Clark Gable, John Huston ou Alfred Hitchcock : autant de stars ou de réalisateurs symboles d’Hollywood et de ses grands films, mais les célèbres studios ont parfois joué une autre partition, et notamment pendant la seconde guerre mondiale. C’est une histoire pleine d’anecdotes et de découvertes que nous conte Michel Viotte.

Hollywood : une usine à images

En huit parties, ce réalisateur d’une quarantaine de documentaires aborde donc les rapports entre Hollywood et la Seconde Guerre mondiale. Dans ce bel ouvrage riche de plus de 300 documents, il s’intéresse à différents types de réalisations des célèbres studios à un moment où 85 millions d’Américains allaient au cinéma chaque semaine. C’est dire si le medium était intéressant pour faire passer rapidement et massivement des messages. Les documents sont en noir et blanc et en couleurs et certains sont sur une double page. Signalés comme inédits, il est vrai qu’il y a un grand plaisir à découvrir ces clichés. Chaque chapitre commence par une mise en perspective. Chaque grande partie est organisée en plusieurs temps. Le livre est sous-titré « 1939- 1945 », mais l’auteur dit bien dès le départ que s’il a existé quelques acteurs et réalisateurs antinazis convaincus, c’est l’événement de Pearl Harbor qui fit basculer Hollywood dans la guerre. Il faut bien comprendre ce que recouvre ce mot d’Hollywood et ne pas imaginer qu’il s’agit uniquement de films pour le grand public. On trouve également des films de fiction, des documentaires ou encore des dessins animés. Signalons que ce livre a donné lieu à une série documentaire en deux épisodes diffusés sur le service public et disponible en dvd et vod.

Le nerf de la guerre

Michel Viotte choisit de décliner cette idée sous deux angles, celui des bons pour financer la guerre et celui du front intérieur. La Hollywood Bond Cavalcade rapporta plus d’un milliard de dollars grâce à la présence de vedettes comme Judy Garland ou Fred Astaire. Le second volet est consacré au volet intérieur où l’on retrouve, par exemple, des images de Rosie la riveteuse. Une des fortes angoisses de l’époque, c’est l’infiltration par l’ennemi, comme le montre le film d’Alfred Hitchcock « La cinquième colonne ».

Former et informer les soldats et la population

Ce premier temps réalisé, il faut former et informer. Michel Viotte développe cet aspect à travers trois exemples. Il évoque les rapports entre cinéma et armée, le cas d’un réalisateur célèbre, Franck Capra et enfin une structure : la First Motion Picture Unit.
Le parcours de Capra est assez remarquable. Il fit davantage que des documentaires et alla même jusqu’à imaginer un magazine bimensuel d’actualités pour les bases américaines. La First motion Picture Unit est la première unité militaire totalement composée de techniciens et d’artistes venus du cinéma. Les films réalisés sont parfois essentiels. Deux exemples le prouvent : un film est conçu pour aider les aviateurs américains à mieux reconnaitre les avions japonais. Mais le cas le plus hallucinant, est le projet 152. Il s’agit d’une maquette de 24 mètres sur 18, occupant tout un studio et reconstituant la côte sud de Honshu. Le rapport d’échelle a été calculé pour qu’une camera travelling placée à 1 mètre 40 de hauteur, et se déplaçant à une vitesse de 28 centimètres par heure offre un point de vue équivalent à celui d’un pilote de bombardier volant à 9100 mètres et à 650 kilomètres heure. C’est donc un appareil de simulation, et donc de formation, incroyable pour l’époque !

Des stars sous les drapeaux

Mais Hollywood c’est évidemment des stars et là on découvrira peut-être des parcours étonnants. Certes, beaucoup furent cantonnées sur des bases car comme le disait Louis B Mayer, « une star morte ne sert à personne ». Les stars furent souvent médiatisées et souvent contre leur gré. Michel Viotte développe donc quelques cas remarquables, mais dresse aussi, sous forme de brèves notices, un panel d’autres cas. Parmi les véritables stars héros de la guerre, il y eut James Stewart ou Clark Gable. Le premier, tiré au sort, fut refusé en raison d’un poids trop faible. Il pallia à cela puis réussit à être intégré. Il se révéla un excellent pilote et un sacré meneur d’hommes. Il faut aussi souligner que sa volonté d’engagement précède Pearl Harbor.

