Dominique Barthélémy, professeur d’histoire médiévale à l’université Paris-Sorbonne, spécialiste d’anthropologie historique, s’est interrogé sur « la mutation de l’an mil » et, ici, fait un état des lieux sur le concept de féodalité. Cet historien fait le constat que, depuis des années, des historiens décrient la notion de féodalité, déconstruisent celles de « fief » et de « vassal ». Néanmoins, il se rend compte qu’on ne peut pas faire évoluer la réflexion historique sur la société féodale en excluant cette notion centrale, qu’est la féodalité. Il compte dans cet ouvrage retracer les éléments qui forment et structurent la féodalité de Charlemagne jusqu’à la guerre de Cent Ans, en les étudiant à travers d’exemples précis. Après un exposé chronologique (des rois carolingiens à la guerre de Cent Ans), cet ouvrage se compose de plusieurs thèmes et documents : des Carolingiens aux Capétiens, des pratiques et acteurs au XIe siècle, la mutation de l’an 1100, et la montée en puissance de la royauté.
La féodalité notion centrale
Dans le premier thème, des Carolingiens au Capétiens, Dominique Barthélémy s’intéresse, tout d’abord, aux débuts de la vassalité à travers des exemples tirés du psautier d’or de Saint-Gall, datant de 900. Il remarque que l’hommage, l’équipement des cavaliers sont représentés d’une manière similaire entre le Xe et le XIVe siècle. L’historien expose les incursions païennes, celles des Vikings, et les discordes chrétiennes, nous donne une vision relativisée de ce moment historique en commentant des écrits d’Abbon de Saint-Germain-des-Près à la fin du IXe siècle et nous livre la légende des Vikings en France encore au XIe siècle. Puis, il s’intéresse aux châteaux, qui n’ont pas été construits pour faire face aux incursions normandes mais ces incursions ont été la cause première de la construction ou de la reconstruction des murs de cités et de bourgades. Les châteaux ont été érigés en fonction des conditions de la guerre féodale, par la suite. A travers trois exemples, le « palais » de Mayenne, le donjon de Langeais et Château-Gaillard, l’historien nous livre les différentes étapes de construction des châteaux : du « palais » du Xe siècle, résidentiel (premier âge féodal) au château non résidentiel, défensif au XIIe siècle, caractéristique d’un « second âge féodal ». La fidélité est vue comme une notion importante de l’époque et Dominique Barthélémy finit ce thème par l’avènement d’Hugues Capet.
Pratiques et acteurs du moyen-âge
Le second thème est sur les pratiques et les acteurs du XIe siècle. L’historien s’intéresse aux dons des seigneurs (aumône de terres, de trésors et de franchises de taxes aux monastères) afin de pardonner leurs péchés et aux contre-dons de moines, qui prient par conséquent pour les seigneurs pécheurs, notamment en étudiant le cartulaire du Mont-Saint-Michel, réalisé entre 1149 et 1155. Au sujet des ordalies, Dominique Barthélémy montre qu’elles ne sont utilisées qu’en cas de situations difficiles à élucider juridiquement : les meurtres ou l’adultère. En général, la cour appelle des témoins, fait appel à un raisonnement et à des débats et même pour les ordalies, la plupart des plaignants préfèrent s’arranger entre adversaires. Puis, l’exemple d’Almodis de la Marche (1020-1071) illustre la marge de manœuvre dont disposent les dames dans la société féodale et les périls qu’elles encourent. Elle participe aux affaires politiques d’un de ses maris, Raimon Bérenger, mais est assassinée par un beau-fils qui a peur d’être déshérité par son père. Enfin, le statut servile est étudié à travers quelques exemples : celui d’Alcher, en 1097, serf devenu vassal d’un seigneur et de la famille d’Otbert, dont le beau-fils est affranchi.
La mutation de l’an mil
Le troisième terme porte sur la mutation de l’an mille. La broderie de Bayeux, conservée depuis le Moyen Age dans cette ville, semble avoir été commandée par le demi-frère de Guillaume le Conquérant, archevêque Eudes (ou Odon), pour prouver que l’Angleterre n’a pas été conquise en 1066, mais légitimement revendiquée et la bataille de Hastings gagnée par le jugement de Dieu. Dans les années 1090, le pape Urbain II est très actif dans la réforme du clergé, laquelle vise à purifier le clergé de sa simonie et de ses travers. La croisade de 1095 offre l’absolution des péchés confessés, mais elle est dirigée par des princes. Les chroniqueurs du XIIe siècle (Suger) affirment que les croisés forcent l’admiration des Sarrasins. Il s’agit de rallier l’adversaire par la séduction, à travers l’exemple d’Usâma ibn Munqidh, qui a rédigé Livre des Enseignements de la vie, vers 1180. Les communes urbaines, associations de gens des villes luttant pour leurs propres intérêts, au XIIe siècle sont dominées par une élite non chevaleresque (ex. Valenciennes, St-Omer, Laon). Un autre trait de l’an 1100 est les chevaliers et la vie de cour. Depuis l’an mil, les moines sont contre la vie de cour mais vers 1100, ils décrient les fêtes de cour (ex. Robert Courteheuse, fils de Guillaume le Conquérant). Une des mutations de l’an 1100 est l’adoubement. Même si, au cours du haut Moyen Age, les élites ont ritualisé le don et la remise des armes pour former un guerrier d’élite, vers l’an 1100, l’adoubement devient une cérémonie importante dans la société féodale.
Montée en puissance de la royauté
La montée en puissance de la royauté, dernier thème, est étudiée à travers les exemples suivants : celui de Louis VI, longtemps considéré comme le roi ayant affirmé la royauté capétienne ; celui des Plantagenêts ; de la croisade des Albigeois ; celui de la légende dorée de St Louis qui marque à la fois l’affirmation de la royauté et l’érosion lente de la féodalité par l’épisode de Coucy en 1259 ; celui de l’importance du sacre royal consacrant le charisme royal ; de la figure de Philippe le Bel, et sur le début de la guerre de Cent Ans, terme inventé par Jean-Marie Moeglin.
Cet ouvrage est très enrichissant car il permet d’avoir les moments clés de la féodalité revus à travers des exemples et l’historiographie. Dominique Barthélémy apporte un nouveau regard sur la notion de féodalité tout en nous montrant les erreurs, les visions du passé et l’interprétation actuelle. Ajoutons que cet ouvrage est un outil majeur pour tous les enseignants voulant actualiser leurs perceptions de la féodalité et de la société féodale, vues en classe de 5e.