Le colloque « Caricatures : Politiques et Parlementaires » (Jeudi 10 décembre 2015)

L’ouvrage Deux siècles de caricatures politiques et parlementaires, publié sous la codirection de Pierre Allorant, Alexandre Borrell et Jean Garrigues, constitue la dernière parution d’Artois Presses Université (APU) de l’Université d’Arras, dans la collection « Histoire ». Ce livre, collationnant 7 études réunies par le trio d’enseignants-chercheurs de l’université d’Orléans, a été publié avec le concours du laboratoire POLEN de l’université d’Orléans, du CHPP, de l’université d’Artois et, enfin, de l’association Arras Université.

Pierre Allorant est professeur d’université en Histoire du droit et des institutions à l’université d’Orléans (laboratoire POLEN EA 4710) ainsi que, depuis novembre 2016, élu doyen de la faculté de droit et de gestion de cette même l’université. Il est également secrétaire général du Comité d’Histoire Parlementaire et Politique (CHPP). Quant à Alexandre Borrell, il est docteur en Histoire contemporaine à l’université d’Orléans (POLEN EA 4710) et maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Paris-Est Créteil (laboratoire Céditec). Il est également membre du bureau du Comité d’Histoire Parlementaire et Politique (CHPP) ainsi que rédacteur en chef adjoint de la revue Parlement[s] : Revue d’histoire politique. Enfin, Jean Garrigues est professeur d’université en Histoire contemporaine à l’université d’Orléans (laboratoire POLEN EA 4710). Depuis 2002, il est président du Comité d’Histoire Parlementaire et Politique (CHPP) ainsi que directeur de la rédaction de la revue Parlement[s] : Revue d’histoire politique, éditée par les Presses Universitaires de Rennes (PUR).

            Outre la présentation de Pierre Allorant (p. 7-11), cet ouvrage contient donc 7 articles accompagnées de 44 illustrations réparties en trois parties : « La caricature de la droite, des monarchies censitaires à la fin de la fête impériale » (p. 13-48), « la caricature en régime parlementaire » (p. 49-102) et « la caricature des socialistes, de Jaurès à Mitterrand » (p. 103-144). Les contributions, équivalant à autant de chapitres, se répartissent, comme suit : 2 chapitres pour la première partie, 3 chapitres pour la deuxième partie et, de nouveau, 2 chapitres pour la troisième et dernière partie. Puis, suivent tous les attributs de l’ouvrage scientifique : la table des illustrations (p. 145-148), les sources (p. 149-150), la bibliographie (p. 151-158) l’index des noms de personnes (p. 159-164), l’index des titres de presse (p. 165-166), les auteurs et éditeurs du volume (p. 167) et, enfin, la table des matières (p. 169-170).

            Ces contributions sont tirées d’un colloque (à l’exception notable de l’étude de Sophie Pauliac) qui s’est déroulé à Orléans, le jeudi 10 décembre 2015, organisé par le CEPOC-POLEN (Centre d’Études POlitiques Contemporaines-POvoirs/LEttres/Normes) et le CHPP (Comité d’Histoire Parlementaire et Politique) au Centre International pour la Recherche de l’Université d’Orléans, c’est-à-dire à l’Hôtel Dupanloup (1, rue Dupanloup à Orléans). Cette manifestation scientifique était consacrée à « Caricatures : Politiques et Parlementaires ») et coorganisée par Pierre Allorant et Jean Garrigues. Le programme initial était constitué de 11 communications et intervenants réparties sous trois présidences : celle de Pierre Allorant pour « Entrée des artistes : portraits à charge », celle de Jean Garrigues pour « À la gauche de l’hémicycle » et, enfin, celle d’Anne Delouis (Maître de Conférences en Anthropologie sociale à l’université d’Orléans) « Crayons d’Outre-Rhin : regards croisés ». Cependant, par rapport au programme initial, les deux coorganisateurs ont eu à faire face à des aléas avec l’absence de trois intervenants (pour des raisons de santé), dont celle de Laurent Bihl (Vis comica, vis lacrimosa ? La « mascarade » politique croquée par les humoristes autour de 1900) et de Guillaume Doizy (Jaurès, le « Saint Jean Bouche d’or » de la caricature parlementaire). Cette dernière a été reprise intégralement dans le présent ouvrage. En revanche, l’étude de Laurent Bihl a été remplacée par une contribution inédite.

