Ecrire pour la jeunesse et sur la guerre 14-18. Le défi est compliqué à plusieurs titres. Tout d’abord, comment exister dans une telle fièvre de parution ? Ensuite, et c’est sans doute une condition pour se distinguer, quel angle choisir ? Enfin, comment parler de la guerre à un jeune public ? Un ouvrage s’impose franchement, c’est celui de Sophie Lamoureux, déjà auteur notamment de nombreux ouvrages dans la collection « à petits pas », et qui propose une approche originale et réussie. Disons le d’emblée, le lecteur, quel que soit son âge, est entrainé dans sa lecture.

Sur la piste d’un célèbre inconnu

La très bonne idée de départ, c’est d’incarner la guerre à travers la figure du soldat inconnu en se demandant qui il pouvait être. Cela permet à l’auteur d’aborder de nombreux points en se demandant par exemple quel âge il pouvait avoir ? Comment a-t-il tenu ? Cela permet d’aborder à partir de ce cas des généralités pour tenter d’élucider l’identité de ce soldat. Chaque grande partie est structurée autour d’un certain nombre de mots clés. Une introduction accrocheuse, soulignée par les jeunes lecteurs, donne le cadre nécessaire sur la guerre et, en même temps, nous interpelle déjà sur ce soldat. Le jeune lecteur souligne la clarté des explications. On trouve quelques références bibliographiques à la fin. L’ouvrage est structuré en trois parties : état civil, l’inconnu dans la guerre, la fin de la guerre. Ce livre petit format se compose aussi à chaque fois d’un document sur la guerre à gauche, très souvent un document d’époque, et de textes sur la droite. Les pages ne sont pas remplies intégralement et offrent plusieurs sous-titres pour entrer. L’alternance texte et images est bien pensée et facilite la lecture. On y retrouve à la fois des photographies, des cartes postales ou encore des unes de journaux.

Qui était ce soldat ?

Cette question est déclinée en cinq aspects : nationalité, prénom, âge, profession et état matrimonial. Sophie Lamoureux essaye donc d’imaginer qui il pouvait être et, en même temps, elle dit beaucoup sur les soldats. Ainsi, la question de la nationalité n’est pas la plus simple, et elle rappelle les précautions prises pour éviter de choisir un soldat inconnu qui se serait révélé finalement allemand. En outre, on voulait choisir quelqu’un de métropole et non des colonies. Au passage, le jeune lecteur apprend quelques informations essentielles sur les troupes coloniales. 136 000 tirailleurs sénégalais se battirent en France et 36 000 y sont morts. L’auteure convoque parfois des travaux assez précis du moment qu’ils peuvent aider à préciser le portrait du soldat. En effet, selon les régions, les taux de mortalité n’étaient pas les mêmes. Sur 10 soldats français tués, un était Breton. L’auteur ne s’arrête pas là et précise pourquoi. La Bretagne était la région la plus jeune de France, parmi les plus peuplées et les plus rurales : trois « caractéristiques qui lui ont été fatales ». Sophie Lamoureux réutilise le même genre d’approche pour chercher à élucider son prénom et son âge. Elle cite deux historiens qui estiment son âge à environ 28 ans. Du coup, cela fait s’interroger sur son état matrimonial. « S’appelait-elle Marie, Jeanne ou Marguerite ? On ne le sait pas, mais le Soldat inconnu était sûrement fiancé ou peut-être même marié, comme la moitié des Français tués ». Rien qu’à travers ce genre de petites notations, Sophie Lamoureux réussit à donner vie à cet inconnu célèbre et, au-delà de lui, aux soldats de la guerre.

Au cœur de la guerre

Quel pouvait être l’état d’esprit de ce soldat au moment où le combat commence ? L’auteure précise bien le mythe, désormais bien déboulonné, de la fleur au fusil. Elle rappelle aussi combien sa formation à l’école a pu diffuser chez lui une certaine image de l’Allemand et de la revanche de façon générale. Ce soldat se retrouve en tout cas au cœur d’une guerre où les mitrailleuses tirent jusqu’à 600 balles par minute à 4 kilomètres de distance. Elle rappelle aussi que plus de 80 % des morts sont dus à l’artillerie. La chronologie est bien précisée avec l’effroyable mortalité du début de la guerre : 27 000 morts pour la journée du 22 août pour la France ! Elle imagine ensuite qu’il a pu combattre à Verdun. Le jeune lecteur apprendra au passage qu’il y eût là 1 million de morts, disparus ou blessés français et allemands, et 60 millions d’obus tirés par les deux artilleries lourdes.
Un des passages les plus intéressants est consacré à cette question, apparemment simple, mais qui a fait depuis longtemps des ravages dans l’historiographie française, à savoir comment a-t-il tenu ? Elle développe un faisceau de raisons et le texte est à la fois très clair et très complet. Est-ce la haine de l’ennemi, la volonté d’afficher son courage, le fait d’avoir un groupe de copains, l’importance du courrier, de la permission, ou encore l’alcool ? Peut être d’ailleurs n’a t il pas tenu d’où le passage suivant sur « et si l’inconnu avait dit non ? »

Après la guerre

Comment est-il mort ? Sophie Lamoureux énonce les chiffres simples et bruts de ce conflit. Elle aborde également la question de la mémoire de la guerre en rappelant la fièvre qui entoura la frénésie de construction de monuments aux morts. En tout cas, ce soldat inconnu, choisi dans des circonstances qu’elle décrit, est ensuite objet et enjeu de mémoire. De Gaulle se recueillît sur sa tombe à la Libération et en mai 68, la vindicte des étudiants s’y exprima. L’ouvrage se termine par un poème de Guillaume Apollinaire. Ensuite, et peut-être pour donner finalement un visage, une matérialité à ce soldat dont l’identité n’est pas établie, l’auteure propose quelques pages de la correspondance d’un soldat et de sa femme. Ce passage conclut habilement l’ouvrage.

Cet ouvrage est une réussite. Bien pensé dans la façon qu’il choisit d’aborder la guerre, il profite de cette intelligente entrée pour délivrer des faits et des connaissances sur la guerre. L’ouvrage est conseillé dès 10 ans. Si vous n’aviez qu’un seul livre à offrir, ou à faire lire sur le sujet, ne cherchez pas plus loin, c’est celui-ci ! Un livre lu et approuvé par petits et grands.

Jean-Pierre Costille, avec l’aide de Clara © Clionautes