Des films pour gagner la guerre

Une autre étape est franchie avec la mise en vedette des artistes, un besoin de héros et une victoire qui se décline en chansons. L’industrie du cinéma retranscrit sous forme fictionnelle les bouleversements opérés dans la société américaine et la progression des évènements internationaux. C’est bien le cas car sur 1700 films long métrage entre 1942 et 1945, plus de 500 furent des films de combat. Mais il y eut aussi des films musicaux dont « La glorieuse parade » : chanter et danser en uniforme apparaît comme la chose la plus naturelle qui soit. Il fallait promouvoir la vie militaire avec un message souvent simple : les filles aiment les soldats. L’Etat-major ouvrit ses bases aux tournages. On peut rappeler que le phénomène se reproduisit plus tard comme le montre l’ouvrage de Jean-Michel Valantin « Hollywood, Le Pentagone et Washington. »

Montrer les amis et les ennemis

Quelle que soit leur force, les Etats-Unis n’imaginaient pas gagner seuls la guerre. Hollywood avait donc une autre mission : démontrer que les Alliés, malgré leurs particularismes, étaient liés par un intérêt collectif. Pour certains pays, cela ne posait pas de problème. En revanche, quand il s’agit de mettre en valeur la Chine ou encore plus la Russie, la mission est des plus délicates. On gomma chez ces derniers l’aspect communiste pour accentuer leur côté russe et leur culture millénaire. On en arriva parfois à des extrêmes avec un film comme « Mission to Moscow » : les producteurs durent se justifier au temps de la Guerre froide !
Pour les ennemis, c’est plus simple. Il faut définir leur identité, leurs objectifs et leurs stratégies. Michel Viotte rappelle que la production de films antinazis commença avant l’entrée en guerre même si cela ne représenta alors que peu de réalisations. Cette volonté de désigner les nazis comme les ennemis n’était pas forcément superflue, car trois Américains sur dix étaient alors favorables à des négociations de paix avec l’Allemagne. Pour diffuser le message, l’idéologie nazie fut présentée en opposition frontale aux quatre libertés fondamentales définies par Roosevelt. Ce chapitre propose de nombreux exemples d’affiches de ces films. L’ennemi le plus haï fut incontestablement le Japonais.

Le moral des troupes

Entre 1942 et 1944, plus de 25 000 copies de longs métrages et bandes d’actualités et 30 000 copies de courts métrages sont fournis gratuitement par Hollywood pour divertir les soldats. Tous les moyens furent utilisés pour faire venir le cinéma auprès des soldats : bateau ou même à dos d’âne.
Un exemple témoigne de la vitalité et de la capacité d’Hollywood à digérer le monde. Un night club existait aux Etats-Unis réservé aux soldats des forces américaines. Les studios s’emparèrent de ce fait pour en faire un film qui diffusait donc en même temps un message patriotique. Toujours pour maintenir le moral, on déplaça, et c’est plus connu, des stars. Cela concerna quand même plus de 7 000 artistes pour un total de 55 000 représentations. On retrouve aussi cette capacité à digérer l’histoire immédiate avec un film sur l’atome ou avec « Les plus belles années de notre vie » qui, dès 1947, racontait les destins de trois vétérans de retour dans leur foyer.

L’ouvrage de Michel Viotte offre d’abord un véritable plaisir par son iconographie riche et neuve. Alternant les clichés noir et blanc et les affiches de films, il propose pourtant davantage qu’un beau catalogue à feuilleter. Il donne à voir la diversité de l’engagement d’Hollywood dans la Seconde Guerre mondiale. Un ouvrage donc où le plaisir des yeux ne se fait pas au détriment de l’intérêt de son texte. Un ouvrage à offrir ou à s’offrir.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.