  1. La caricature de la droite, des monarchies censitaires à la fin de la fête impériale

La première de l’ouvrage, d’une cinquantaine de pages, intitulée « La caricature de la droite, des monarchies censitaires à la fin de la fête impériale » (p. 13-48), comporte deux chapitres ayant pour titre : « La caricature de la droite sous la Restauration : le primat du Verbe sur l’Image » (p. 15-34) par Olivier Tort (maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université d’Artois, laboratoire CREHS) et « La caricature politique de Daumier au Charivari (1833-1872) » (p. 35-48) par Sophie Pauliac (docteur en histoire de l’art, rédactrice en chef des Cahiers Daumier).

            D’une longueur de 35 pages, le chapitre I (« La caricature de la droite sous la Restauration : le primat du Verbe sur l’Image » (p. 13-48) ») commence par une description des caractéristiques de la caricature sous la Restauration avec une restriction progressive de la liberté de la caricature sous Louis XVIII et, donc, le retour à une caricature d’opposition, à partir de 1820, avec l’assassinat du duc de Berry. À partir de 1819, le gouvernement centriste du duc Decazes tente d’amadouer les libéraux modérés en assouplissant la répression en remplaçant l’autorisation administrative par un simple dépôt préalable et confiant les procès de presse au jury populaire, engendrant ainsi un « bref mais spectaculaire développement des caricatures ». Ensuite, Olivier Tort entreprend les caricaturistes (avec l’éclosion des futurs talents de la caricature tels Jean-Jacques Gérard dit Grandville et Philippon, vers 1829-1830) et les caricaturés (en particulier Louis XVIII et son entourage). Toutefois, peu de figures de grands dessinateurs émergent dans l’immédiat, tant la « starification » de la chanson politique avec Béranger contraste avec l’anonymat des crayonneurs de la Restauration, points d’appui du discours pamphlétaire contre le régime, à travers les journaux et les brochures, plus littéraire qu’iconographique, dépeignant les hommes de droite comme hostiles au Progrès, à la Justice et à la Liberté. En cela, Olivier Tort démontre que la gauche a joué un rôle essentiel dans la diabolisation de l’homme de la droite considéré comme un ennemi des Lumières. En somme, entre 1814 et 1830, la caricature de la droite sous la Restauration constitue les prodromes de la caricature de la Monarchie de Juillet en reprenant les canons esthétiques révolutionnaires.

De 13 pages seulement, le chapitre II (« La caricature politique de Daumier au Charivari (1833-1872) (p. 35-48) ») montre qu’Honoré Daumier est indissociable dans son travail au Charivari de Philipon et que sa notoriété et sa postérité sont exceptionnelles au milieu de ces dessinateurs anonymes. La coopération des deux hommes est à l’origine de la publication des caricatures politiques publiées, de l’idée de la lithographie à sa légende, et même des bustes de parlementaires commandés par Philipon à Daumier et qui servent aussi à Grandville et Desperet. Républicain convaincu, Daumier charge très fortement Louis-Napoléon Bonaparte et le culte bonapartiste à travers Ratapoil, sa moustache à l’impériale et sa redingote.

2. La caricature en régime parlementaire

La deuxième partie de l’ouvrage, d’une cinquantaine de pages également, intitulée « La caricature en régime parlementaire (p. 49-102) », comporte trois chapitres ayant pour titre : « La satire : une image de l’antiparlementarisme italien (1861-1887) » (p. 51-66) par Sara Trovalusci (doctorante en histoire à l’Université d’Urbino et à l’Université d’Orléans, laboratoire POLEN EA 4710), « Retour sur l’antisémitisme en image et son approche historienne » (p. 67-90) par Laurent Bihl (maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, laboratoire CRHXIXe) et, enfin, « Du cartel au perchoir : Herriot équarri par Sennep » (p. 91-102) par Pierre Allorant.

