Cet ouvrage est le fruit d’une collaboration menée sous la direction de Clément Therme, historien spécialiste de l’Iran contemporain et membre de l’équipe « Savoirs nucléaires » du CERI à Sciences Po Paris. L’ambition de cet ouvrage, et qui est largement réalisée, est d’offrir un panorama complet de la politique étrangère menée par l’Iran, du Moyen-Orient à l’Amérique latine.

 

Cette collaboration prend la forme d’une collection d’articles courts et synthétiques sur des thématiques et des pays précis de la politique étrangère iranienne. Si les grandes puissances font l’objet d’articles spécifiques, quelques auteurs proposent des analyses originales sur des espaces souvent méconnus où se déploie la géopolitique de l’Iran, comme l’Afrique subsaharienne et l’Amérique latine. Clément Therme souhaite ainsi interroger la capacité de la République islamique d’Iran à mettre en œuvre son ambition d’indépendance sur la scène internationale alors que le pays reste fortement marqué par la révolution de 1979, laquelle a engendré une forme originale de nationalisme.

Outre les rappels historiques qui ouvrent généralement chaque article, l’on apprécie les références bibliographiques fournies à la fin de chaque contribution, tout comme l’effort de concision qui a été réalisé par les auteurs. Nous ne retiendrons ici que les articles ayant trait aux principaux partenaires et rivaux de la République islamique d’Iran.

 

Une « obsession » et une impasse : les Etats-Unis et l’Iran

 

« Gendarme du Golfe » membre du Pacte de Bagdad pendant la Guerre froide, l’Iran devient un « Etat soutien du terrorisme » aux yeux des Etats-Unis dans les années 1980. Depuis, les relations ont alterné entre des périodes de sanctions renforcées et des phases de dialogue néanmoins tendues. La dernière période de relatif apaisement date du mandat de Barack Obama, initiateur de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015. Cette période a pris fin en 2018, quand le président Donald Trump a décidé de se retirer de l’accord et d’appliquer une politique de « pression maximale » afin, comme ses prédécesseurs, de provoquer un changement de régime à Téhéran. Les Etats-Unis continuent par ailleurs de dénoncer les manœuvres de l’Iran au Moyen-Orient, que ce soit via des milices en Irak ou le Hezbollah au Liban. Toutefois, en engageant une politique jusqu’au-boutiste, les Etats-Unis n’ont fait que provoquer une réaction agressive de Téhéran sans que se dessine une quelconque stratégie de sortie de la crise.

 

L’intégration progressive de l’Iran à la sphère d’influence chinoise

 

La Chine a manifesté depuis plusieurs décennies son intérêt pour l’Iran, et ce dernier aussi à mesure que son isolement sur la scène internationale s’est accru. Téhéran, mis au ban de la société internationale par l’Occident, trouve dans la Chine un appui sur le dossier nucléaire, un client pour ses exportations d’hydrocarbures et un fournisseur pour les biens tombés sous le coup des sanctions. Il faut dire que les relations sino-iraniennes se sont grandement développées depuis les années 1980. Pékin a vendu des armes et assuré la formation de militaires iraniens pendant la guerre Iran-Irak. La coopération dans le domaine du nucléaire civil a également connu un essor remarquable de 1985 à 1996, la Chine assurant des transferts de technologie et de savoir-faire. Enfin, les missiles balistiques constituent le dernier pilier de la politique chinoise de rapprochement avec l’Iran jusqu’à la décennie 1990. Par la suite, les échanges commerciaux s’intensifient. Seul le dossier nucléaire provoque alors des turbulences dans la relation, Pékin étant tiraillé entre sa volonté de ménager Washington et son souhait de poursuivre les coopérations en cours. Ainsi, la Chine s’oppose au recours à la force et aux sanctions unilatérales américaines ; les investissements en Iran sont maintenus. Surtout, la Chine devient le principal client du pétrole iranien et inonde l’Iran de ses produits. L’année 2016 marque un tournant, tout au moins sur le plan symbolique : la Chine élève ses relations avec l’Iran au niveau du « partenariat stratégique global » et intègre Téhéran à l’initiative des « Routes de la soie ». Depuis le retrait américain de l’accord, on observe une ambition chinoise de jouer un rôle de médiateur dans la relation irano-américaine. De fait, si la Chine défend l’accord de 2015 et maintient ses coopérations avec l’Iran, elle a exprimé des critiques à l’égard des actions déstabilisatrices iraniennes dans le golfe persique et laissé entendre que les discussions avec les Etats-Unis pourraient porter sur d’autres sujets que le nucléaire, notamment les capacités balistiques.

 

Moscou-Téhéran : une coopération durable mais asymétrique

Les deux Etats se sont rapprochés depuis les années 1990, engageant des coopérations en matière énergétique et sécuritaire. Téhéran a constamment mis en œuvre sa politique de « bon voisinage » avec la Russie depuis la fin du XXe siècle. Le partenariat s’est renforcé à l’occasion de la crise syrienne et l’accord sur le nucléaire n’a pas eu de conséquences majeures sur la coopération irano-russe. Il convient toutefois de préciser que cette coopération repose presque exclusivement sur les domaines nucléaire et militaire ; les échanges économiques, faute de complémentarité, demeurent faibles. Cela n’empêche pas la Russie de tirer un profit politique de cette entente, en jouant la carte iranienne face à Washington. Il faut aussi ajouter que cette relation a connu des tensions. On se souvient par exemple des retards dans la construction de la centrale nucléaire de Bouchehr, qui ont perturbé le dialogue de 1999 à 2011, et du vote russe en faveur des sanctions, de 2006 à 2010. A l’instar de la Chine, la Russie tient une position ambiguë dans le dossier nucléaire : opposée aux sanctions unilatérales et à toute option militaire, elle rejoint l’Occident pour limiter les ambitions nucléaires iraniennes. L’approche médiane dite « pas à pas » proposée Sergeï Lavrov en 2011 permet finalement de rallier l’administration américaine et, in fine, l’accord de 2015. Au-delà du nucléaire à usage militaire, les deux pays peuvent être concurrents sur d’autres dossiers. Ainsi, la Russie et l’Iran s’affrontent pour l’attribution des contrats sur le marché syrien dans le contexte de la reconstruction du pays. Enfin, leur approche de la lutte contre l’émergence de foyers djihadistes en Syrie diffère : alors que Téhéran favorise les groupes non-étatiques, la Russie promeut une diplomatie étatique classique.

 

Une « rivalité structurante » avec l’Arabie saoudite

Cette rivalité est déterminée par un déséquilibre démographique – l’Iran est quatre fois plus peuplé que l’Arabie saoudite – et historique – un Iran ancré nationalement face à une monarchie récente alliée aux Américains. Ce dernier déterminant explique la rhétorique victimaire de la République islamique face à une Arabie saoudite en quête d’alliances contre un puissant voisin. La relation est donc enfermée dans un cercle vicieux. Cette relation ne saurait être analysée au prisme de la religion. En réalité, « ce n’est pas l’islam, mais l’islamisme qui avive la rivalité irano-saoudienne « . Mais, en dépit de nombreux épisodes de tensions depuis le XXe siècle, par exemple autour des lieux de pèlerinage, force est de constater l’absence de conflit armé direct entre les deux Etats. L’Arabie saoudite a tendu la main à l’Iran sous les présidences de Rafsandjani et Khatami, et l’actuel prince héritier n’a encore rien entrepris contre l’Iran. Le seul de terrain de confrontation indirect reste le Yémen. Finalement, seule une correction des déséquilibres permettrait d’envisage un apaisement des tensions. Il s’agit tout d’abord d’un déséquilibre démographique, entre un Iran ayant achevé sa transition et une monarchie dont l’essor démographique est tiré par l’immigration. Ensuite, il importe de corriger un déséquilibre économique : l’Arabie saoudite a largement dépassé l’Iran, dont l’industrie souffre gravement des sanctions. Enfin, l’apaisement de la situation en Irak permettrait de reconstituer le triangle géopolitique du Golfe – Iran, Irak, Arabie saoudite – qui prévalait avant 2003.