Cet ouvrage est constitué des actes d’un colloque consacré à l’adolescence qui s’est tenu en 2013 à la Maison de Solenn (la maison des adolescents de l’hôpital Cochin) sous la direction de Marie Rose Moro, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (Université Sorbonne Paris Cité). Les auteurs des textes sont des praticiens hospitaliers, psychanalyste, psychologue, mais aussi des anthropologues.
Devenir adulte est compliqué car « l’adolescent doit négocier son identité entre ces deux polarités du même et de l’autre, il doit identifier ressemblances et différences pour se construire en tant qu’être autonome et affilié à des mondes. » (p. 17) Cette négociation questionne, dans le cadre du second processus d’individuation (Blos, 1967), le lien de filiation qu’il a avec ceux qui l’ont engendré. Pour François Marty, qui signe ici un texte très convaincant, « une réflexion sur l’adolescence ne peut se contenter d’en rester à cette notion de passage comme un notion qui irait de soi, et invite à fortement se demander si le devenir adulte n’impliquerait pas de brûler les ponts avec l’adolescence : un aller simple pour ce voyage sans retour, les terres adolescentes et enfantines étant abandonnées pour toujours. » (pp. 37-38) Il estime que l’idée de passage entre l’enfance et l’âge adulte ne rend pas compte de la violence du changement qui s’opère à cet âge. Il compare cela à la tectonique des plaques. Certains réussissent mieux ce passage que d’autres.
L’apport des anthropologues est bénéfique car il permet de comparer ce qui se passe dans les sociétés occidentales et ailleurs. Margaret Mead a étudié les rites de passage de sortie de l’adolescence aux îles Samoa. Elle a montré que la crise d’adolescence n’est pas universelle. Dans les sociétés occidentales, les sociologues de la jeunesse ont montré que ce passage était plus difficile à négocier aujourd’hui car les jeunes reçoivent des signaux qui se contredisent (accès plus précoce à la sexualité mais décohabitation tardive en raison du contexte économique). L’anthropologie peut aussi permettre aux éducateurs et aux cliniciens de comprendre ce qui se joue pour les jeunes mineurs isolés étrangers. La non connaissance de la culture d’origine du jeune peut être objet de malentendus (exemple de ce jeune Sikh qui refusait une formation en horticulture, branche qu’il estime réservée aux intouchables) ou d’incompréhension (spasmophilie / possession dans la culture kabyle).
La place du groupe des pairs est centrale dans ce qui se joue à l’adolescence. « Les identifications substitutives permettent à l’adolescent d’être soutenu malgré la distance prise d’avec les parents ; elles assurent alors un sentiment de sécurité, un soutien dans un monde extérieur qui va se substituer aux parents intérieurs que l’adolescent est en train de remettre en question. » (p. 104) Les hikikomoris (Japon) ou les élèves atteints de « phobie scolaire » s’excluent de tout groupe et refusent de fréquenter qui que ce soit (y compris des soignants). Cette relation d’exclusion est présentée ici comme le résultat d’un lien très fort avec la mère (qui couvre les absences de l’adolescent), qui compense les carences affectives dont elle a souffert plus jeune ou dans son couple. Comme le dit si bien Daniel Pennac dans Chagrin d’école (2007, p. 70) avec la métaphore de l’oignon : « C’est un oignon qui entre dans la classe : quelques couches de chagrin, de peur, d’inquiétude, de rancœur, de colère, d’envies inassouvies, de renoncements furieux, accumulées sur fond de passé honteux, de présent menaçant, de futur condamné. Regardez, les voilà qui arrivent, leur corps en devenir et leur famille dans leur sac à dos. Le cours ne peut vraiment commencer qu’une fois le fardeau posé à terre et l’oignon épluché. » Mais, pour éplucher l’oignon, encore faut-il avoir le temps de comprendre dans quel environnement nos élèves vivent !
Les articles sont très abordables et très concrets. Ils réconcilient avec la psychologie de l’enfant découverte à l’IUFM (l’ancêtre des ESPE pour les plus jeunes). S’appuyant sur des cas, les auteurs ne proposent pas particulièrement des ficelles mais aident à comprendre ce qui se passe dans la tête des Thibaud, Amandine ou Samir que nous avons en face de nous !
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes