D’emblée, la perception du contexte intérieur bénéficie d’une mise en perspective nette et précise. Face à l’invasion étrangère, les dispositions prises par Napoléon révèlent l’inspiration qu’il puise dans le modèle de la patrie en danger de 1793. Si la menace militaire est la même, en revanche le désarroi moral de l’opinion et les enjeux divergent. Le désamour des élites fragilise les appuis dont l’Empereur affaibli peut disposer. En outre, les ressources de la conscription et les prélèvements fiscaux arrivent à saturation. Il est impossible de régénérer suffisamment les troupes impériales anémiées et en nette infériorité numérique. Tout cela fragilise les possibilités de contenir la marée humaine des armées ennemies qui commencent à pénétrer le « pré-carré » national dès la fin du mois de décembre 1813.
Les mesures de mobilisation, l’exposé des opérations militaires, le tableau des batailles et l’évolution des choix stratégiques, tant côté français que côté allié, sont récapitulés avec clarté, sur une trame déjà bien balisée. Si le sort de Napoléon se joue militairement dans le périmètre vital du centre-est de la France, avec la Champagne pour épicentre et Paris pour objectif, le professeur Boudon met également en lumière les périls et les enjeux non négligeables qui pèsent sur les théâtres secondaires du Lyonnais, d’Italie, et du Sud-Ouest, pour ne citer que les plus cruciaux. Dans le sillage de l’historiographie récente, la fresque des opérations s’élargit à bon droit au ressenti des combattants et aux souffrances des civils. Cela permet ainsi de prendre pleinement la mesure des sacrifices consentis dans une lutte sans perspective. Car, malgré la maestria manœuvrière de l’Empereur et les actes d’héroïsme de ses fidèles, le ressort est brisé. La lassitude morale des populations est plus forte que leur instinct patriotique.
La situation est d’autant plus désespérée que la détermination des alliés à renverser Napoléon ne cesse de s’affermir, même si la solution des Bourbons ne s’impose pas d’emblée. Outre le balancier des péripéties militaires, entre également en compte l’obstination diplomatique de l’Empereur, incapable de faire la part du feu dans les négociations de paix de la dernière chance, qui se prolongent jusqu’au congrès de Châtillon. La dégradation de la situation incite les noyaux royalistes à sortir de leur passivité attentiste, secondés par les opportunistes les plus habiles. La prise de Paris enterre les ultimes et fragiles espérances de perpétuer le régime impérial par-delà la défaite. Or, le champ politique intérieur n’offre pas un champ infini d’alternatives. Début avril, Talleyrand a ainsi beau jeu d’orchestrer depuis Paris la partition de la déchéance et de la transition monarchique, tandis que Napoléon esseulé se résigne à l’abdication de Fontainebleau. L’exposé, toujours très clair, ne s’écarte pas sur cette thématique des acquis bien établis de l’historiographie traditionnelle. Les attendus de cette dernière ligne droite pourront donc être utilement nuancés en recourant à la toute récente étude de Thierry Lentz sur Les Vingt jours de Fontainebleau : la première abdication de Napoléon (Perrin).
En complément, quelques cartes permettent de visualiser le déroulement des opérations. De même, la copieuse bibliographie actualisée qui clôture le volume constitue une parfaite base documentaire. La maîtrise parfaite de son sujet par Jacques-Olivier Boudon fait de ce livre très pédagogique et très structuré un excellent manuel de référence. Le lecteur averti, le Napoléonien néophyte ou le spécialiste de la période, tous puiseront dans cette mise au point impeccable un savoir solide et rigoureusement mis en perspective. Car, comme le soulève avec finesse la conclusion, c’est dans cette dernière campagne à la fois éblouissante et désespérée que commence à se construire la légende prométhéenne de l’Aigle, vaincu par les hommes mais chéri par l’Histoire.
© Guillaume Lévêque