendant la guerre permet de retrouver un environnement qui nous est familier, celui de ce que l’on appelait « le bas Languedoc viticole ». En réalité, ce bas Languedoc viticole n’existe plus vraiment. Les mouvements de population, la part de plus en plus nombreuse des nouveaux arrivants issus d’autres régions, dans les villages languedociens, ont considérablement modifié la physionomie de cette ville qui a pu être la locomotive économique du département jusqu’au milieu du XXe siècle. Elle ne l’est plus aujourd’hui.
C’est dire l’importance de ce tableau socio-économique du biterrois pendant la première guerre mondiale. Le travail de Béatrix Pau permettra aux professeurs d’histoire d’ancrer le cours sur la guerre de 14-18 dans un environnement et sur un territoire. Certains documents sont d’ailleurs tout à fait utilisables en classe comme le discours de la section socialiste de Villeneuve les Béziers à l’enterrement de Léon Boyer. En 35 lignes, cette oraison funèbre est, à elle seule, un résumé, – on dirait en jargon pédagogique, un document synthèse, – de toutes les approches contradictoires de la Grande guerre.