La parution de ce mémoire de maîtrise préparé à l’université de Toulouse Le Mirail au début des années 1980 aide à mieux comprendre la place des femmes dans la période noire des années 1939 à 1945 dans les Pyrénées Orientales. Les auteurs, à travers des recherches d’archives et des interviews de femmes qui ont vécu à cette époque, ont essayé de comprendre comment et dans quelles conditions ces femmes ont affronté leur quotidien . Elles se retrouvent brusquement sans le chef de famille et se voient confrontées aux rigueurs des soucis quotidiens. Comment se sont – elles comportées ?
« Maréchal nous voilà »
Le 03 septembre 1939 la déclaration de guerre est annoncée. A Perpignan, on songe aux vendanges qui ne pourront se faire. Les femmes s’adressent à tous ceux qui peuvent leur apporter de l’aide pour faire face dans l’urgence aux problèmes à traiter et pour s’organiser. L’Eglise leur propose de s’occuper de l’éducation des enfants les jeudis et dimanches dans les patronages. Après la débâcle en juin 1940 tous les pouvoirs sont confiés au maréchal Pétain. Pour la plupart des femmes , l’image dominante de Pétain est celle populaire du héros de Verdun. Rares sont les exceptions comme celles qui engagées politiquement et syndicalement à gauche s’étaient occupées des réfugiés espagnols après la chute de la république espagnole. Les témoignages recueillis sue quelques pages nous font comprendre pourquoi Pétain faisait l’unanimité. Les femmes n’avaient qu’une idée en tête, le retour des prisonniers.
les parias : étrangers et juifs :
Dans les années 30, période sans prospérité économique favorisant un climat xénophobe, la France connaît une vague d’immigration assez importante. Des partis politiques relayés par une certaine presse, installent chez les français la peur de l’étranger, insistent sur les menaces que représentent les étrangers pour la France. Les auteurs développent quelques pages sur les camps de réfugiés espagnols dans les Pyrénées Orientales dans la perspective des femmes qui y étaient internées. Elles évoquent Elisabeth Eidenbenz qui a assuré la responsabilité d’une maternité créée à Elne en 1939 au château Bardou pour y accueillir les femmes enceintes issues des camps mais aussi des juives et des tziganes. Les conditions de vie et d’exil étaient plus dures pour les femmes , séparées des enfants dans cet univers concentrationnaire. Elles y sont avilies, humiliées, victimes d’agressions permanentes. Quand les vendanges approchent on y vient les embaucher . Dès mai 1939 avec la création des Compagnies de Travailleurs Etrangers, des femmes iront travailler à Toulouse dans des usines d’armements. L’antisémitisme n’a pas été particulièrement actif en Roussillon même si l’administration locale exécute les consignes de Vichy. Des témoignages de solidarité envers les juifs sont rapportés sur quelques pages : engagement de femmes cachant des enfants juifs lorsque leurs parents sont arrêtés.
Famille et patrie :
La défaite a augmenté les inquiétudes du gouvernement en ce qui concerne la démographie. Une des causes de la défaite : trop peu d’enfants ! La politique nataliste de Vichy subordonnée à une conception très moraliste de la famille va se mettre en place. On entrave le divorce, on réprime l’adultère, l’avortement. Les auteurs nous détaillent les mesures prises par le gouvernement .Dans les Pyrénées orientales , paradoxalement la natalité ne s’est pas effondrée de 1940 à 1944. En mai 1943 est créée à Perpignan une « maison des mères » pour celles que l’on appelait les fille-mères. Il s’agit de sauver les futures générations en gardant la vie des enfants qui viennent. On remet à l’honneur la Fête des Mères. La laïcité à l’école et déchristianisation sont accusées d’être responsables de la dénatalité. En 1942 la loi s’en prend aux avorteurs et avorteuses professionnels. On recherche activement, médecins, pharmaciens, sages-femmes qui auraient pratiqué ou favorisé l’avortement. De nombreuses femmes vivent dans la peur , la honte et la douleur. Les auteurs nous livrent le fruit de leur recherche dans ce domaine en quelques pages. Pour ce qui est de l’adultère, sa répression est bien appliquée dans les P.O. : de fortes amendes, des peines d’emprisonnement touchent particulièrement les femmes de prisonniers qui ont les peines les plus lourdes.
Maisons closes et prostitution
La prostitution au même titre que l’alcoolisme et divorce , reflets de l’immoralité qui a mené à la défaite de 1940, sont considérées comme des fléaux sociaux. Les témoignages recueillis par les auteurs démontrent qu’il y avait beaucoup de maisons de rendez vous dans le département. L’exode et la ligne de démarcation avaient fait refluer un grand nombre de prostituées dans les Pyrénées –Orientales. Certains hôtels étaient des lieux très commodes pour les résistants. Certaines prostituées ou tenancières y donnaient des renseignements aux membres de la Résistance. Le phénomène de prostitution occasionnelle est important durant cette période de guerre. En octobre 1939 dans la seule ville de Perpignan sont recensés 24 établissements. Des lois renforcent le contrôle sanitaire des prostituées et la répression du proxénétisme.
