« Il y a un siècle, Célestin et Élise Freinet posaient les jalons d’une démarche pédagogique exceptionnelle. Dans un monde meurtri par la Première Guerre mondiale, marqué par l’injustice sociale et où régnait une pédagogie de la soumission et de la concurrence, ils ont voulu construire une « école du peuple », conjuguant au quotidien, et dans les apprentissages eux-mêmes, l’émancipation et la coopération.

Tout au long de leur vie, ils ont approfondi leur projet, précisant leurs analyses et élaborant de nouvelles « techniques ». Ils l’ont fait au sein d’un Mouvement, en relation avec de nombreux maîtres d’école, en France et dans le monde. Ils l’ont fait avec la volonté de faire des enseignantes et des enseignants de véritables acteurs éducatifs, capables de préparer avec leurs élèves une société plus solidaire.

Depuis, de nombreux militants pédagogiques ont poursuivi inlassablement ce travail, fidèles aux principes de Freinet mais toujours inventifs pour leur mise en oeuvre. Ils sont à l’origine de ce Dictionnaire. Un dictionnaire et non un traité dogmatique, avec plus de 150 définitions associées à des propositions et des exemples, dans lesquelles on pourra naviguer pour enrichir sa réflexion et sa panoplie méthodologique.

Chaque article est illustré par des pratiques de classe.

Cet ouvrage indispensable est une boîte à outils pour penser et agir aujourd’hui, dans un monde où la « Pédagogie Freinet » est plus que jamais d’actualité. Car, comme il y a un siècle, le choix est bien aujourd’hui entre un enseignement où l’on apprend pour se soumettre et un enseignement où l’on apprend pour se libérer, entre une école qui sépare les élus des exclus et une école où l’on travaille pour réussir ensemble ».

Propos de l’éditeur

Chacun des cent cinquante-quatre articles répond à un modèle identique, ce qui en facilite la lecture. On trouvera d’abord une définition, du point de vue de la pédagogie Freinet. Celle de la géographie, par exempleLes articles sur l’histoire et la géographie semblent avoir été rédigés par Hélène de Casabianca, professeur au collège Jean-Jaurès, à La Ciotat., montre en quoi elle se distingue de l’enseignement dominant : elle « relève de l’étude du milieu au même titre que l’histoire, les sciences ou la technologie. [Cet enseignement] s’efforce de partir des représentations et des questionnements des enfants ». L’histoire « tente de s’intéresser à la pratique sociale de référence qui est celle des historiens en permettant aux élèves d’accéder à l’analyse de documents, à la problématisation, à la critique des sources et des faits, à l’étude de terrain. [Son enseignement] s’efforce de partir de l’expression enfantine orale ou écrite (remarques, textes, questionnements) ».

À la définition succède un historique : comment le mouvement Freinet a-t-il abordé l’enseignement de l’histoire et de la géographie (pour prendre ces deux disciplines), et comment cela a-t-il évolué ? On voit au passage quels outils pédagogiques ont été élaborés à ces fins. Ce sont les cartes, les photographies, les films, des gabarits pour réaliser des croquis, les livrets de la Bibliothèque du travail (et les BT2, pour le second degré). Mais ce sont aussi les réflexions autour des pratiques de classe, échangées au sein du réseau du mouvement.

On aura ensuite des exemples. En géographie, on a ainsi l’étude de la mondialisation en classe de Quatrième, au collège de La Ciotat, avec la production d’un travail libre (texte de fiction, documentaire, dessin, etc.). En histoire, c’est la même classe et une Sixième du même établissement. Il s’agit pour les Quatrièmes de faire des enquêtes familiales sur les traces de la guerre : des témoignages, des documents (la dernière de l’un des fusillés de Châteaubriant, en octobre 1941). Pour les Sixièmes, on a la relation d’un travail de création, qui, en l’occurrence, a pris la forme d’un texte de fiction concernant un Homo erectus découvrant le feu.

On a une réflexion sur la « cohérence pédagogique » : quels liens établir avec d’autres dimensions (maîtrise de l’expression, de la langue…), sans oublier les aspects sociaux. Un travail individuel n’aura évidemment pas le même impact qu’un travail fait en groupe, voire un travail collaboratif fait au sein de la classe ou même avec des élèves d’autres établissements. On insiste d’ailleurs sur l’expérimentation nécessaire dans la construction pédagogique : s’interroger, formuler des hypothèses, les tester, avant d’élaborer des réponses mieux assises.  Ce qui est fait doit avoir un sens, sans prendre la forme d’une restitution. C’est l’une des bases de la « méthode naturelle », expression que l’on applique plus facilement à la lecture, mais qui peut parfaitement être transposé dans nos disciplines.

Enfin, l’article propose une approche bibliographique. On trouvera d’ailleurs toutes les références nécessaires en fin de volume

On pourra s’étonner de ne pas trouver d’entrée consacrée spécifiquement à l’éducation civique ou à l’enseignement moral et civique. Mais on pourra se satisfaire de nombreux autres articles : « droits de l’enfant », « citoyenneté », « émancipation », sans oublier « adulte », « responsabilité », « écoute », ou « pédagogique sociale », etc. Cela doit inciter le lecteur à ne pas s’en tenir à une entrée en particulier, mais à avoir la curiosité d’étendre son regard. On pourra regretter qu’il n’y ait pas de corrélats en fin d’article ; mais la table des matières (p. 5) sera d’une aide suffisante.

On pourra aussi déplorer que l’approche privilégie largement le premier degré. Ainsi, l’utilisation du mot « enfant » à la place d’ « élève » pourra surprendre, mais il doit inciter à réfléchir à leur sens, et à la place que chacun occupe dans un groupe. Par ailleurs, on apprendra beaucoup des pratiques du premier degré, qu’il est souvent possible de transposer au second degré ; le fait d’être spécialisé dans une matière peut être ici un handicap, mais il incitera à se rapprocher d’autres collègues pour construire une approche pluri-disciplinaire et un véritable travail d’équipe. Enfin, si la réflexion sur la pédagogie Freinet en collège et en lycée peut paraître insuffisante, elle est en plein développement. On la trouve au sein de certains  groupes régionaux (Île-de-France, Nord-Pas-de-Calais, par exemple), des rassemblements nationaux. On la rencontre également au sein du laboratoire de recherche coopérativeLaboratoire auquel collabore Hélène de Casabianca. et des publications de l’ICEM (Institut coopératif de l’école moderne), de la liste de diffusion Freinet Second degré, etc. Bref, il y a de quoi faire, et chacun peut y trouver sa place.


Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes