« Des premiers temps du Moyen Âge, on ne retient souvent que l’idée vague de grandes « invasions barbares ». Si les tribus germaniques se sont effectivement regroupées sous de nouveaux noms (Francs, Goths, Alamans) pour affronter l’Empire romain, ces mouvements de populations bouleversent surtout la répartition des forces en Occident. S’ouvre une période de réformes juridiques et d’échanges commerciaux fructueux. Pour éclairer ces quatre siècles mouvementés, les historiens Augustin Thierry et Gustaf Kossinna mènent l’enquête auprès des grandes personnalités historiques de l’époque. Politiquement incorrecte et délicieusement critique, cette enquête savante et récréative fait exploser les mythes solidement ancrés dans nos esprits depuis notre tendre enfance… ». Propos de l’éditeur
La série de l’Histoire dessinée de la France se poursuit, et c’est heureux. Le médiéviste Bruno Dumézil s’est associé au dessinateur Hugues Micol pour ce quatrième volume, qui couvre les quatre siècles qui vont de la fin de l’Empire romain d’Occident (Ve s.) aux Pipinnides (VIIIe s.).
Comme le veut le principe mis en place depuis le départ, des historiens sont plongés dans les temps qu’ils ont étudié. Ici, le Français Augustin Thierry, l’Allemand Gustaf Kossinna, le Belge Henri Pirenne confrontent leurs points de vue sur le Bas Moyen Âge. Pour autant, l’historiographie contemporaine n’est pas oubliée, et c’est donc une synthèse qui nous est proposée sur une époque assez difficile à approcher. Comme on le lire, l’archéologie se révèle être la source la plus importante, qui permet de relativiser les rares textes dont on peut disposer et les œuvres picturales plus récentes, dont il nous est donné de mesurer toute la subjectivité. C’est ainsi que l’on voit surgir Grégoire de Tours (p. 34) et son Histoire des Francs, (en réalité les Dix livres d’Histoire) contredit par son contemporain Venance Fortunat (auteur du VIe s. et évêque de Poitiers).
Le volume se découpe en plusieurs parties : les barbares (p. 3) ; de l’Empire aux royaumes barbares (p. 12) ; Clovis (p. 26) ; la violence mérovingienne (p. 40) ; commerce et échanges (p. 52) ; les rois fainéants (p. 66) ; omnia quod de Merovingiis scire voluetis sed non quaere auderitis (p. 80) ; et un épilogue sur le début du Moyen Âge (p. 98). C’est à partir de la page 110 que la bande dessinée fait place à la véritable synthèse historiographique.
L’intérêt de l’ensemble de l’ouvrage est, comme l’a promis le volume introductif, de renverser les clichés colportés sur l’Histoire de la France. On y voit la collaboration entre des peuples germains et l’Empire, sans négliger pour autant les antagonismes. On voit aussi que le trafic commercial en Méditerranée se poursuit, même si la Baltique et la mer du Nord tendent à prendre beaucoup plus d’importance. On perçoit comment les récits médiévaux ont privilégié certains souverains au détriment d’autres (les « rois fainéants »), pour servir des intérêts bien sentis (les évêques de Reims qui mettent en avant Clovis pour garder le contrôle sur le sacre), tout comme l’opposition entre « barbares » et Romains (voire entre certains peuples germains et d’autres) a été une construction encouragée par le nationalisme des XIX et XXe s. Que le mythe de brutales « invasions » est en réalité le fait de quelques milliers d’hommes, dont la période d’extension a été longue. Etc.
Comme on l’a déjà affirmé pour les précédents volumes, le parti-pris éditorial fait encore ses preuves, tant il permet de satisfaire un très large public. Que l’on se contente de la bande dessinée, et on progressera dans l’approche de ces temps lointains de façon plaisante et intelligente. On pourra la développer ensuite avec la mise au point historiographique, qui approche également des précisions sur les personnages rencontrés, mais aussi avec la bibliographie proposée en fin de volume. « Les Temps barbares » confirment à quel point cette Histoire dessinée de la France doit être présente dans tous les CDI.
Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes