Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, les enjeux mémoriels liés à l’histoire de ce conflit ont alimenté autant de débats que de controverses. Tramor Quemeneur, Ouanassa Siari Tengour et Sylvie Thénaut ont réuni des historiens et des chercheurs de provenances multiples pour proposer ce dictionnaire de synthèse qui fera date.

Un évènement éditorial

Il est évidemment difficile de rendre compte de la richesse d’une telle entreprise. Au niveau formel, on peut signaler que cet ouvrage contient en plus de toutes ses entrées, un glossaire des termes arabes, une table alphabétique des entrées, quelques cartes, une chronologie de quarante pages ainsi qu’une bibliographie, un index des personnes et des lieux, tous éléments qui en facilitent la consultation et l’usage. Après chaque article, on trouve des indications bibliographiques spécifiques.

Les acteurs de l’histoire

On trouve évidemment l’évocation de multiples acteurs de cette histoire, mais aussi d’intellectuels ou d’historiens qui ont écrit sur le conflit. Ainsi, une entrée est consacrée à Ferhat Abbas qui n’est « pas tant l’homme de la contradiction que du pluralisme ». De nombreux combattants algériens sont évoqués sous forme de fiches biographiques. L’ouvrage s’intéresse donc aussi aux historiens comme Charles-Robert Ageron. Celui-ci a formé des générations d’historiens et, si on peut lui reprocher son attachement unique aux archives, il n’en demeure pas moins une référence à connaître. Chaque lecteur pourra trouver de solides références pour mieux connaître les protagonistes de la guerre d’Algérie.

Les inégalités du système colonial

L’agriculture des musulmans reste séparée et confinée géographiquement sur les terrains que leur laisse la colonisation, c’est-à-dire souvent des versants à fertilité réduite. La santé est un des chapitres qui illustre le mieux les inégalités de traitement qui existaient. De 1830 à 1900, le seul progrès spectaculaire en matière de politique sanitaire concerne le paludisme. La politique de santé ensuite resta segmentée en trois éléments : les hôpitaux militaires, les hôpitaux civils destinés aux Européens et « l’assistance médicale aux indigènes ».

Les grands évènements

L’ouvrage consacre évidemment des entrées aux événements les plus célèbres de la guerre d’Algérie. Il y a donc des entrées sur « Charonne » ainsi qu’un sur la mémoire de cet épisode. Le 8 février 1962 a longtemps été une date emblématique de la puissance du mouvement ouvrier et de la répression d’Etat. Parmi les autres entrées à signaler, l’une porte sur les accords d’Evian ou sur le 1er novembre 1954. Un article se focalise sur la journée du 13 mai 1958.

Les appelés

L’article « Service militaire » rappelle qu’au moment où commence la guerre d’Algérie, il est une institution bien établie. Les classes d’une durée normale de quatre mois furent alors réduites à quatorze semaines. Certains appelés furent directement incorporés en Algérie. Jean-Charles Jauffret a mené une étude auprès de 1000 témoins entre 1994 à 2016. Le sentiment dominant pour les appelés du contingent est un élan de solidarité entre copains. Le sentiment du devoir n’exclut pas pour autant le sentiment de se sentir piégé. A leur retour, les appelés sont une « multitude de solitudes » selon l’expression de Philippe Labro.

Le bilan humain du conflit

Le bilan humain fait toujours l’objet de controverses. On peut l’estimer du côté algérien entre 400 000 et 500 000 morts, mais se pose également la question des blessés pour lesquels on n’a aucune évaluation. Du côté français, les chiffres sont plus clairs avec 28 000 soldats morts sur les deux millions qui ont été envoyés durant le conflit. Les auteurs précisent également qu’il faut parfois examiner avec prudence le vocabulaire sans cesse répété. Ainsi à propos de ceux qu’on appelle en réalité improprement les « rapatriés ». En effet, il s’agissait de personnes nées en Algérie qui ne revenaient donc pas sur leur sol natal. Le mouvement a néanmoins concerné près de 700 000 personnes en 1962. D’autres articles évoquent la question des viols des femmes ou de la torture.