            Le chapitre III « La satire : une image de l’antiparlementarisme italien (1861-1887) » (p. 51-66) par Sara Trovalusci) étudie l’antiparlementarisme italien qui s’est développé en même temps que le parlementarisme, notamment, à cause des scandales politico-financiers. Par un regard comparatiste transalpin, l’auteure s’interroge sur l’absence du Parlement dans la narration mythologique du Risorgimento, récit fondateur de la nation italienne. L’Italie apparaît ainsi dans l’imaginaire collectif comme le fruit de l’action de héros individuels tels Victor-Emmanuel, Garibaldi, Mazzini et Cavour, ainsi que de l’héroïsme des combattants des guerres de libération, mais pas des parlementaires. De ce fait, l’adhésion et la confiance envers l’assemblée élective n’ont jamais égalé dans l’Italie unifiée le niveau atteint en Angleterre ou en France, qui ont construit leur système démocratique sur le parlementarisme. Avec la période opportuniste italienne du « transformisme », incarnée par Agostino Depretis, la critique politique devient plus personnelle, ciblée, politisée. Sara Trovalusci indique également que la caricature s’adresse à la sphère émotionnelle du lecteur en le marquant plus profondément qu’un long article faisant appel à la rationalité de ce même lecteur. Vers 1890, l’État libéral italien traverse une crise profonde avec l’anarchisme et la création du PSI (Parti Socialiste Italien). Enfin, l’unité de l’Italie est incarnée par le roi et non par le parlement permettant ainsi au fascisme de prospérer tel un populisme médiatique au point de prendre le pouvoir en octobre 1922.

Avec le chapitre IV (« Retour sur l’antisémitisme en image et son approche historienne » (p. 67-90), Laurent Bihl), ce dernier s’interroge sur l’entreprise des humoristes au tournant des XIXe et XXe siècles, cette « mascarade politique » sur fond d’affaire Dreyfus. Il émet l’hypothèse qu’au moment où l’image satirique fait son apparition dans les pages des quotidiens, les « grands » périodiques satiriques s’autocensurent afin de se mettre à l’abri des pertes potentielles de lecteurs, loin de la bataille d’idées et d’engagements de la presse nationale. Le départ de dessinateurs pour fonder leur propre organe, dreyfusard ou antidreyfusard, serait la conséquence de cette prudence commerciale des directeurs de publication, soucieux de conjurer la division et la perte de leur lectorat.

Avec le chapitre V (« Du cartel au perchoir : Herriot équarri par Sennep » (p. 91-102), Pierre Allorant analyse les relations du caricaturiste d’Action française Jean Sennep et du radical Édouard Herriot. Ce dernier, venu à la politique par l’affaire Dreyfus, forme une cible de choix pour les caricaturistes durant plus d’un demi-siècle et deux Républiques parlementaires. Mais, c’est Sennep, le « Daumier du Palais Bourbon », qui croque avec le plus de férocité l’éternel maire de Lyon, le président du parti radical et l’habitué du « Perchoir » de la Chambre des députés. Édouard Herriot est la tête de turc de Sennep pendant 30 ans. La période du Cartel des gauches (Cf. au recueil de Sennep intitulé Cartel et Cie) constitue pour le président du conseil récidiviste Herriot une période de véritable martyr. Le Cartel des gauches est une vraie leçon d’histoire pour une gauche à l’abattoir (1924-1932) où la guerre des deux Édouard (Herriot et Daladier) fit des ravages au sein du Parti radical. Pierre Allorant évoque ensuite le Herriot président de la Chambre des députés (en 1925-1926 puis en 1936-1942). Sennep s’en donne à cœur joie pour métamorphoser l’autoproclamé « Français moyen » et lui faire traverser toutes les périodes, du Cartel des gauches de 1924 face à la République de Weimar à la querelle de la Communauté européenne de Défense (CED) trente ans plus tard, avec un Herriot président de l’Assemblée nationale sous la IVe République (1947-1958) qui fut contre le discours de Bayeux du général de Gaulle.

3. La caricature des socialistes, de Jaurès à Mitterrand

La troisième et dernière partie de l’ouvrage, d’une cinquantaine de pages également, intitulée « La caricature en régime parlementaire (p. 49-102) », comporte trois chapitres ayant pour titre : « Jaurès, le « Saint Jean Bouche d’or » de la caricature parlementaire » (p. 105-124) par Guillaume Doizy (historien de la caricature et du dessin de presse, fondateur du site caricaturesetcaricature.com) et « Les caricatures de L’Unité (1972-1986) : entre culture de gauche et mitterrandisme » (p. 125-144) par Noëlline Castagnez (maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université d’Orléans, laboratoire POLEN EA 4710).

