Connaissez-vous la collection de biographies en bandes dessinées de Glénat « Ils ont fait l’Histoire » ? Si c’est le cas, vous connaissez le principe : au dessinateur et au scénariste est adjoint un historien, qui donne une orientation et propose en fin de volume un petit dossier sur le héros du livre. Par exemple, pour les deux tomes dédiés à Churchill, c’est François Kersaudy qui a fait les choix historiques, reprenant fidèlement les grandes étapes de la vie du Bulldog.

Pour Talleyrand, de Waresquiel a pris un point de vue complètement différent : il ne s’agit pas d’une biographie, seul le dossier évoque l’intégralité de la vie Talleyrand. La bande dessinée est quant à elle dédiée au Congrès de Vienne et à l’action de Talleyrand en 1814 et 1815. Le dossier de Waresquiel apporte un complément structuré qui permet de bien saisir les subtilités de la bande dessinée.

Seules les deux premières pages et la dernière évoquent son enfance, formant un arc narratif suggérant une clé de lecture de sa personnalité, dans une séquence très intéressante.

En revanche, ses actions durant la Révolution et l’Empire ne sont pas montrées. De même les dernières années, de 1815 à 1838 sont-elles absentes. Ce choix historique et scénaristique interpelle et force le lecteur à sortir de son confort : nous ne sommes pas dans la biographie classique. Il ne s’agit pas non plus d’une bande dessinée sur le Congrès de Vienne.

« Le Congrès ne marche pas, il danse ! »

En commençant en 1814, avec la dernière entrevue de Talleyrand et de Napoléon, et en s’achevant en 1815 sur la citation de Chateaubriand montrant « le Vice appuyé sur le bras du crime » offrir le trône à Louis XVIII après les Cent jours, l’ouvrage permet de comprendre le génie politique, les manipulations, la finesse d’esprit et l’humour de Talleyrand, ainsi que ses relations au pouvoir, à l’État et à ceux qui l’incarnent, reprenant fidèlement un certain nombre d’aphorismes : « Notre mutuel coup de foudre, à Bonaparte et à moi, survint l’année 1797, à son retour d’Italie »  « La trahison est une question de date » « l’État prime sur celui qui le dirige »…

Son talent diplomatique, et en particulier ses relations avec les Russes sont mis en avant, en faisant la clé de voûte de ses réussites. Mais sa capacité à négocier avec ses ennemis est aussi mise en valeur, face à Fouché, même si le fameux Souper est peu détaillé, et face à Louis XVIII, choix de raison mais sans affinités, et face à l’arrogance duquel Talleyrand échoue en partie : une Charte, mais pas de régime libéral, et non dirigé par Talleyrand.

« Rien ici ne pourra se faire pour la concorde européenne sans prendre en compte les principes du droit public »

Toutes les discussions se font autour d’un repas, d’un jeu de cartes ou d’une danse, conformément à l’image d’Epinal, avec un dessin agréable et dynamique, créant une illusion d’inversion de l’Histoire : Champs de batailles, assemblées, mouvements de rue paraissent accessoires et secondaires, tandis qu’autour des plaisirs se prennent les vraies décisions, dans un cadre complètement informel et sans aucune transparence. Ce décentrement paraît parfois exagéré, mais permet aux auteurs de développer la pédagogie de Talleyrand et sa notion de « droit public », d’équilibre et d’ « Europe des nations ». En revanche, le Congrès de Vienne en lui-même n’étant pas le sujet, les positions anglaises sont peu développées. La toute puissance de Metternich face à l’Empereur François esquisse la gouvernance de l’Autriche, mais sans l’approfondir Ce qui donne au lecteur l’envie de se replonger dans ce moment où « l’Histoire fait date » comme le dirait Patrick Boucheron.

Cet ouvrage est donc une très grande réussite et renouvelle la biographie historique en bande dessinée