Des thématiques variées

Le dictionnaire propose des angles multiples. Parmi eux, on peut pointer une entrée sur la question des essais nucléaires ou une autre sur la géographie de la guerre. On a également des éclairages sur « femme et FLN » ou encore « genre et guerre ». Sur les aspects liés au travail, le dictionnaire évoque notamment la place de l’industrie et montre l’importance du phosphate. On lira aussi avec profit ce qui est dit sur les programmes scolaires en France et en Algérie autour de ce conflit.

Une guerre de la communication

Plusieurs entrées du dictionnaire permettent de faire le point sur cet aspect du conflit. On peut citer « édition, éditeurs » où on remarque qu’au final l’édition française sort profondément transformée de la décolonisation en général. Entre 1954 et 1962, la photographie fut elle une arme comme une autre utilisée dans les deux camps dans le cadre d’une guerre des images. Celle-ci était marquée par une profonde inégalité de moyens, tant en termes de production que de diffusion. Le paradoxe est que « commencée sous le signe de l’inégalité, la guerre des images fut finalement remportée par les Algériens ». La guerre d’Algérie fut aussi une guerre de l’écrit entre différentes revues.

Parler de la guerre autrement

Une entrée est consacrée à cinéma et guerre d’Algérie et une autre aux bandes dessinées. Les films français sur le conflit forment un corpus plus important que ce qu’on pense. Ils sont pourtant souvent présentés, comme l’a montré Benjamin Stora, comme des «  premières fois », signe peut-être d’une amnésie volontaire par rapport au souvenir du conflit. La personnalité de René Vautier est évoquée. « Avoir vingt ans dans les Aurès » est le point de départ de la mise en scène fictionnelle du conflit. Deux entrées sont dédiées aux témoignages avec une entrée pour la France et une pour l’Algérie.

Le vocabulaire de la guerre

Ce conflit, comme de nombreuses guerres, a aussi généré son vocabulaire, encore enrichi par la longueur de la période de colonisation. On lira un article « bleuïte », « corvée de bois », « gégène » ou « nostalgérie » mais aussi un sur les « ratonnades ». La « bleuïte », c’est le nom donné à une campagne de retournement de militants nationalistes, d’infiltration et d’intoxication du FLN lancée en 1957 durant la bataille d’Alger par les services secrets français. Quant au mot « nostalgérie », le mot est attesté bien avant la fin de la guerre et le départ massif des Européens. La première mention date de 1867.

Le contexte international

La guerre d’Algérie est replacée dans son contexte international au moyen de multiples entrées. A ce titre, on peut citer les entrées « Amérique latine », « Bandoeng », « Chine » ou encore « conférences africaines ». Il y a aussi des articles sur la « guerre froide », « l’internationalisation » ou sur le « monde communiste » qui permettent d’envisager cette dimension essentielle du conflit.

Après la guerre

L’entrée « coût de la guerre » s’intéresse à la partie économique et note que ce conflit a pesé lourd sur les finances publiques et a ralenti l’effort de modernisation de la France au moment où celle-ci s’ouvre à la concurrence européenne ». Qualifier ce qui s’est passé pose la redoutable question des termes à employer. Sylvie Thénault relève ainsi que la qualification de « crime contre l’humanité » est discutée du point de vue de ses usages politiques et de ses conséquences. Tramor Quemeneur analyse la question des lieux de mémoire en France. La question reste sensible comme en témoigne le fait qu’en février 2022, la sculpture en hommage à Abdelkader a été vandalisée à Marseille, juste avant son inauguration.

Ce compte-rendu n’épuise évidemment pas la richesse d’un tel ouvrage qui propose de multiples entrées, de riches synthèses et des éclairages plus novateurs. Il trouvera sa place dans tout laboratoire d’histoire-géographie, dans un établissement scolaire ou dans la bibliothèque de toute personne intéressée par le sujet, comme référence et outil de travail à la fois.