L’instruction publique, les jeunes
Pétain veut modeler la jeunesse et contrôler son éducation à travers l’idéologie contenue dans : « Travail, famille, Patrie ». La réforme de l’Instruction Publique commence par l’épuration du corps enseignant, la suppression des Ecoles Normales et une révision des manuels scolaires. Dans les Pyrénées Orientales au 1° septembre 1940, 20 instituteurs, dont 9 femmes connues pour leur engagement syndical ,sont mutés d’office. Les auteurs illustrent ce chapitre d’extraits de cahiers de classe d’une jeune élève de l’école des filles de Saint Estève pendant l’année scolaire 1941- 1942.L’école devient un lieu privilégié de propagande. Au printemps 1941, un inspecteur du primaire interroge l’institutrice : a-t-elle expurgé sa bibliothèque ? A-t-elle enlevé les ouvrages mis à l’index ?Dans ce contexte , il faut orienter les garçons vers la vie professionnelle et les filles vers le vie ménagère( des journées d’enseignement ménager sont organisées à Bolquère à la salle du café Lassus)
Les distractions : Bals, cinémas, théâtre
Avec la guerre, les restrictions, le couvre feu et l’interdiction des bals, les loisirs se réduisent. Le cinéma reste la seule distraction populaire. Perpignan en possède sept. C’était la plus saine et la moins chère des distractions. Chaque séance comportait deux films au programme. En plus ces salles sont parfois chauffées ce qui représente un agrément supplémentaire face à la pénurie en chauffage. Le cinéma était utilisé comme support de propagande. Pendant la séance, la projection des actualités donnait parfois lieu à des incidents (sifflets, remarques à haute voix). La salle était rallumée et la police dressait des contraventions ainsi à cette perpignanaise arrêtée pour avoir crié pendant les actualités à l’intention du maréchal Pétain : « Ah, voilà le sale collabo ».Les bals sont interdits dans les P.O. en mai 1940 mais la jeunesse sait contourner les règles en organisant des bals clandestins chez des particuliers avec des phonographes, en s’installant dans des remises , des granges. Il fallait changer souvent de lieu.
Les restrictions : le ravitaillement
Avec la mise en vigueur des cartes d’alimentation et des tickets de pain , avec le rationnement des vêtements , des chaussures, du tabac , du savon, les femmes affrontent les plus nombreuses difficultés dans la gestion du quotidien . Elles sont obligées de se débrouiller et de faire preuve d’ingéniosité. Elles doivent connaître toutes les informations concernant le ravitaillement, toutes les astuces et recettes adaptées à la crise ( teintures de draps pour faire des vêtements etc..) Il leur faut la patience de faire la queue dès 4 heures du matin pour obtenir du poisson ou un peu de viande. Au rationnement officiel se superpose une sélection par l’argent lorsque dès l’été 1940, le marché noir fait son apparition. Il existe également des disparités dues à la situation géographique. Les ruraux sont avantagés par rapports aux habitants de la ville car certains cultivent des jardins, élèvent des poules , des cochons ou mettent des pièges. En dehors du marché noir on pratique le troc , on se déplace en particulier en Corrèze pour faire des achats clandestins. Des succédanés existent pour la plupart des produits manquants. L’indigence et le manque poussent aux larcins . Les auteurs nous font part des interpellations et sanctions de femmes amenées à ce genre d’incartades.
Les femmes vont se substituer au mari mobilisé à la tête d’exploitations agricoles ou de commerces. Elles représentent une main d’œuvre que l’on fait entrer dans la production ou que l’on rejette suivant les impératifs politiques ou économiques du moment. Les auteurs nous détaillent les emplois occupés par les femmes dans le département des P.O.
De la Résistance au droit de vote
Nous connaissons dans ces pages le sort de résistantes , de femmes engagées (institutrice, ouvrière , militante aux jeunesses socialistes).Nous y trouvons des exemples de femmes frappées de peine de prison pour leurs propos ou inculpées pour distribution de tracts. Les réseaux de résistance seront très nombreux en 1943. On en compte plus d’une douzaine dans le département , spécialisés dans l’évasion et le renseignement. De nombreuse femmes y participent comme agents de liaison, pour transporter des messages, des plans , accueillir et héberger ceux qui fuient, aider à la fabrication de faux papiers. Quand elles apportent une aide à l’activité résistante de leur mari, elles n’ont pas l’impression d’avoir fait de la résistance. L’obtention du droit de vote en 1944 est la juste reconnaissance de leur intervention directe dans la vie publique et politique mais l’acquisition de ce droit n’a pas bouleversé leur condition.
De la collaboration à l’épuration
Quand le Roussillon perd son statut de zone libre au mois de novembre 1942, pour une bonne partie de la population il s’agit de supporter la présence allemande. Pour la plupart des femmes c’est un sentiment d’impuissance , de résignation qui domine selon les témoignages recueillis par les auteurs. Une autre partie de la population entre en collaboration soit en aidant directement l’occupant soit en participant à des partis collaborateurs. Le 20 août 1944 au matin , Perpignan est libérée. Le Conseil National de la Résistance prévoit que les Comités Départementaux de Libération prennent des mesures d’épuration. Pendant les combats ils avaient saisi les dossiers de la Milice et les lettres de dénonciation abandonnées par la police allemande. Des catégories de collaboration sont établies ( trahison, indignité, collaboration militaire, politique, économique, rapports intimes avec l’occupant). Des femmes sont tondues parfois promenées nues . La majorité des femmes sanctionnées dans les P.O. proviennent de milieux modestes. Sur 292 femmes , 3 sont réellement convaincues politiquement. 96 femmes sont soupçonnées d’appartenir à la Milice. De nombreux exemples particuliers nous sont fournis par les auteurs dans ces pages . Il y a disproportion des sanctions qui existaient entre celles infligées aux femmes accusées de rapports intimes avec des allemands et celles des collaborateurs notoires.
En documents annexes , les auteurs joignent la transcription des rapports sur les atrocités commises par les allemands à Velmanya les 1 , 2 et 3 août 1944.
Noëlle Bantreil © Clionautes