Pierre-Yves Beaurepaire : un directeur de publication spécialiste de la Franc-maçonnerie du 18e siècle
Les éditions Armand Colin ont eu la volonté de faire un dictionnaire faisant un panorama historique et international de la Franc-maçonnerie depuis le XVIIIe siècle à nos jours ainsi qu’à travers le monde. Pour ce faire, elles ont fait appel à Pierre-Yves Beaurepaire pour diriger cette entreprise qui a constitué autour de lui une équipe internationale de 28 universitaires.
Pierre-Yves Beaurepaire, né en 1968, soutient sa thèse en 1997 (à 29 ans) sous la direction d’Alain Lottin, sur L’Autre et le Frère. L’Etranger et la franc-maçonnerie au XVIIIe siècle, qui a obtenu le prix Le Monde de la recherche universitaire. Il a présenté son Habilitation à Diriger des Recherches (HDR), en 2002 (à 34 ans). Depuis 2003, il est professeur d’histoire moderne à l’Université Nice Sophia Antipolis (où il a dirigé le Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine). Il est également membre de l’Institut Universitaire de France (IUF) (2007-2009 ; 2012-2015). Depuis 2009, il coordonne le programme ANR CITERE (Circulation, Territoires et Réseaux en Europe de l’Age classique aux Lumières). Spécialiste d’histoire culturelle de l’Europe des Lumières, il a enseigné l’histoire de la Franc-maçonnerie à Bruxelles (ULB), San Francisco et Tokyo. Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages parmi lesquels L’Europe des francs-maçons XVIIIe-XXIe siècle (Belin, 2002), Le mythe de l’Europe française. Diplomatie, culture et sociabilités au temps des Lumières (Autrement, 2007) et La France des Lumières 1715-1789 (Belin, 2011).
Le dictionnaire le plus récent sur la Franc-maçonnerie en 77 entrées
Ce dictionnaire propose de faire découvrir au lecteur la réalité d’un univers source de mythes, légendes et rumeurs. Servi par une approche scientifique rigoureuse, ce volume permettra au lecteur de saisir au plus près la nature complexe de la Franc-maçonnerie. Il offre le portrait exact et vivant de cet univers en le replaçant systématiquement dans son contexte historique et sociologique. Depuis le XVIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui, de l’Europe aux confins de l’Asie, de l’opéra au jazz, des encyclopédies à la bande dessinée, se déroule ici le tableau éclairant et original de la Franc-maçonnerie.
Cet ouvrage de 332 pages comprend une introduction au dictionnaire (de 4 pages et rédigée par Pierre-Yves Beaurepaire), 77 entrées (comportant des renvois à d’autres articles du dictionnaire et une courte bibliographie), une bibliographie sélective (de 4 pages), une présentation des auteurs (de 4 pages), des crédits photographiques, les sources de l’iconographie (qui est dans le corps du texte) et, enfin, une table (alphabétique) des entrées.
Dans son introduction, Pierre-Yves Beaurepaire justifie la publication de ce nouveau dictionnaire de la Franc-maçonnerie. En fait, le projet intellectuel à l’origine de cette entreprise éditoriale a pour objet que « la Franc-maçonnerie est depuis trois siècles un formidable observatoire des sociétés occidentales, de leurs mutations, de leurs tensions, de leurs rapports au politique, au religieux, des cultures qui émergent, se structurent ou au contraire s’éteignent. (p. 5) ».
C’est dans l’interaction entre la Franc-maçonnerie et son environnement, dont elle se démarque sur le mode de l’opposition entre le sacré et le profane, mais avec lequel elle est sans cesse obligée de se positionner, que réside la richesse du fait maçonnique comme « fait social » total. Pourtant, selon Pierre-Yves Beaurepaire « il fallait décloisonner les approches disciplinaires et rompre finalement avec la « maçonnologie » qui asphyxie depuis des décennies les études sur la Franc-maçonnerie en les enfermant dans le cercle étroit du discours des initiés adressés aux seuls maçons, leur faisant à peu près manquer toutes les opportunités d’intégrer de plain-pied les chantiers de l’histoire culturelle des pratiques sociales, des trajectoires individuelles et des réseaux sociaux (p. 5) ».
Pour ce faire, Pierre-Yves Beaurepaire a délibérément constitué une équipe de 28 auteurs internationaux, tous universitaires, tous spécialistes reconnus des thèmes et des articles qu’ils ont rédigés. Ont ainsi contribué au dictionnaire des chercheurs venus du monde entier pour s’associer et former une équipe pluridisciplinaire. Le jeu des renvois entre articles vise à permettre une circulation thématique à travers l’ouvrage et de mettre en valeur à la fois les singularités comme les résonances. Les compléments bibliographiques en fin d’article offrent au lecteur la possibilité de prolonger la lecture et l’expérience.
