Un dictionnaire de l’historien, et non des historiens

Dirigé par le contemporéaniste Jean-François Sirinelli et par la médiéviste Claude Gauvart, ce Dictionnaire de l’historien comporte 355 entrées rédigées par près de 200 auteurs, presque tous universitaires et spécialistes reconnus de leur champ de recherche. D’inégale longueur et d’inégale densité, les notices constituent souvent de commodes mises au point scientifiques et historiographiques sur des notions jugées essentielles, assorties la plupart du temps d’utiles indications bibliographiques : impérialisme, Eglise, mode, médias, nazisme, cultures politiques, médias font ainsi l’objet d’une entrée. Ce Dictionnaire invite également à se pencher sur l’épistémologique sur l’histoire en explorant des notions telles que l’événement, l’éthique de l’historien, l’archive ou bien encore les différents champs historiques (l’histoire culturelle, l’histoire du temps présent, l’histoire des sciences…). Enfin, cet ouvrage fournit des éléments de réflexion sur les liens entre connaissance et diffusion des savoirs : une entrée sur les musée ou sur la vulgarisation figure ainsi dans ce dictionnaire, dans lequel on ne trouvera aucune entrée sur les icônes de la discipline ou sur les revues phares.

Les défauts de ses qualités

Ce livre permet donc de dresser un état des lieux de la discipline. Il est évident que l’exhaustivité étant impossible à atteindre, Jean-François Sirinelli et Claude Gauvart ont dû procédé à des choix afin de retenir, et surtout, d’écarter, certaines entrées : l’Asie est bien présente, tout comme l’Europe, mais l’Afrique, en tant que telle, ne figure pas dans l’ouvrage. Il en est de même de certaines périodes historiques comme l’Antiquité tardive. De la même manière, on y trouve une notice sur le genre, sur l’intime, mais pas sur le corps. Selon les centres d’intérêt des uns et des autres, selon aussi la sensibilité politique, religieuse ou idéologique de chaque lecteur, ces choix pourront apparaître étonnants, voire incongrus.
Quant au contenu des notices, il est parfois inégal. Les notions s’étalant sur un temps long et recouvrant des réalités politiques, sociales et culturelles très diverses (impérialisme, monarchie, Eglise…) s’avèrent souvent complexes et difficiles à traiter. L’entrée sur la Shoah laisse perplexe car elle présente bien davantage une histoire du mot qu’un état des lieux de l’historiographie, pourtant riche en controverses. A l’inverse, la notice sur les médias, très dense, propose une mise au point tant historiograhique scientifique.
On pourra également noter le caractère très européo-centré, voire franco-centré de nombreuses notices : peu de références à l’historiographie étrangère figurent en effet dans les différentes contributions, y compris pour celles présentant des notions dont la compréhension (et donc la mise en histoire) diffèrent profondément selon les sociétés. C’est le cas notamment de la laïcité, analysée essentiellement à partir du cas français. La World history, quant à elle, ne figure pas dans le dictionnaire.
On peut enfin regretter une présentation sommaire des contributeurs dont le parcours et le positionnement dans le champ institutionnel, scientifique voire politique ou idéologique auraient pourtant, parfois, permis d’éclairer certaines notices.

L’éclectisme de l’ouvrage fait aussi son intérêt. Ce jeu entre les différentes périodes et les différentes notions s’avère, au final, très stimulant. Les non-dits le sont tout autant en ce qu’ils démontrent, une fois encore, que l’histoire est une (re)construction intellectuelle.