Voici une publication qu’Alain Rey disparu en 2020 n’aurait pas dédaigné. En effet, ce Petit dictionnaire du peuple des rustres de Paris aux rustauds des villages proposé par les éditions Corsaires réunit toutes les qualités éditoriales que peuvent rechercher les amoureux de la langue et de l’histoire de cette dernière.

Son édition critique a été élaborée par Marie-Rose Simoni-Aurembou directrice de recherche au CNRS complétée et menée à terme par Fabrice Jejcic ingénieur de recherche au CNRS. Cette publication est avant tout une réédition d’un opuscule publié en août 1821 par Jean-Claude Léonard Poisle–Desgranges, né à Orléans en 1789. Il intègre l’administration des postes au début des années 1820, une place difficile à décrocher à l’époque pour lequel un français impeccable est requis. Desgranges devient écrivain en parallèle. Mais, même si les grandes lignes sont connues, l’auteur reste encore en partie mystérieux malgré des recherches approfondies.

Comme le rappelle l’introduction, ce dictionnaire fait partie d’une catégorie d’ouvrages spécifiques qui paraissent à la fin du XVIIIe siècle dans le double but d’apprendre le français aux Français et de corriger leurs fautes (le mauvais emploi du masculin ou du féminin, le pluriel abusif …), mais aussi de dénoncer les dérives langagières constatées dans les diverses régions. L’ouvrage de Desgranges est composé de trois parties reproduites ici : une liste de mots incorrects qualifiés de barbarismes, une liste de phrases, ou plutôt des mots en contexte considérées comme vicieuses ou n’ayant pas de sens, et enfin une dictée appelée conte. Des cartes, des reproductions de quelques pages de la publication d’origines et des illustrations rajoutées pour la présente édition viennent compléter le dictionnaire. Par cette publication, Desgranges est persuadé de contribuer à l’élévation des masses. Son ouvrage fit date puisqu’en 1929, Georges Gougenheim en perçoit tout l’intérêt en publiant une thèse intitulée La langue populaire dans le premier quart du XIXe siècle d’après le Petit Dictionnaire du peuple de Desgranges.

Pourquoi, en ce début du XXIe siècle cette réédition paraît pertinente ? Tout d’abord, elle permet de constater que certains écarts de langage dénoncés dans le premier tiers du XIXe siècle sont toujours d’actualité et que bon nombre d’expressions ou termes jugés incorrects sont restés en dépit d’une non-reconnaissance de la part de l’Académie française. Du langage académique au langage populaire, une différence demeure et l’un ne saurait condamner l’autre sans risquer d’appauvrir la langue et son histoire. Deuxième raison, cet ouvrage n’offre rien d’autre qu’un instantané historique de la langue telle qu’elle est parlée dans le premier tiers du XIXe siècle, et il est amusant de constater qu’il n’a absolument rien perdu de sa pertinence et de sa fraîcheur.

Parmi les verbes et expressions dénoncées, mais toujours utilisées et dénoncées à  l’époque comme de purs barbarismes, nous retrouvons l’expression : « mettre en plan » au lieu de « porter engage », « descendre en bas » (un grand classique) ou encore l’expression « j’ai une dent contre lui » qui pour lui : « ne signifie rien. Cette phrase n’a d’autre mérite que d’être adopté ». Mais d’autres expressions trouvent grâce à ses yeux et Desgranges perçoit leur introduction académique à venir. Les mots « gastronome et gastronomie » sont ainsi décrits comme : « mot inventé par nos modernes épicuriens, ils ne tarderont pas à être consacrés par une adhésion académique. Ce sont les synonymes de gourmand et de gourmandise. » L’avenir lui a effectivement donné raison sur ce point.

Vous l’aurez compris : après avoir lu les chapitres de présentations, on s’amuse beaucoup en lisant ce petit dictionnaire que l’on peut aborder comme on souhaite. Le lecteur en ressort en se demandant si l’Académie française est une fin en soi … ou pas ! (Vous avez 4 heures ). Mais par contre nous ne trouvons rien sur le fameux débat toujours actuel concernant ce fameux conflit linguistique majeur générateur d’une fraction nord-sud génératrice d’un déséquilibre géopolitique susceptible de provoquer un déséquilibre national irrémédiable : faut-il dire « pain au chocolat » ou « chocolatines » ?