Ce dictionnaire n’est pas encyclopédique. On trouvera dans les titres cités plus haut et dans la bibliographie maçonnique réunie en fin d’ouvrage, l’histoire évènementielle des dizaines d’obédiences qui, à travers le monde, se sont partagé ou disputé les affiliations maçonniques, comme celle des différents rites, confidentiels ou largement répandus. De même, ce dictionnaire ne propose pas une collection d’histoires nationales de la Franc-maçonnerie, rompant ainsi avec une tendance lourde de l’historiographie maçonnique (à l’exception de l’Espagne et de l’Italie afin d’éclairer les questions centrales de la politisation de l’Ordre maçonnique dans ces deux pays marqués par les fascismes).
Lorsque ce dictionnaire donne toute sa place à la musique en lui consacrant plusieurs articles, ce n’est pas pour payer tribut symbolique aux grands musiciens francs-maçons (avec des figures imposées comme Mozart) mais au contraire pour se demander si l’on peut parler à bon droit d’opéra maçonnique, étudier la manière dont les musiciens professionnels sont considérés dans des loges où les amateurs, d’extraction sociale supérieure, dominent. Il s’agit également d’analyser la relation à la fois riche et complexe, forte et ambiguë que le jazz a nouée aux États-Unis avec la Franc-Maçonnerie. Pour ce faire, Pierre-Yves Beaurepaire a fait appel à des historiens de la musique et à des musicologues spécialistes de ces questions et de leur demander de présenter de manière synthétique le dernier état de la recherche.
Ce dictionnaire ne présente pas non plus la galerie de portraits choisis et attendus des figures tutélaires dont l’Ordre maçonnique a peuplé son panthéon et son musée imaginaire. Seule une poignée de portraits est proposée et toujours en termes d’archétype – connu ou non – : La Fayette comme figure du héros maçonnique et des deux mondes mais aussi comme faisant le pont entre la Maçonnerie d’Ancien Régime et la Maçonnerie libérale, en cours de politisation, du premier XIXe siècle ; Alban Stolz, figure de l’antimaçonnisme allemand du 19e siècle, méconnue du lectorat francophone, à titre d’exemple.
Enfin, et surtout ( ?), Pierre-Yves Beaurepaire a eu la volonté d’offrir en des termes accessibles au profane et au non spécialiste, les derniers résultats de la recherche scientifique. En effet, Pierre-Yves Beaurepaire a opté pour une équipe restreinte en demandant à chaque auteur d’écrire dans son domaine de spécialité et dans sa langue maternelle afin d’éviter toute déperdition d’informations et de nuances d’analyse. L’iconographie, pour l’essentiel inédite, a été réunie et commentée par Dominique Jardin. Jérémy Guedj et Silvia Marzagalli ont assuré la traduction des textes rédigés en langues étrangères. Tous ces objectifs sont atteints lorsque nous lisons des articles suivants : Bande dessinée (pp. 31-33) par Pierre-Yves Beaurepaire lui-même, Manipulation politique : la loge P2 (pp. 161-162) par le professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Florence Fulvio Conti (italien), Républicain des lettres Bertin du Rocheret (pp. 243-244) par le professeur d’histoire à Trinity University (San Antonio, Texas) Kenneth Loiselle (américain), etc…
Un ouvrage de référence sur l’univers franc-maçonnique appelé à faire date ?
En guise de conclusion concernant ce Dictionnaire de la Franc-maçonnerie aux éditions Armand Colin, il arrive après une suite de dictionnaires récents sur la Franc-maçonnerie, en France. Il faut citer l’incontournable Dictionnaire de la Franc-maçonnerie de Daniel Ligou (Paris, PUF, 1987, 1376 pages ; édition revue et augmentée, 2006, Collection « Quadrige », 38 €). Plus récemment, il faut mentionner l’ouvrage collectif d’Eric Saunier (intitulé « Encyclopédie de la Franc-maçonnerie », des éditions de La Librairie Générale Française (Paris, LGF, 2000, 982 pages, Collection « La Pochothèque » dans « Le Livre de Poche », 27 €) puis celui de Monique et Jean-Marc Cara « Dictionnaire universel de la Franc-Maçonnerie » des éditions Larousse (2011, 719 pages, Collection « A présent », 28 €). En faisant appel à l’historien Pierre-Yves Beaurepaire, les éditions Armand Colin avait pour ambition de faire un ouvrage accessible au non spécialiste sur l’univers initiatique de la Franc-maçonnerie. À nos yeux, l’ouvrage collectif de Pierre-Yves Beaurepaire est complémentaire à celui d’Eric Saunier et répond parfaitement à son objectif de vulgarisation de qualité universitaire destinée au grand public.