Le chapitre VI, (« Jaurès, le « Saint Jean Bouche d’or » de la caricature parlementaire » (p. 105-124) par Guillaume Doizy), montre que le député de Carmaux, puissant et vibrant orateur à la tribune de la Chambre, « Saint-Jean bouche d’or de la caricature », est représenté avec des traits sortant de sa bouche ouverte, car l’auteur nous révèle que c’est la spécificité de l’identité caricaturale du tribun Jaurès, associée à la prise de parole parlementaire au Palais Bourbon. Cette « obsession parlementaire » de la caricature témoigne de l’importance en République de la compétition électorale législative qui accentue les clivages et favorise le grossissement des traits et des affrontements inhérent à la caricature. En cette fin de XIXe siècle, la diffusion des portraits photographiés ou gravés des hommes politiques dans les lieux de la vie publique offre une source de choix à la caricature : depuis l’Illustration en 1843, l’audience des organes remplis d’images est croissante, avec les suppléments du Petit Journal et du Petit Parisien, La Vie illustrée et Le Monde illustré ainsi qu’Excelsior. Dorénavant, l’iconographie satirique imprimée de Jaurès alimente et accélère l’émergence du flux de caricatures.

Avec le chapitre VII (« Les caricatures de L’Unité (1972-1986) : entre culture de gauche et mitterrandisme » (p. 125-144), Noëlline Castagnez étudie les caricatures à travers l’hebdomadaire socialiste et mitterrandiste, L’Unité, créé pour combler la disparition du quotidien socialiste Le Populaire, en 1970. Durant ces 14 années, L’Unité a symbolisé une culture de gauche en images avec une équipe de caricaturistes représentant deux générations de gauche, soit des dessinateurs incarnant l’avant et l’après mai 1968. Grâce à eux, la tradition iconographique de gauche s’est considérablement renouvelée (Cf. la rose au poing de 1969 adoptée par le PS en 1971). Cependant, L’Unité constitue une défense et illustration du mitterrandisme évoluant dans un cadre contraignant (Mitterrand exonéré d’être caricaturé) et dans un domaine réservé (soutenir et expliquer la politique du PS). Après 1977 et la rupture du Programme commun avec le PRG et le PCF, les ventes de L’Unité font un bond et l’hebdomadaire devient un journal de combat contre le PCF et la droite en diffusant des « gueules » et des unes tournant au jeu de massacre. En vérité, Noëlline Castagnez insiste sur le fait que les caricatures sont issues d’une longue tradition dans le milieu ouvrier et que L’Unité a été le miroir des débats de société de l’après-mai 1968. Néanmoins, l’hebdomadaire n’a pas pu s’affranchir d’une autocensure face à la politique du PS en général et de François Mitterrand, en particulier.

Deux siècles de caricatures politiques et parlementaires : un sujet d’actualité

            Pour conclure, L’ouvrage Deux siècles de caricatures politiques et parlementaires, de Pierre Allorant, Alexandre Borrell et Jean Garrigues mériterait une seconde édition car 7 études seulement sont publiées sur les 11 contributions prévues, lors du colloque « Caricatures : Politiques et Parlementaires ». Dans sa présentation, Pierre Allorant justifie cet état de fait par « les droits d’utilisation [qui] ont contraint à des choix éditoriaux » (p. 8), pour des raisons financières, probablement. C’est d’autant plus dommage que les autres communications étaient également dignes d’intérêt comme celles de Laurent Bihl « Vis comica, vis lacrimosa ? La « mascarade » politique croquée par les humoristes autour de 1900 », de Jean Garrigues « L’homme providentiel caricaturé », de Jean-Louis Laubry « Le Cahier des Charges des dessinateurs parlementaires », de Raphaël Cahen « Marianne » vue par Michel et Germania : 100 ans d’histoire parlementaire à travers la caricature allemande », de Andreas Biefang « Kiss m yass. An Infamous Visual Metaphor of Anti-Parliamentarism England, France, and Germany since the late Eighteenth Century » et, enfin, de Nicolas Patin « La caricature politique en Allemagne : l’exemple du Simplicissimus et du Kladderadatsch (1871-1933)

Ce petit ouvrage montre à l’envie que les caricatures ont un pouvoir de subversion ô combien redoutable. Les caricaturistes de Charlie Hebdo, tués en janvier 2015 à Paris, aurait probablement approuvé la publication de ce livre rendant hommage à leur art ainsi qu’à leur mémoire. De fait, cet ouvrage est une bonne introduction à l’influence de la caricature en politique, particulièrement destiné aux étudiants et aux enseignants.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)